Désir, solitude et lâcher-prise : que se passe-t-il dans l’intimité des chambres et des lits ? 3 peintres nous répondent

Désir, solitude et lâcher-prise : que se passe-t-il dans l’intimité des chambres et des lits ? 3 peintres nous répondent

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© Marguerite Piard ; © Norma Trif

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Par Lise Lanot

Publié le

Marguerite Piard, Norma Trif et Maxime Biou confient leur rapport à l’intime et à la représentation de ce qui reste habituellement secret.

Que se passe-t-il quand les portes des chambres se referment, lorsque s’ouvrent les draps, se détendent les corps, se délient les passions et les émotions ? Trois peintres amoureux·ses de l’intime et de ses représentations font de leur toile le réceptacle de ces interrogations. Marguerite Piard, Norma Trif et Maxime Biou s’intéressent à ce qui reste habituellement secret, et cet attachement partagé a convaincu les galeries Dans les yeux d’Elsa et Mathilde Le Coz de faire dialoguer leurs œuvres dans une exposition hors du temps. 

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Face à leurs œuvres, le public se retrouve dans une position privilégiée mais presque inconfortable, à devoir soutenir les regards des personnages de Norma Trif ou forcé d’observer les corps dénudés de Maxime Biou et les cadres resserrés de Marguerite Piard sur des mains qui “se caressent, se frôlent, se parlent, qui manipulent des objets symboliques, eux-mêmes chargés d’histoires intimes, secrètes”.

Marguerite Piard, Les éclaircies, 2023.

“L’intimité peut se manifester partout”

Les perspectives lissées, les zones laissées nues, les palettes de couleurs douces et pastel des artistes visent à retranscrire le vide spatio-temporel qu’incarne parfois l’espace de la chambre à coucher. L’intimité y est sacrée, tel que l’exprime Marguerite Piard quand elle célèbre ce “lien invisible et magique qui opère entre deux êtres qui baissent la garde, se font confiance, acceptent de se montrer vulnérables”.

Ses gros plans sur des parties de corps insistent sur les silences, les tensions partagées ou vécues seul·e, “lorsqu’on décide de se concentrer sur ce qui nous anime à un moment donné”. “L’intimité peut éclater dans des moments de peine, de confession, de tendresse, de compassion avec un être aimé… En fait, elle peut se manifester partout”, nous écrit la peintre qui se donne pour objectif de “charger [ses peintures] d’intime” et qui pose nue pour ses autoportraits afin de “lâcher prise sur [sa] peur du regard de l’autre“.

Norma Trif, Johanna et Hades, 2023.

De son côté, Norma Trif peint ses proches. Ses relations puissantes lui permettent de “représenter l’intimité unique de chaque personne”, confie-t-elle en rappelant que sa série a débuté en 2022, alors qu’elle vivait à Porto dans une “maison avec 22 personnes de nationalités différentes”. “Chacun d’entre nous avait sa propre chambre mais nous partagions les espaces communs. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de faire le portrait de chacun, dans un lieu choisi à chaque fois par eux, souvent dans l’intimité de leur chambre. […] Étant donné que mes amis ont tous choisi leur pose, un dialogue s’est créé très naturellement dès le début entre le sujet et l’observateur.”

“Journal intime”

Représenter l’intime et vouloir dévoiler le caché impliquent d’interroger cette relation entre les regardant·e·s et regardé·e·s. Tandis que certains personnages des toiles de Norma Trif fixent le public, Maxime Biou aime peindre des personnes qui “se détournent”. “Ce qui m’intéresse plus que de représenter un portrait, c’est de donner à voir un état d’esprit, une certaine situation qui amène à un climat d’introspection. […] Ces figures nous entraînent dans une forme de silence, de calme, qui se trouve au-delà du tableau. C’est en tout cas ce que je cherche à partager avec le public.”

Maxime Biou, Sans titre, 2022.

Ce calme intense fait entrer les œuvres dans le domaine du mystique, jusqu’à s’égarer dans “l’ordre du spirituel”, confirme Marguerite Piard. Norma Trif rend solennelle un état similaire “de méditation, de tranquillité et de bonheur de vivre, en préservant la singularité de chaque personne, […] une atmosphère où la sérénité est triomphante”.

Ainsi, l’intimité sort du cadre des œuvres mêmes, elle propose au public de se laisser envelopper dans une vague semi-consciente, comme une plongée dans un “journal intime” chez Marguerite Piard ou dans l’éphémère du quotidien de Maxime Biou. Révélatrices des désirs et de l’inconscient de leurs auteur·rice·s, les œuvres exposées plongent le public dans un état méditatif, hors de tout contrôle, où l’intimité se pare de visages pluriels et rassurants.

Marguerite Piard, Câlin Mamos, 2023.Marguerite Piard, Câlin Mamos, 2023.

Maxime Biou, Sans titre, 2023.

Norma Trif, Pille Riin et Joonas, 2022.

Marguerite Piard, La main guérison, 2023.

L’exposition collective “Tout près de moi”, présentant le travail de Maxime Biou, Marguerite Piard et Norma Trif, est coprésentée par les galeries Dans les yeux d’Elsa et Mathilde Le Coz jusqu’au 17 juin 2023.