Presque une décennie après avoir marqué les esprits avec son premier album Brille, en 2016, Adrien Soleiman, saxophoniste, compositeur, producteur et arrangeur courtisé par la terre entière (Justice, Juliette Armanet, Kavinsky ou encore Malik Djoudi et Philippe Katerine, dont il a coréalisé leurs deux nouveaux albums) est de retour. Et oui, le musicien préféré de ton artiste préféré vient, en effet, de dévoiler son nouveau projet BelleJazzClub, chez naïve/believe, à travers lequel il vient offrir une partition millimétrée mêlant savamment le jazz et la pop, tout en s’appuyant, comme depuis toujours, sur une grande liberté instrumentale. On est allés discuter avec lui de cette nouvelle aventure, mais également de son travail de l’ombre auprès des groupes et musiciens les plus brillants de ces dernières années.
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Konbini | Salut Adrien. On sait bien que les musiciens n’aiment pas trop répondre à cette question, en général, mais comment décrirais-tu ton univers et ton style musical ?
Adrien Soleiman | Effectivement, c’est une question pas évidente car ce n’est généralement pas aux artistes de se décrire, mais plutôt aux journalistes de le faire. Vouloir décrire sa musique et son univers reviendrait à résumer une personne à quelques qualités ou défauts pris à la volée selon un certain angle de vue. Pour y répondre quand même, je dirais que ce que j’essaye de défendre c’est une musique rigoureuse, créative, inspirée, et le plus proche du beau.

© Aurélien Chauvaud
Ces dernières années, tu as travaillé avec de nombreux artistes… Et pas des moindres. Tu nous fais un petit résumé ?
J’ai eu la chance de collaborer avec un panel d’artiste assez différents et tous brillants. J’ai dernièrement co-produit le dernier album de Philippe Katerine et j’ai produit le dernier album de Malik Djoudi. J’assure la direction musicale de la tournée d’Alain Chamfort. Je suis musicien de scène pour Philippe Katerine. J’étais musicien sur la dernier tournée de Juliette Armanet, j’ai joué sur les albums de Justice, de Kavinsky et d’autres encore… Je suis bien occupé et c’est tant mieux. J’ai de la chance.
Comment se déroule la mise en relation avec ces artistes ?
Umh… C’est du réseau, bien sûr, une réputation, mais des relations humaines surtout. Et puis entre copains et copines on s’appelle, on se “branche” sur des projets, les labels entendent parler de nous…
C’est dur d’avoir le rôle du “mec de l’ombre” ou, au contraire, c’est quelque chose que tu apprécies ?
Alors, à vrai dire, je ne me considère pas comme étant un homme de l’ombre. Au contraire : je réponds à une interview pour Konbini dans le cadre de la sortie de mon album [il sourit]. Mais bien entendu, je suis bien moins exposé que les artistes avec qui je travaille et parfois je ne les envie pas forcément.
Quel est le projet récent, avec un autre artiste, sur lequel tu as le plus aimé travailler ?
Le projet le plus récent c’est le dernier album de Philippe Katerine. Je choisis ce projet par chronologie et non par préférence. Pas de jaloux ! Avec Philippe on se connaît maintenant depuis 2016, quasi dix ans. J’ai commencé par faire quelques premières parties à l’époque de mon album Brille, puis j’ai été appelé pour jouer sur sa tournée en 2019-2021, puis il m’a appelé pour ensuite co-produire son dernier album, avec lui et Victor le Masne.
Avec Philippe c’est la liberté de créer, de pousser les idées jusqu’au bout et de ne pas avoir de regret à la fin. C’est assez rare de pouvoir expérimenter autant dans un cadre de “pop music”, disons. C’est tout à fait remarquable. C’est une histoire de fidélité et de confiance. J’adhère totalement à cette vision de la musique.
À l’occasion des Jeux Olympiques de Paris, tu as eu l’occasion de travailler avec Victor Le Masne, l’homme derrière la bande son de cet événement hors du commun. Comment ça s’est fait ?
Avec Victor, on se connaît depuis longtemps et nous avons beaucoup de points communs en terme de parcours et de connaissances théoriques. Victor m’a tout simplement proposé de faire partie du Big Band des JO pour enregistrer une partie de la musique de cette grande fête. Encore un honneur. Une expérience folle et unique. J’ai eu le privilège de jouer avec Lady Gaga au bord de la Seine, aux premières loges. Avec Victor, nous avons aussi co-réalisé le dernier album de Philippe Katerine. Un compagnon de route pour encore longtemps je l’espère.

