Dhani Harrison : “Des tas de groupes s’inspirent des Beatles sans même s’en rendre compte”

Dhani Harrison : “Des tas de groupes s’inspirent des Beatles sans même s’en rendre compte”

En 2014, Dhani Harrison avait réuni de nombreuses stars au Madison Square Garden pour rendre hommage à son père. À l’occasion de la sortie de ce concert unique en CD et DVD,  Konbini a rencontré le fils du plus subtil des quatre Beatles.

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Le 28 septembre 2014, Dhani Harrison organisait avec succès le George Fest. Celui que son père avait prénommé d’après les sixième et septième notes de la gamme de musique indienne réussissait alors le tour de force de réunir sur scène une vingtaine d’artistes de générations et d’horizons bien différents dans une petite salle de Los Angeles, le Fonda Theatre.

Brian Wilson, Ben Harper, Norah Jones, Brandon Flower de The Killers, Nick Valensi des Strokes, Black Rebel Motorcycle Club, les Cold War Kids, Wayne Coyne des Flaming Lips, Conan O’Brien, Brian Bell de Weezer, Britt Daniel de Spoon… Ils étaient tous là pour célébrer la musique de George Harrison, emporté par un cancer du poumon en 2001.

C’est ce 26 février que sort l’enregistrement discographique de cette réunion d’anciens et nouveaux combattants venus commémorer la musique et l’esprit du plus hare krishna des Beatles. Dans une captation au son cristallin, ses plus grands classiques sont revisités avec talent et respect – la moindre des choses face à l’œuvre compliquée et pléthorique d’un tel génie.

Car George Harrison était un génie de la musique pop : ferrailleur ingénieux à la six-cordes (sacré 11e plus grand guitariste du monde par Rolling Stone), orfèvre compositeur (“Here Comes the Sun”, “My Sweet Lord”…), pionnier flamboyant de la conquête de la musique indienne (“Norwegian Wood”…), il est également l’un des inventeurs du concert caritatif à grande échelle grâce au mythique Concert for Bangladesh, organisé avec Ravi Shankar au Madison Square Garden, en 1971.

Pas étonnant que le guitariste des Fab Four fasse partie des rares rockeurs à avoir été honorés par deux fois au Rock’n’Roll Hall of Fame (l’une pour ses faits d’armes avec les Beatles, l’autre pour sa carrière solo).

Aussi, de “Something” interprété par Norah Jones à “Got My Mind Set On You” repris par Brandon Flowers, les musiciens ont couvert ce soir-là pas moins de quarante années de pures pépites sonores, en appelant aux divinités de la pop, de la folk et du rock… ainsi qu’à pas mal de psychédélisme et à un soupçon d’hindouisme, of course.

Dhani, l’héritier

Ce concert hommage n’aurait jamais vu le jour sans le fils de George Harrison, Dhani. Cela fait maintenant de nombreuses années que Dhani Harrison travaille à faire vivre la musique de son père, plongeant lui-même le nez dans les bandes lorsqu’il s’agit de remastériser les enregistrements de son talentueux géniteur.

Sean Lennon, Zak Starkey, James McCartney… Certes, beaucoup, parmi les rejetons des Beatles, ont fini musiciens, avec plus ou moins de succès, capitalisant souvent sur leur illustre nom. Mais peu de “fils de” ont déployé autant d’amour pour faire perdurer l’œuvre de leur paternel. Car non seulement Dhani Harrison a achevé Brainwashed, le dernier disque de son père, sorti en 2002 à titre posthume, mais il a également forgé ainsi un excellent album, encensé par la critique.

Konbini a interrogé Dhani Harrison pour mieux comprendre pourquoi on célèbre encore la musique de George Harrison plus d’un demi-siècle après la sortie de Rubber Soul, comment on fait monter sur scène à la fois Ben Harper et Black Rebel Motorcycle Club, pourquoi “My Sweet Lord” est une si grande chanson et surtout qu’est-ce que ça fait de porter le nom du plus psychédélique des Beatles.

K | Comment est né le projet du George Fest ?

Dhani Harrison | C’est un travail de longue haleine. On a travaillé environ dix, douze ans sur ce projet. D’abord, Conan O’Brien nous avait déjà dédié une semaine de son émission sur la chaîne TBS pour commémorer la musique de mon père en 2014 – quelque chose d’assez rare, qu’il n’a dû faire que pour deux ou trois autres artistes. Puis, on a répété pour la télévision, vérifié qui devait venir – on a eu Beck, Norah Jones, Paul Simon… Mais ça s’est passé si vite et on s’est tellement plu à faire ça qu’on a vite décidé d’organiser un concert dégagé des contraintes de la télévison à la fin de la semaine.

