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À Cannes, Léa Mysius confirme qu’elle est un talent du cinéma français à surveiller de près

À Cannes, Léa Mysius confirme qu’elle est un talent du cinéma français à surveiller de près

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Par Manon Marcillat

Publié le

On a rencontré la réalisatrice du remarqué Ava, qui revient avec une nouvelle histoire d’enfant bien étrange.

Immergée dans l’iceberg du cinéma français, Léa Mysius, 33 ans, est déjà une habituée de la Croisette. Diplômée de la section scénario de la Fémis, elle a apporté sa plume aux scénarios des plus grands : André Téchiné, Claire Denis, qui présente cette année à Cannes le fruit de leur collaboration Stars at Noon, Arnaud Desplechin, qui lui a donné l’envie d’écrire pour le cinéma lorsqu’elle était adolescente, ou encore Jacques Audiard, qui a fait appel à elle et à Céline Sciamma pour scénariser Les Olympiades, son virage cinématographique plus jeune, plus féminin et plus parisien.

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“Dans mon enfance, c’était les livres qui étaient sacrés et non les films. Mais, à l’adolescence, ça s’est transformé, notamment grâce aux films d’Arnaud Desplechin, avec lesquels je me suis rendu compte qu’on pouvait faire de la littérature au cinéma. Ça a changé mes perspectives.”

Par son activité de scénariste, Léa Mysius met donc ses idées, ses lectures, ses souvenirs ou ses observations au service des réalisateurs qu’elle admire. Et plus elle invente d’histoires, plus elle a l’impression qu’il lui en reste à inventer.

“Mais j’ai toujours séparé le fait d’écrire pour moi et pour quelqu’un. Je peux tout donner à un réalisateur maintenant que j’ai compris que je ne donnais pas des idées qui pourraient être dans mes films. Il ne faut pas travailler avec des réalisateurs vampires qui prennent ta sève plutôt que ta technique.”

Ses obsessions personnelles, sa sève, donc, elle les garde pour ses films à elle. Car en 2015, la scénariste est passée du côté émergé de l’iceberg, et après trois courts-métrages, elle est officiellement devenue réalisatrice en signant Ava, son premier long-métrage remarqué. Au casting, on retrouve Noée Abita avec sa première apparition à l’écran : c’est une révélation.

Cette année, elle transforme l’essai et confirme qu’elle est un talent du cinéma français à suivre de près avec Les Cinq Diables, une histoire de secrets de famille vue à travers les yeux d’un enfant, présentée à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes.

Cinq sens et quatre éléments

Lorsqu’elle signe un scénario, Léa Mysius a prouvé qu’elle savait se plier à différents univers. Elle attend même qu’on lui propose d’autres projets, comme des comédies. Quand elle est derrière la caméra, en revanche, c’est un univers bien à elle qu’elle déploie, un univers de contes fantastiques qui prend racine dans les cinq sens et les quatre éléments et peuplé d’enfants énigmatiques aux infirmités ou aux sens surdéveloppés.

Dans ses trois premiers courts-métrages, Cadavre exquis, Les Oiseaux-tonnerre et L’Île jaune, il était déjà question d’une fillette fascinée par un cadavre, d’une jumelle qui boite, d’un jumeau incestueux et d’un adolescent au visage défiguré exilé sur une île inquiétante. Léa Mysius n’a ensuite pas échappé à la règle tacite qui veut que les premiers films soient fréquemment à hauteur d’enfants, une période de la vie sur laquelle chaque cinéaste a du recul et qu’elle trouve très belle lorsqu’elle n’est pas édulcorée.

“Cette obsession pour les enfants étranges me vient d’un sentiment que j’avais d’être un peu différente, mais comme tous les enfants, je pense. Moi, je n’avais pas d’infirmité, mais je louchais. Je suis très habitée par mon enfance et j’ai plusieurs figures enfantines de la littérature et du cinéma qui m’ont marquée. Mais je vais grandir et faire des films d’adulte, maintenant !”

Dans Ava, elle chroniquait donc les grandes vacances en bleu et jaune d’une adolescente énigmatique qui perd peu à peu la vue. Dans Les Cinq Diables, elle filme Vicky, une fillette dotée d’un odorat surdéveloppé, que les odeurs transportent dans le passé de sa mère, maître-nageuse et Miss Rhône-Alpes déchue, qu’elle adore.

Après le soleil des bords de mer, la réalisatrice s’est déplacée dans le froid et les paysages à la fois suffocants et grandioses d’une vallée enclavée des Alpes. Ils lui ont aussi permis de filmer la France différemment et d’y incorporer des problématiques sociales plus assumées, dans un film de genre ancré dans la réalité des campagnes françaises, un peu à la façon de Teddy des frères Boukherma.

Si, dans ses premiers courts-métrages, elle choisissait des handicaps physiques cinégéniques, un boitement ou une brûlure, par exemple, pour ses longs-métrages, Léa Mysius a choisi de travailler sur les sens, en perdition ou surdéveloppés, moins palpables et donc beaucoup plus difficiles à mettre en scène, mais dont résultent des films hautement sensoriels. Dans celui-ci, on retrouve le volcan Adèle Exarchopoulos, une actrice à la sensorialité qui ne s’explique pas.

“On me demande souvent si je vais traiter des cinq sens. Je ne pense pas, mais tous m’intéressent. Et le toucher traverse tous mes films.”

Dans Ava, un gros travail de photographie a été accompli pour représenter cette vision qui, peu à peu, disparaît. Dans Les Cinq Diables, il s’agissait de filmer l’invisible, des fluides, des odeurs qui convoquent les souvenirs, sollicitent la mémoire et permettent à la petite Vicky de voyager dans le temps et de révéler les images cachées de la vie de sa mère. En mêlant naturalisme et fantastique, Léa Mysius interroge, avec sa manière bien à elle, le poids des secrets familiaux que l’on transmet aux générations suivantes. Et qu’elle devienne adulte ou reste coincée en enfance, elle est un talent à suivre de près.

Les films de la Quinzaine des Réalisateurs seront projetés bien avant leur sorties en salle au Forum des Images du 16 au 26 juin.