Ce projet photographique invite les sans-abri à documenter leur quotidien

Ce projet photographique invite les sans-abri à documenter leur quotidien

Image :

© Matt Collamer/Unsplash

photo de profil

Par Konbini avec AFP

Publié le

"La plupart du temps, ces personnes ne sont ni vues ni entendues. Ces photos nous permettent de découvrir leur vie privée, pleine de couleurs, d’amour et de tours de la ville."

Daniel Skupio, un sans-abri de Varsovie, se penche sur une table de pique-nique couverte de photos sur papier glacé. Il en choisit une qui représente sa cousine : bras ouverts et sourire adressé au soleil. “Elle est en noir et blanc, mais saisit bien un instant de joie, de liberté”, explique Skupio, âgé de 27 ans, exhibant un scorpion tatoué sur sa main. D’autres participant·e·s à “Picture it!”, une initiative centreuropéenne consistant à distribuer des appareils photo jetables à des SDF, ont rejoint Skupio dans un parc de la capitale polonaise, pour rencontrer une journaliste de l’AFP. L’objectif de ce projet transnational, qui a débouché sur une exposition à Budapest, était de changer l’image des sans-abri dans la société.

À voir aussi sur Konbini

“La plupart du temps, ces personnes ne sont ni vues ni entendues, ou alors sous un angle très négatif”, indique à l’AFP Nora Bagdi, coordinatrice du projet. “Les photos nous permettent de découvrir leur vie privée, pleine de couleurs, d’amour et de tours de la ville”, souligne-t-elle. Des dizaines de participant·e·s tchèques, hongrois·es, polonais·es et slovaques ont tout photographié : des repas partagés aux animaux de compagnie, en passant par les reflets des flaques d’eau et l’heure dorée. Dirigé par la Fondation hongroise Menhely qui vient en aide aux sans-abri, le projet a été soutenu par le fonds international Visegrad.

“Des photos, moi ?”

Quand des appareils argentiques jetables ont été distribués pour la première fois, les réactions ont été mitigées : certain·e·s ont relevé le défi, mais d’autres ont estimé n’avoir rien à offrir. Les participant·e·s “se disaient : ‘Des photos, moi ? Mais pourquoi ? Qu’est-ce que je suis censé·e montrer ?’ Une nouvelle fois, c’était un manque de confiance en soi”, dit Izabela Kruzynska, coordinatrice en Pologne. “Nous avons dû les soulager de ce fardeau, leur dire que tout ce qui se trouve autour et qui attire leur attention est bien”, ajoute-t-elle.

Skupio, lui, a été emballé par l’idée. Au bout de quelques jours il a même manqué de pellicules. Ces sans-abri se sont connu·e·s au sein d’une troupe de théâtre pour sans-abri, aujourd’hui disparue, qui, comme le projet photo, leur offrait la possibilité d’oublier leurs problèmes. “Je suis vraiment fier de moi d’avoir réussi à m’en sortir […], de chercher des façons de passer mon temps pour ne plus avoir d’idées stupides”, insiste Skupio. Sa vie a été marquée par la violence, l’addiction et les nuits passées dans la rue. Le tournant s’est produit le jour où il s’est réveillé sur l’herbe humide, tout mouillé, encore sous l’effet d’une poudre blanche et une bouteille vide dans sa poche.

“Une nouvelle personne”

Depuis six ans, Skupio reste sobre, vit dans un centre pour sans-abri, prépare son diplôme de fin d’école secondaire. “Je suis la preuve vivante qu’on peut se sortir de n’importe quelle situation, abandonner n’importe quelle substance et recommencer sa vie”, dit-il fièrement. Ouverte jusqu’à la fin de novembre, l’exposition de Budapest est l’unique endroit pour l’instant où l’on peut voir un choix de quelques dizaines de photos nées lors du projet. L’une d’entre elles, en noir et blanc, prise par Slawomir Plichta, 54 ans, montre un porte-vélos vu de la perspective d’une fourmi, les arches métalliques formant un tunnel avec une personne minuscule au bout.

“Je n’ai pratiquement pas lâché l’appareil pendant tout ce temps… Je me suis contenté de me promener à la recherche de choses intéressantes”, indique-t-il à l’AFP. Cela n’aurait pas été possible s’il avait continué à dormir dans la rue et à boire. Aujourd’hui, après un an de sobriété et un retour récent en appartement, M. Plichta ne prend pas son abstinence comme acquise, même s’il considère avoir bien changé. “À l’époque, je n’aurais pas parlé comme ça. Je serais resté sans mot dire. Aujourd’hui, plus de soucis, je suis une nouvelle personne, ouverte aux gens, souriante”, se réjouit-il.