Tant de gens voulaient venir que l’on a décidé de donner le concert à Los Angeles. Alors on s’est retrouvés pour répéter une ou deux fois avant le concert car presque tous ceux qui avaient participé à l’émission voulaient venir jouer live, Conan compris. Au final, c’était plutôt l’ambiance d’un petit concert de club, bien plus détendu qu’à la télévision.

Pourtant, il y a du beau monde au casting de ce “petit concert de club”. Comment avez-vous réuni tous ces artistes ?

D’abord, nous étions plus ou moins les mêmes à s’être réunis pour commémorer la musique de Tom Petty ou de Bob Dylan. Aussi, on a une bonne bande de musiciens chez Hot Records, notre maison de disques… Avec le bouche à oreille, d’autres musiciens se sont greffés au projet, on s’est tous mélangés, on a réparti les chansons, on a jammé…

C’est assez simple, et l’important c’est que tout le monde a fait un super boulot : c’est la ferveur du groupe qui a fait la réussite du projet. En fait, c’est même devenu beaucoup plus gros que prévu. Mais tout le monde s’est éclaté et c’était bel et bien davantage une célébration qu’un simple concert.

À l’image de Brian Wilson, chanteur des Beach Boys, et Black Ryder, groupe psyché formé en 2007, les musiciens venus célébrer la musique de votre père sont issus de plusieurs générations et ont des parcours bien différents. Qu’en pensez-vous ?

C’est drôle, parce que de cette réunion sont nés différents groupes, comme si cette célébration était un nouveau point de départ pour nombre de musiciens présents ce soir-là. Pour mon prochain album, que je suis en train de terminer, on a mis au point une formation avec Stephen Perkins, de Jane’s Addiction, et Mark Stoermer, des Killers… Ce concert était une bonne occasion pour commencer à jouer ensemble.

Ce qui est le plus important, et ce qui fait que ça marche, c’est que tout le monde a contribué et apporté sa propre culture, son individualité… Les chansons vivent grâce à l’interprétation que les musiciens en livrent, qu’ils soient nés pendant la Seconde Guerre mondiale, comme Brian Wilson, ou après. Certaines interprétations sont très profondes, comme celles de “Taxman” par Cold War Kids, d'”Any Road” par Butch Walker, de “Be Here Now” par Ian Astbury et surtout celle d'”Art of Dying” par Black Rebel Motorcycle Club.

Vous travaillez à la restauration de l’œuvre de votre père depuis de nombreuses années désormais. Pouvez-vous nous raconter ?

Tant de progrès ont été faits dans le domaine du son en près d’un demi-siècle. Mon père m’en a parlé, un jour : à ce moment-là il n’avait plus de contrat avec les maisons de disques et n’avait aucun album à vendre, alors il avait le temps et souhaitait revoir le son de tous ses anciens albums – les ordinateurs ont tellement évolué – pour qu’ils sonnent mieux.

C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé quand les albums des Beatles ont été remastérisés… Le progrès apporté par la qualité CD dans les eighties a permis de rendre le son tellement plus large, tellement plus puissant que nous avons aussi souhaité le faire pour les disques solos de mon père, tout comme les familles de John [Lennon] et Paul [McCartney] l’avaient fait.

En tout, cela représente une discographie de 14 albums, ça a pris beaucoup de temps… De plus, il fallait tout reprendre depuis le début, trouver un nouveau contrat avec Parlophone et maintenant Universal… Ce fut un long processus, mais maintenant que c’est fini, j’en suis très fier.

Quelles ont été les œuvres les plus intéressantes à travailler, que ce soit en studio et sur scène pour le George Fest ?

Personne n’a joué de chansons de son premier album, Wonderwall Music pour le George Fest, mais c’était un des disques les plus intéressants à retravailler. J’adore l’album original, mais la version remastérisée est une merveille. Et All Things Must Pass également, évidemment… c’est un si grand album.

Quand il est sorti, en 1970, c’était une version triple vinyle. C’était énormément de boulot pour le remastériser. De cet album, j’ai interprété “Let It Down” pendant le concert, une chanson qui n’avait jamais été jouée sur scène. C’est mieux sans doute, tu n’as pas à entrer dans un moule et tu peux créer ta propre version live. Quelques reprises au George Fest sortent du lot, comme celles interprétées par les Cold War Kids, Wayne Coyne des Flaming Lips, Brian Wilson…

“La chanson ‘My Sweet Lord’ renvoie au positif qu’il y a dans toutes les religions”

Justement. Dans le DVD, on voit Brian Wilson expliquer que la chanson “My Sweet Lord” est une de ses favorites de tous les temps. Pourquoi est-ce une si bonne chanson à votre avis ?

