Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur.
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Benedetta, c’est quoi ?
Pas facile d’être Paul Verhoeven. Pas facile d’être un brillant cinéaste, qui essaye d’insuffler une vision forte, provoc certes mais toujours pertinente, dans tous ses projets, quitte à se retrouver sur le bas-côté. Car que l’on regarde sa première partie de carrière académique chez lui aux Pays-Bas, son passage à Hollywood avec des blockbusters généreux et cultes (Starship Troopers, Robocop, Basic Instinct, pour ne citer que ceux-là) ou plus récemment ses incursions dans le drame à la française, on retrouve malgré les différences de forme toujours son ADN : de l’audace, de la provocation, des idées politiques frontalement exposées, des femmes fortes, et du sexe. Beaucoup de sexe.
Depuis des années, on nous tease ici et là le grand retour du bonhomme. Virginie Efira la première, qui depuis deux-trois ans, parle à chaque interview de ce film qu’elle a fait avec le grand Verhoeven. Il faut dire que l’ambition de ce fameux Benedetta, présenté ce vendredi 9 juillet au Festival de Cannes 2021, est assez colossale — plus encore que Elle, son précédent long qui lui avait valu une pluie de récompenses et de critiques acerbes.
Ici, le réalisateur a mis les petits plats dans les grands pour nous raconter l’histoire (vraie) de sœur Benedetta, une nonne italienne placée au couvent de Pescia en Toscane durant le XVIIe siècle. Cette dernière est connue pour avoir clamé à qui bien voulait l’entendre qu’elle conversait avec Jésus. Présentée d’abord comme une sainte tenant du miracle, le clergé y verra finalement une supercherie, et découvrira au passage que cette dernière avait des relations sexuelles avec Bartolomea, une autre religieuse du même couvent.
Pourquoi c’est bien ?
On se doutait qu’on ne tomberait pas dans le kitsch ou le ridicule, mais force est de reconnaître que Benedetta impressionne par bien des aspects, à commencer par son ampleur. Avec un budget de 20 millions d’euros, Verhoeven se fait plaisir et propose une reconstitution d’époque soignée sans aucun défaut. Tout est crédible, des décors aux costumes, des dialogues à la musique. Ce qui permet, par la suite, de laisser au cinéaste faire ce qu’il sait faire le mieux : organiser le chaos.
Car Benedetta, derrière cette jolie façade, est une pièce, un drame, qui va exploser dans le plus grand des fracas. Une histoire d’ascension et de descente aux enfers, littéralement, que l’on croirait voir ici de la littérature classique. La forme reprenant souvent le fond chez Verhoeven, cela se traduit directement par ce qu’on voit à l’image. La force du propos est d’essayer de ne pas montrer aux spectateurs si Benedetta est bel et bien l’élue, ou une arnaque. Cependant, sa première rencontre avec Jésus se déroule durant une représentation, laissant deviner la potentielle mise en scène d’un récit que va construire cette sœur dont le but semble de gagner en galons et en pouvoir au sein du couvent.
Mais qu’il s’agisse d’un leurre ou d’une réelle vision, là n’est pas l’important. Le propos de Verhoeven se situe ailleurs. Il se joue de la réalité, oui, mais ce n’est pas ce qui l’intéresse. Le propos du film semble se situer dans ce qu’il raconte des rapports de force au sein de l’Église, du patriarcat virulent de ce clergé qui voit en toute femme une potentielle putain (mot maintes fois utilisé par le personnage de Lambert Wilson, qu’on croirait sortir de Matrix : Reloaded) et de la manière dont une femme, comme souvent chez Verhoeven, va essayer de monter en puissance malgré la violence à laquelle elle est confrontée.
Ce qui prime, c’est sa liberté. Sa liberté d’être une prodige, d’avoir sa sexualité, de choisir sa vie, elle à qui tout a toujours été dicté. Et pour ce faire, Verhoeven surprend. Il rend sa mise en scène plus discrète, même dans ses scènes de sexe — il raconte avoir embauché une directrice de la photo, pour que la vision de celle-ci brise le potentiel “Male Gaze” de son auteur. L’aspect érotisant de l’histoire est ainsi atténué, malgré une très forte nudité de ses actrices. Et tant mieux presque. Car cela lui permet de se concentrer ailleurs, et de mettre le paquet sur sa direction de casting, qui n’a strictement aucun défaut.
Charlotte Rampling ? Absolument incroyable en mère stricte qui se retrouve bloquée face à cette folle. Lambert Wilson ? Parfait en salaud refusant qu’une femme puisse jouir de tous ses succès, et de jouir tout court. Daphné Patakia ? Impressionnante de justesse, que ce soit dans ses excès de folie comme dans ses moments de silence où tout passe par son regard si noir et si perçant.
Mais la palme revient bien évidemment à Virginie Efira, qui transforme ce pari bâtard de jouer une nonne possédée en réussite. Plus personne ne doutait du talent de celle-ci, mais Verhoeven vient clouer le bec à tout le monde en criant haut et fort : “la meilleure actrice du cinéma français est belge et si vous ne lui avez encore jamais donné de rôle à la hauteur de son talent, je vais le faire à votre place“. Et rien que pour ça, rien que pour la démonstration de force de la part d’une Virginie Efira d’une générosité et d’une justesse parfaite.
Une fois tout maîtrisé, Verhoeven se permet malgré tout de s’amuser. S’autorise des scènes d’hallucinations (ou de réel contact avec le divin, qui sait) grotesques et kitsch, de l’humour là où l’on ne penserait pas en voir, d’ajouter de la provocation sans doute gratuite (oui, on pense à la croix transformée en godemiché) mais qui fait son effet malgré tout, et même un peu de flatulences enflammées.
Preuve à qui en doutait encore qu’à 82 ans, Paul peut offrir du grand spectacle, du spectacle réaliste, du spectacle incroyablement bien incarné, avec une forme de provocation salvatrice.
Qu’est-ce qu’on retient ?
L’actrice qui tire son épingle du jeu : Virginie Efira, évidemment.
La principale qualité : un récit fort, une vision cinglante et une actrice qui donne le meilleur d’elle-même.
Le principal défaut : quelques longueurs.
Un film que vous aimerez si vous avez aimé : Au nom de la Rose, et la filmographie de Verhoeven de manière générale.
Ça aurait pu s’appeler : ‘Jesus, Bartolomea, et les autres’
La quote pour résumer le film : Un Oscar pour Virginie Efira, et vite !