“C’est un système qui reproduit les inégalités” : cette expo s’intéresse à l’incarcération de masse

“C’est un système qui reproduit les inégalités” : cette expo s’intéresse à l’incarcération de masse

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Par Konbini avec AFP

Publié le , modifié le

L’exposition présente tableaux, sculptures et photos d’artistes ayant été emprisonné·e·s ou ayant eu des proches derrière les barreaux.

L’affiche de l’exposition du centre Schomburg, à New York, sur l’incarcération de masse aux États-Unis rappelle de tristes souvenirs à de nombreux·ses passant·e·s du quartier de Harlem : c’est la photo d’un homme noir, accroupi, de dos, semblant attendre. “Elle attire beaucoup l’attention des passants”, explique Nicole Fleetwood, commissaire de l’exposition “Marque du temps : l’art à l’époque de l’incarcération en masse”. “Harlem est un quartier culturellement emblématique au niveau mondial, avec son taux élevé d’incarcérations”, ajoute-t-elle, soulignant que le cliché de Larry Cook semble “très familier” pour les habitant·e·s.

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L’exposition présente tableaux, sculptures et photos d’artistes ayant été emprisonné·e·s ou ayant eu des proches derrière les barreaux, à l’instar de Larry Cook, avec plusieurs de ses oncles dans ce cas. Les critiques du système judiciaire états-unien mettent souvent en avant le taux d’emprisonnement par habitant·e exceptionnellement élevé. C’est la preuve que ce dispositif doit changer. L’exposition au Centre de recherche sur la culture noire états-unienne s’intéresse aux conséquences psychiques, ou “état carcéral”.

Méditation

Une série de portraits d’hommes incarcérés finement dessinés au crayon noir fait partie des œuvres les plus marquantes présentées au centre Schomburg. L’artiste Mark Loughney, emprisonné dix ans sur la base d’accusations liées à des incendies volontaires, explique à l’AFP les avoir réalisés quand il disposait d’une vingtaine de minutes dans des espaces communs comme des salles de sport. Malgré le brouhaha omniprésent dans cette prison qui abritait quelque 2 000 détenus, l’expérience était “très méditative” pour les modèles et pour lui, se souvient-il.

“Pour beaucoup de ces mecs, je pense que c’était très significatif”, avance-t-il. “Le simple fait de participer à quelque chose où ils pouvaient exprimer leur individualité, leur identité et leur humanité.” Il a commencé à dessiner des portraits de codétenus qui voulaient envoyer leur portrait à leur famille pour gagner de l’argent pour l’économat de la prison. Mais après l’exposition d’une centaine de dessins organisée en 2017 dans sa ville natale en Pennsylvanie par des proches, il a réalisé le potentiel de ses créations pour exprimer davantage.

À Harlem, des enfilades de portraits de détenus sont suspendues en rangées sur cinq murs de la galerie. La très grande majorité des 770 modèles à l’expression sobre ne sont pas blancs. Leur nom n’est pas indiqué, tout comme la raison de leur incarcération. “La prison est une façon d’effacer les gens”, relève M. Loughney. “Quand vous regardez ces portraits, chaque visage a une histoire.” Libéré en 2022, il veut continuer son projet en dessinant des militant·e·s contre l’incarcération de masse. “J’ai désormais une mission”, estime-t-il. “L’incarcération massive n’est pas une chose à laquelle les gens pensent ou dont ils parlent. Et je pense que c’est l’un des problèmes les plus saillants dans notre pays.”

Itinérance

Quelque 5,4 millions de personnes vivent sous la supervision du système pénal aux États-Unis, dont 1,8 million se trouvent en prison et le reste vit en liberté conditionnelle, d’après le Bureau des statistiques de la justice. Le taux d’incarcération états-unienne est environ cinq fois supérieur à celui de la France et de l’Italie et huit fois à celui de l’Allemagne, d’après la base de données World Prison Brief. La population carcérale est dominée par les minorités ethniques, les personnes précarisées, les immigré·e·s et les toxicomanes, selon Mme Fleetwood, professeure de culture des médias et de communication à l’université NYU.

“C’est un système qui reproduit les inégalités et qui continue d’appauvrir et de rendre vulnérables des gens déjà à la marge de la société”, déplore celle qui a lancé ce projet il y a plus de dix ans, en partie par “chagrin” pour des membres emprisonnés de sa famille. Elle rencontrait de plus en plus de gens ayant vécu la même expérience. Son projet a grossi jusqu’à sa première exposition en septembre 2020 au MoMA PS1, antenne du musée d’Art moderne de New York, avant de voyager dans plusieurs États. À chaque étape, les œuvres ont évolué. La commissaire espère d’autres escales, peut-être au Canada ou en Europe. “Les gens sont en admiration”, confie-t-elle. “Et ils repartent encore plus déterminés que jamais à mettre fin au système pénal qui enferme actuellement des millions de personnes.”