J’aime énormément cette chanson, moi aussi. Et puis, elle a déclenché tellement de controverses, de scandales… La recette ? C’est bien produit, c’est bien écrit, elle renvoie au positif qu’il y a dans toutes les religions… En fait, tout comme un bel objet d’art, c’est une chanson finement ouvragée. C’est normal qu’elle soit devenue un si grand hit, elle contient tant de références aux prières, aux mantras… Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, elle est d’ailleurs devenue le premier single d’un ex-Beatles à se hisser en tête des charts.

C’est aussi une chanson très hypnotique à jouer en live… Quand on l’a répétée pour la deuxième fois, en vue du concert, je me souviens des visages béats des musiciens. Mais cela nécessite de la concentration : “My Sweet Lord” a beau avoir l’air simple, elle ne l’est pas ! Quand je voyais mon père les jouer, je ne réalisais pas à quel point ses chansons étaient compliquées, au point de vue de la composition, des arrangements…

“Mon père a voyagé dans le monde entier à la rencontre de différentes cultures et religions. Ça l’a amené à comprendre beaucoup de choses avant de parvenir à devenir qui il était vraiment”

On peut lire la phrase “All glories to Sri Krsna” au dos du disque. C’est sans doute une référence à l’exceptionnelle spiritualité de votre père… Vous nous expliquez ?

J’ai été élevé plus ou moins dans la méditation hindoue, alors j’ai été confronté à cette spiritualité tout jeune. J’embrasse tous les cultes, je n’ai aucun préjugé religieux. Pour moi, l’important c’est la réalisation de soi. L’aspect organisé des religions ne m’attire pas, j’aime davantage l’idée de se connaître soi-même.

Cette inscription figure sur le disque parce que mon père a voyagé dans le monde entier à la rencontre de différentes cultures et religions… Ça l’a amené à comprendre beaucoup de choses avant de parvenir à devenir qui il était vraiment et, au fur et à mesure que je grandissais, je le voyais changer lui aussi. Ça aussi, je pense que c’est très important pour n’importe quel être humain : réussir à accepter le changement de soi.

Aujourd’hui, près de cinquante ans après la séparation des Beatles, quels artistes sont les meilleurs héritiers de leur esprit et de leur musique ?

Je n’en choisirais pas uniquement un seul, c’est sûr, parce qu’il y a tellement d’éléments dans la carrière des Beatles… Mais j’ai toujours été un grand fan de Blur et je crois que c’est parce qu’il me font penser à quelque chose qu’avaient les Beatles. Tout d’abord, nombre de leurs titres sont assez psychédéliques : “Song 2” me rappelle “Being for the Benefit of Mr. Kite!” ou d’autres titres avec ce genre de feeling. Il y a aussi évidemment les Flaming Lips, ils ont d’ailleurs intégralement repris l’album Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band l’année dernière…

Je pense que des tas de groupes d’aujourd’hui s’inspirent des Beatles, sans même s’en rendre compte. Mais je crois que c’est impossible, si tu joues du rock’n’roll ou quoi que ce soit d’un peu psychédélique, d’échapper à l’influence de l’ancien groupe de mon père. C’est le cas de tous mes groupes préférés, de ma musique… Même quand on est jeune, on est influencé par des groupes qui eux-mêmes ont été influencés par les Beatles. Tout le monde se “réinfluence” et la boucle est bouclée !

L’enregistrement de ce concert mis en boîte et presque sorti, les disques de votre père remastérisés, que faites-vous désormais Dhani ?

Je me suis mis en congé de mes groupes Fistful of Mercy et thenewno2, pour un an ou deux, afin de composer pour la télévision et le cinéma. Je fais de la musique plutôt en rapport avec l’image, davantage cinématique. Ça m’amène à la sortie, cette année, de mon premier album solo. C’est la toute première fois que je sortirai un album sous mon propre nom. C’est intéressant parce que, avant, j’ai toujours été dans des groupes.

Jouiez-vous dans des groupes pour dissimuler le nom de votre père ?

Oui, sans doute. Je voudrais que les gens écoutent ma musique avant qu’ils ne connaissent mon nom. Je crois que c’est quelque chose que j’essaie de faire depuis très longtemps maintenant, afin de m’établir et de grandir en tant que musicien à part entière. Quand tu as un nom célèbre, tu es déjà connu et tu n’as pas l’occasion de grandir et d’évoluer, tu es déjà jugé par l’industrie musicale.

George Fest : A night to celebrate the music of George Harrison est sorti le 26 février en édition digipack 2 CD + DVD, 2 CD + Blu-Ray, triple LP gatefold et digital audio.