Disons les termes, il est grand temps que la France intronise la reine Bonnie Banane

Bonnie Banane forever

Disons les termes, il est grand temps que la France intronise la reine Bonnie Banane

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© Pablo Jomaron

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Par Flavio Sillitti

Publié le , modifié le

Avec son nouvel album Nini, la chanteuse parisienne le prouve : elle est la visionnaire dont la scène francophone a besoin.

Quand on parle de “vision musicale”, en France, plusieurs noms viennent spontanément à l’esprit du grand public, mais un seul, central, semble réellement correspondre à ces termes : Bonnie Banane. Depuis ses débuts en 2012 avec son single “Muscles”, la magicienne bretonne (aujourd’hui Parisienne) infuse à son projet une pluralité rare entre musique, poésie, performance et esthétique. Après son délicieux Sexy Planet (l’un des meilleurs albums de 2020), elle revient avec un second long format qui a tout pour perpétuer sa légende.

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Que vous l’ayez rencontrée sur les titres de Myth Syzer, Jazzy Bazz, Flavien Berger, ou sur son premier disque solo, vous avez dû le comprendre : Bonnie Banane fait ce qu’elle veut, et elle le fait divinement bien. La chanteuse crée des ponts entre Brigitte Fontaine et D’Angelo, s’identifie elle-même comme l’enfant qu’auraient pu avoir Beyoncé et Coluche (sans les blagues racistes), et propose au fil des sorties une espèce d’élucubration franco-anglophone guidée par des contes enchantés, du storytelling absurde, des textes engagés et même des semblants de cadavres exquis fascinants.

Avec elle, pas la peine de s’embêter avec les étiquettes, Bonnie Banane s’affranchit de pas mal de choses quand il s’agit de musique — et du reste aussi. Dans sa session Grünt de 2020, captée en plein confinement, l’artiste s’élançait déjà au sommet de son art, accompagnée d’un simple piano sublimé par le virtuose Gael Rakotondrabe et alternait entre le belting du R&B, les envolées de la chanson française et les sautillements d’un style arlequin dont elle semble être l’une des dernières héritières. Son interprétation de “Flash” nous tire les larmes à chaque fois.

Dans sa robe jaune et orange, Bonnie nous le démontrait déjà : elle est en plein contrôle, mais s’autorise les basculements, le risque, le théâtre et le drame, les détours, l’improvisation. Le mot “spectacle vivant” prend sur sa scène une saveur plus vibrante que jamais et imprègne complètement son nouveau disque Nini, son surnom de gosse, qui vrombit d’atmosphères en émotions, d’une “Joie Intense” à une “Tristesse Profonde”. Impeccable et visionnaire.

Bonnie Banane est une kickeuse un peu vénère sur l’échauffé “PMS”, une cantatrice embrasée sur “Red Flags”, un volcan distordu sur “Hoes of Na” et une pile électrique sur “Hop-là!”. Le frénétique “Franchement”, qui a ouvert le rollout de l’album, résonne comme un cri de manif, ponctué par des riffs de basse et des paroles engagées contre Valeurs Actuelles, la disparition des pandas roux et la prolifération “des gens qui nous font perdre notre temps” et les Blancs toujours trop nombreux dans les rues. C’est le genre de morceau qui s’écrit le doigt dans la prise.

Ses textes, comme toujours, se parent d’une fibre cryptique et simple à la fois. Bonnie Banane a son phrasé sophistiqué, certes, mais ses lignes n’empruntent souvent que le lexique du réel. Des mots simples, des pensées étriquées, des textes mémorables. La recette miracle existe donc vraiment. Alors que notre phrase préférée de sa discographie était depuis un moment le Il y a du relief seulement grâce au creux”, c’est dans son titre “Hoes of Na” qu’on découvre la nouvelle citation qu’on aurait placardée illico presto sur notre Skyrock si la plateforme ne s’était pas éteinte l’an dernier : “Quelque chose en vous se plie mais ne rompt pas.” Oui.

Là où Bonnie Banane nous gagne toujours, c’est sur les élans célestes et doux qu’elle maîtrise mieux que personne. Les yeux fermés, le sourire en coin, on savoure toute la volupté de “The Nap Song”, véritable câlin sonore, les sautillements d'”Instant Karma”, qui ouvre l’album de la plus belle des manières, ou encore l’éclat de “Pas Besoin” qui ramène l’esprit surréaliste qu’on avait tant aimé sur Sexy Planet.

Empruntés à chacune de ses ères musicales, les gimmicks retrouvés sur Nini portent sans équivoque les initiales “B. B.” et prouvent bien que la chanteuse est devenue sa seule et propre référence. C’est le genre d’album qui, loin des blings, des streams et des records, marque discrètement la musique française au fer rouge et s’inscrit sur le long terme. Une merveille.

Bonnie Banane sera en tournée partout en France à partir du 12 avril, avec un Olympia prévu pour le 1er décembre prochain.