© Aurélien Chauvaud
Tu as collaboré avec Justice. Tu peux nous raconter les coulisses de cette aventure ?
Justice m’a contacté pour enregistrer des saxophones sur leur musique. À l’époque, c’était le confinement, j’avais le Covid-19, et j’étais isolé sans ma femme et mon fils dans mon appartement parisien. J’étais seul avec mes saxophones et la musique de Justice, et je n’avais plus de goût ni d’odorat… et un sacré mal de tête. Comment l’oublier. Le travail avec Justice, pour rejoindre celui avec Philippe, fut très poussé dans le détail et très précis. J’ai beaucoup apprécié une fois de plus cet échange. Ils sont adorables et je suis très fier de faire partie de ce super disque.
Tant qu’on y est, est-ce que tu peux nous raconter ton travail avec Kavinsky ?
Oui. Il faut savoir que derrière un disque, une session d’enregistrement, il y a toujours une histoire. Alors pour l’album Reborn de Kavinsky, j’étais en balade en famille dans le Marais un dimanche après midi et Victor le Masne (qui produisait l’album de Kavinsky) m’appelle :
Victor Le Masne : “Allo Adrien, ça va ? T’es où ?”
Lui : “Je me balade dans le Marais, pourquoi ?”
Victor Le Masne : “Je suis avec Kavinsky à MotorBass et il veut du sax, t’es chaud ?”
Lui : “Yep, j’arrive”
Voilà, j’ai été cherché mes saxs dans mon studio et j’ai filé direction Motorbass. Kavinsky m’a super bien accueilli et ce fut la session la plus soudaine et spontanée à laquelle j’ai participé. Encore un très bon souvenir.

© Aurélien Chauvaud
Plus récemment, tu as aussi travaillé avec Juliette Armanet.
Juliette, on se croise depuis 2014, on a le même âge et elle s’est faite remarquer avec “L’Amour en Solitaire” au moment ou, moi, je sortais mon EP auto-produit. On s’est vus quelques fois sans jamais vraiment se rencontrer, puis j’ai joué sur son dernier album Brûler le feu et elle m’a appelé pour que j’intègre son groupe pour la tournée. S’en est suivie une tournée de 150 concerts et une belle histoire de vie, intense et mouvementée. Je ne peux être que reconnaissant envers Juliette et cette team de fous grâce à qui j’ai pu vivre une tournée exceptionnelle, qui, elle aussi, me restera en mémoire.
Avec ce projet solo, BelleJazzClub Vol. 1, tu as souhaité composer et te dévoiler sous ton propre nom. C’était une envie ? Un défi ?
En vérité, j’ai déjà fait ce processus en 2014 avec un EP auto-produit sur lequel je chantais mes chansons, puis en 2016 avec mon premier album Brille sorti chez Tôt Ou Tard. Ensuite, la vie a fait que j’ai beaucoup travaillé pour les autres. Il fallait que je m’occupe un peu de moi. Ce n’est pas un défi, je n’ai rien à me prouver, mais de l’envie évidemment. J’ai toujours écrit de la musique, sorti des projets, monté des groupes. C’est une nécessité pour moi, j’ai fait de la musique d’abord pour moi.
Qu’est-ce que cela implique de (re)passer de l’ombre à la lumière ?
Cela implique d’être rigoureux et de s’en occuper sérieusement. J’ai la chance d’avoir des partenaires qui travaillent dur pour le projet et qui m’aident beaucoup. Malgré tout, ça demande un effort de concentration et une certaine organisation car je n’ai pas arrêté pour autant de travailler pour d’autres artistes. Sinon, la promo j’aime ça et les interviews sont toujours une bonne occasion de faire le point sur son parcours et sur ses ambitions à venir.

