Vous connaissez évidemment les marques Supreme, Obey et l’application de rencontres AdopteUnMec (récemment renommée adopte). Si vous n’avez pas déjà fait le lien, placez les trois logos à côté et vous allez vite vous apercevoir que les identités visuelles de ces trois marques se ressemblent grandement.
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Toutefois, il y a moins de chances pour que vous soyez familier·ère·s avec le travail de l’artiste Barbara Kruger, qui est d’ailleurs en ce moment exposée au MAMC+ de Saint-Étienne, dans le cadre de “House of Dust”. Et pourtant, ses œuvres ont énormément inspiré l’identité visuelle de ces marques, jusqu’à leur logo. Même si, sur la forme, ça se ressemble, le fond est bien différent et on va vous expliquer pourquoi.
Les logos d’adopte, Supreme et Obey.
Barbara Kruger, l’artiste activiste anticapitaliste
Née en 1945 dans une famille de classe moyenne du New Jersey, Barbara Kruger a débuté sa carrière en tant que graphiste pour de nombreux magazines. Elle travaille pour Aperture, House & Garden et Mademoiselle et, progressivement, tend à devenir artiste, à faire entendre sa voix et à porter des messages qui lui sont chers.
Elle ouvrit le bal avec son projet Picture/Readings, un ouvrage qui donne le ton. Sorti en 1978, le livre présente des images accompagnées de textes. La relation texte/image sera au cœur de son travail, tout au long de sa carrière.
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Un an plus tard, elle crée ses premières œuvres phares, telles qu’on les connaît aujourd’hui : une image publicitaire des années 1950, en noir et blanc, accompagnée d’un texte en rouge et blanc, bien visible. La typo ? Tantôt Futura Bold, tantôt Helvetica Ultra Condensed. “L’agressivité des couleurs et des mises en pages renforce la brutalité des codes visuels, qui évoquent les stratégies de surveillance de nos sociétés”, décrit Fabienne Dumont, sur Aware, une plateforme dédiée aux artistes femmes.
Très esthétiques, ces images transmettent surtout ses valeurs et combats, comme le féminisme et la lutte contre le capitalisme, et s’adressent directement au public, à travers des “you”, “us” et notamment “I”, qui l’identifie plus concrètement.
Barbara Kruger, “Promise Us Anything but Give Us Nothing”, 1986, collection MAMC+, achat en 1987. (© Y. Bresson)
“Depuis les années 1980, les séries de l’artiste, qui combinent plus étroitement mots et images, abordent les thèmes de la violence, du pouvoir ou de la sexualité, véhiculés par les médias”, détaille Fabienne Dumont.
Encore aujourd’hui, ses œuvres les plus connues sont Untitled (your body is a battleground), pour le droit à l’avortement ; et Untitled (I shop therefore I am), une critique du consumérisme inspirée de la citation de Descartes : “Je pense donc je suis.”
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Toutefois, même si Barbara Kruger a produit des œuvres originales, sur lesquelles elle peut exercer tous ses droits, elle ne possède aucun droit sur les typographies qu’elle utilise, ou sur un texte blanc écrit dans un rectangle rouge.
C’est pourquoi son travail a largement été reproduit par des marques, bien qu’elles ne soutiennent pas les mêmes luttes qu’elle. Pire encore, celles-ci vont même à l’encontre de ce pourquoi Barbara Kruger a lutté.
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Des copier-collers sans activisme
En 1994, le fondateur de Supreme révèle son logo : le nom de la marque est écrit en blanc sur un fond rectangulaire rouge, police Futura, gras et italique. Tiens, tiens, tiens… Quoi de plus ironique qu’une marque qui “rend hommage” à Kruger, l’anticapitaliste ? L’enseigne de streetwear pour hommes, conçue pour le regard masculin, va aussi à l’encontre du féminisme prôné par l’artiste.
En effet, dans les années 2000, Supreme était à son apogée, et sur ses campagnes, des femmes apparaissaient toutes sexualisées avec un skate ou un texte cachant leurs parties intimes. Rapidement, la marque “des jeunes skateurs” fait le buzz et les célébrités commencent à l’arborer. De nombreuses collaborations voient le jour, notamment avec Louis Vuitton.
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Il faut noter que l’artiste n’a jamais voulu attaquer qui que ce soit. La seule réaction qu’elle a donnée à Supreme était sous la forme d’une œuvre d’art. Révélée lors d’une biennale d’art contemporain en 2017, l’installation était composée d’un shop pour skateurs et d’un skatepark et affichait des textes incriminants comme “Don’t be a jerk” ou “Whose values ?”.
Dans la même veine, AdopteUnMec, une application de rencontres poussant les femmes à “consommer” les hommes, s’est également inspirée, plus récemment, de la signature de Barbara Kruger, devenant “adopte”, en Futura gras et italique.
Encore une fois, le style visuel de Barbara Kruger est imité mais sans ses valeurs et messages engagés. À l’époque, l’application réduisait le champ des possibles amoureux à des relations entre hommes et femmes cisgenres et hétérosexuelles. Heureusement, aujourd’hui, les choses ont changé et l’application est bien plus inclusive.
Campagne d’adopte.
La marque Obey a également “adopté” le même style graphique, sauf que celle-ci a été créée par le street artiste Shepard Fairey, qui prône plus de messages engagés et politiques. Il est notamment connu pour son soutien à la campagne présidentielle de Barack Obama, avec le poster Hope.
Voici, Time, à The Economist… Nombreux sont les médias qui optent pour un mot en blanc sur fond rouge. Toutefois, d’autres magazines plus anciens tels que Life – créé 1883, bien avant l’existence des travaux de Barbara Kruger – ont également la même esthétique. Barbara Kruger ne s’en est elle-même pas un peu inspirée ?
Les logos de Voici, du Time et de The Economist.