Cannes : L’amour pas si ouf de Gilles Lellouche

Cannes : L’amour pas si ouf de Gilles Lellouche

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Par Manon Marcillat

Publié le , modifié le

L’Amour ouf maquille les bleues d’une histoire d’amour manquée sous un film de gangsters.

Au cours du Festival de Cannes, Konbini vous fait part de ses coups de cœur ou revient sur les plus gros événements de la sélection.

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L’Amour ouf, c’est quoi ?

Projeté à quelques jours de la fin du Festival et très attendu sur la Croisette, le film de Gilles Lellouche est venu conclure une Compétition peu gâtée en fulgurances et en évidences. Après Narco et Le Grand Bain, une comédie très réussie sur des aspirants champions de natation synchronisée dépressifs, il revient à la réalisation avec L’Amour ouf, annoncé comme une grande fresque amoureuse façon comédie musicale portée par le couple Adèle Exarchopoulos et François Civil, secondés par une pléiade d’acteurs populaires, Alain Chabat, Benoît Poelvoorde, Jean-Pascal Zadi, Raphaël Quenard ou Vincent Lacoste.

Gilles Lellouche, Ahmed Hamidi et Audrey Diwan ont construit les fondations du film sur le roman de l’Irlandais Neville Thompson, Jackie Loves Johnser OK ?,  épaulés de 35,7 millions d’euros — le troisième plus gros budget français derrière Le Comte de Monte-Cristo et le biopic d’Antonin Baudry sur Charles de Gaulle — pour mettre cette histoire en images. Ainsi, pendant 2 h 45, L’Amour ouf nous dresse le tableau romantique mais surtout cabossé de l’histoire d’amour de Jacqueline, alias Jackie, orpheline de mère, élevée par un père aimant, sérieuse mais rebelle, et Clotaire, un garçon frondeur et turbulent qui occupe ses journées de petites magouilles et de grand banditisme, d’un braquage de flamby pour régaler sa bien-aimée au camion d’un convoyeur de fonds.

Tombés immédiatement amoureux à l’issue d’une joute verbale à la sortie du bus, Jackie (Mallory Wanecque) et Clotaire (Malik Frikah) vont vivre une histoire d’amour adolescente et passionnée jusqu’à ce que dernier soit envoyé en prison pour l’homicide volontaire qu’il n’a pas commis. À sa sortie, douze ans plus tard, il n’a que Jackie en tête, il a appris par cœur les 457 adjectifs du dictionnaire qui la caractérisent le mieux et il veut la retrouver. Elle est désormais mariée et malheureuse en ménage avec un représentant commercial jaloux (Vincent Lacoste) et elle ne l’a évidemment pas oublié non plus.

Mais c’est bien ?

Un tel argumentaire pourrait laisser présager une comédie romantique ronronnante mais L’Amour ouf n’est ni sentimental, ni même musical, à l’exception de deux séquences dansées, et préfère mêler les sentiments à beaucoup de violence tandis que côté mise en scène, Gilles Lellouche explose tous les compteurs. Il plante le décor de son film dans le Nord de la France des années 1980, celle des commerces pittoresques, des docks industriels, des cabines téléphoniques, des couchers de soleil et des éclipses solaires, bande-son rock’n’roll en toile de fond, au service d’une imagerie nouvelle dans le cinéma français qui pencherait plutôt vers des modèles américains.

Se succèdent à l’écran mille idées de mise en scène à la minute, des cadrages ingénieux, des travelings inspirés, des effets spéciaux bien sentis et l’enchaînement des fulgurances d’un grand metteur en scène qui se met en danger impressionne, dans un film qui ne ressemble à aucun autre avec près de trois heures sans temps mort. Mais trop occupé à sa mise en scène, Gilles Lellouche délaisse un scénario qui patauge et entre braquages et amour fou et son film ne trouve jamais vraiment sa voix.

Le réalisateur s’accorde près d’une moitié de film pour construire son histoire adolescente et si les élans de romantisme de Clotaire et une jolie première fois filmée avec délicatesse séduisent, cette idylle s’étire sans pour autant faire avancer l’histoire ni leur histoire. Le garçon enchaîne les casses qui nous intéressent peu, la jeune fille l’attend, rêveuse ou éplorée. Sa rébellion que l’on entr’aperçoit au début du film n’est plus et Jackie n’existe pas à l’écran.

Mallory Wanecque délaisse l’énergie colérique qui l’avait révélée dans Les Pires l’an dernier à Cannes et sort de son registre habituel pour incarner cette Jackie passionnante sur le papier mais les lignes de dialogues bien peu inspirées qu’elle, et tous les protagonistes du film, délivrent font retomber tout le souffle de cet amour adolescent. Le véritable amour ouf est finalement celui qui lie Jackie à son père veuf (Alain Chabat) et chaque scène qu’ils partagent, de tendresse, d’émotion, de maladresse ou de conflit, nous serre le cœur.

Si après une heure de film, on espère voir l’histoire changer de point de vue pour enfin embrasser celui de l’amour et inverser la dynamique entre Jackie et Clotaire désormais adultes, jamais les scénaristes n’assumeront la grandeur de l’histoire qu’ils veulent raconter, préférant se cacher derrière un amour plus violent et toxique que fou, où les hommes cognent sur tout et où les femmes attendent et pardonnent, qui lasse.

Alors qu’on pensait avoir enfin atteint le climax romantique du film dans un face-à-face très attendu entre deux amoureux qui se retrouvent, après douze ans d’attente, le réalisateur, impressionné par ces retrouvailles, choisi d’amputer la scène, pourtant magnifiquement interprétée par une Adèle Exarchopoulos totalement sous-exploitée, qui délivre ici le seul monologue un peu inspiré du film. Jusqu’à sa conclusion à rebours mais simpliste dans sa prise d’otage scénaristique, L’Amour ouf maquille les bleus d’une histoire d’amour manquée sous un film de gangsters dont on ne voulait pas.

On retient quoi ?

L’actrice qui tire son épingle du jeu : Adèle Exarchopoulos, impériale comme toujours, même si sous-exploitée dans ce rôle.
La principale qualité : une mise en scène ambitieuse et très inspirée.
Le principal défaut : un scénario qui fait fausse route et des dialogues très plats.
Un film à voir si vous avez aimé : La La Land de Damien Chazelle, Jeux d’enfants de Yann Samuell, History of Violence de David Cronenberg.
Ça aurait pu s’appeler : Vie et mort de Clotaire
La quote pour résumer le film : “Un film qui n’assume jamais la grandeur de l’histoire qu’il veut raconter et maquille les bleus d’une histoire d’amour manquée sous un film de gangsters.”