© Aurélien Chauvaud
Avec cet album, faut-il voir des passerelles avec ton album Brille ?
Alors ça, c’est un peu comme la question de mon style et de mon univers, j’ai l’impression que c’est aux critiques de chercher et de les trouver s’il y en a. Le seul pont évident que je vois, c’est qu’il s’agit de la même personne derrière ces deux albums, donc évidemment, il doit y avoir des similitudes. On ne peut pas créer une musique et l’analyser en même temps, ou la mettre dans des cases. Chacun son travail.
À qui as-tu fais appel pour l’enregistrement des différents instruments de ce projet ?
J’ai fait appel à Louis Delorme, Arnaud Biscay, Maxime Daoud, Elise Blanchard, Adrian Edeline, Marc-Antoine Perrio et Tony Tixier dans un premier temps. J’ai tout simplement fait appel à mes amis de longue date, à ceux avec qui je préfère jouer et partager la musique, à ceux qui, je le sais, me suivent et me font confiance et qui par leur talent m’élèvent avec eux. Dans un second temps, Arthur Simonini a fait de sublimes arrangements de cordes sur certains morceaux et Emma Broughton et Laura Etchegoyhen ont magnifiquement posé leurs voix sur les choeurs du disque. Ensuite, j’ai eu la chance d’avoir Halo Maud, Arthur Teboul et Le Feste Antonacci en invités de marque sur l’album.

© Aurélien Chauvaud
Cet album navigue entre le jazz et la pop, et on le note particulièrement avec la participation de Halo Maud qui a contribué plusieurs projets pop qui ont marqué ces dernières années, de Moodoid à Lescop, en passant par Melody’s Echo Chamber. Comment s’est créée la connexion ?
Avec Maud, on se connaît depuis un moment, mais je dirais que nous nous sommes rapprochés à l’occasion d’une création que nous avons proposée aux Trois Baudets, avec François Marie et Arnaud Biscay. Lors de cet été 2019, nous avons joué douze dates en un mois et demi particulièrement intense. On a appris à se connaître et à partager la scène ensemble. Une expérience inoubliable une fois de plus. Depuis, nous nous suivons mutuellement. Il était tout à fait naturel pour moi de lui proposer de venir chanter sur ce disque.
Qu’est-ce que cela représente de créer de la musique en famille, en l’occurrence, ici, avec ton frère ?
Écoute, avec mon frère, c’est déjà une histoire ancienne puisqu’on partage cette passion depuis notre adolescence. Si ça dure encore aujourd’hui, j’ose imaginer que c’est parce que ça nous convient ainsi. Cela a un certain avantage, l’avantage d’une connexion privilégiée et d’une compréhension de l’autre plus aisée, plus naturelle. C’est aussi très émouvant et c’est un héritage inestimable que nous partageons.

© Aurélien Chauvaud
Est-ce que tu peux nous parler de ta conception de la “liberté instrumentale” ?
La liberté instrumentale, c’est la possibilité pour le musicien d’explorer son instrument au-delà des conventions, de repousser les limites techniques et expressives. Cela peut passer par l’improvisation, l’exploration de nouvelles sonorités ou même la réinvention du phrasé. Pour l’album, nous étions libres, par définition en tant que musicien et dans un cadre “jazz” de surcroît. Je suis parti de mémos vocaux enregistrés au fil des années et retranscrits pour en faire une bible que j’ai distribuée aux musiciens. De morceaux écrits à de simples idées harmoniques ou rythmiques, nous construisions ensemble ce qui allait devenir les morceaux de l’album. Il existe toujours des contraintes et la liberté en a sûrement besoin pour avoir un meilleur goût.
L’album BelleJazzClub Vol.1 est disponible sur toutes les plateformes., et on vous le recommande chaudement. Aussi, pour le voir en concert : release party à la Maroquinerie le 18 mars 2025.