5 livres à lire pour assurer la succession… de Succession

5 livres à lire pour assurer la succession… de Succession

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(© HBO / Warner / Dupuis / Liana Levi)

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Par Leonard Desbrieres

Publié le

Pas d’inquiétude, la littérature regorge d’empires familiaux, de luxe et de luxure, de pères omnipotents et de guerres d’héritage.

À la fin de chaque monument sériel, c’est la même rengaine, la même angoisse, un mélange de tristesse et de peur face au vide abyssal que laisse une fiction qui toutes les semaines, pendant de longues années, nous a bercés, enchantés, révoltés. Qui va bien pouvoir remplacer ces personnages qu’on a tant aimés, adorés ou détestés ? Comment abandonner cet univers lentement façonné qui est devenu comme un second lieu de vie ?

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Succession n’échappe pas à la règle. Depuis 2018, le nouveau bijou made in HBO, créé par Jesse Armstrong, a conquis les téléspectateurs parce qu’il propose une plongée à la fois drôle et corrosive, touchante et déchirante au cœur d’une guerre d’héritage sans merci que se livrent les enfants de la famille Roy, une des familles les plus riches des États-Unis, à la tête d’un conglomérat colossal, fondé par un patriarche qui réfléchit à passer la main.

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Fresque satirique des ultra-riches qui se noient dans leurs vices et névroses, lutte de pouvoir intestine entre stratégies et coups bas, drame familial sur le délitement d’une fratrie rongée par l’ambition et la soif de l’argent : une recette explosive menée de main de maître du premier au dernier épisode qui fait de Succession une des séries les plus magistrales de ces dernières années.

Si pour vous comme pour nous, les adieux sont douloureux, voici quelques lectures pour continuer l’aventure.

Successions : L’argent, le sang et les larmes de Raphaëlle Bacqué et Vanessa Schneider

(© Albin Michel)

Les guerres de succession ne sont pas que de redoutables ressorts scénaristiques, elles existent bel et bien dans le monde réel. Plus particulièrement en France, où la grande majorité des géants industriels, médiatiques et financiers sont des empires familiaux dont la puissance et la fortune incomparables se transmettent par le sang. C’est en partant de ce constat, de cette idée que dans l’Hexagone la série Succession se décline en de nombreux spin-off tous plus haletants les uns que les autres, que deux reporters emblématiques du journal Le Monde, Raphaëlle Bacqué et Vanessa Schneider, ont bâti l’année dernière une incroyable série d’été sur les traces des grandes familles françaises. Une dizaine d’enquêtes au long cours qui sont rassemblées aujourd’hui dans un livre follement romanesque.

On plonge au plus profond des secrets enfouis des dynasties les plus connues comme les Bolloré, les Arnault, les Lagardère, on découvre aussi certaines familles plus discrètes mais tout aussi puissantes comme les Seydoux, les Mulliez ou les Gallimard. Avec un sens du storytelling qui fait le sel de leur reportage, ces deux plumes éblouissantes interrogent la transmission et l’héritage, racontent les liens du sang pourris par l’argent. Elles mettent en scène des tragédies grecques déchirantes. Des pères castrateurs, des fils avides de revanche voire de vengeance, des haines féroces, des trahisons impardonnables, des outsiders qui raflent tout : oubliez Succession, la réalité dépasse la fiction.

La Splendeur des Brunhoff d’Yseult Williams

(© Fayard)

Les success stories familiales sont d’abord d’inépuisables machines à rêve. Les dynasties glorieuses, à la destinée hors du commun, nous inspirent et sont racontées dans les livres d’Histoire et dans les plus beaux romans. Avec La Splendeur des Brunhoff, la journaliste Yseult Williams, ancienne rédactrice en chef du Grand Journal, retrace l’itinéraire d’une famille méconnue mais parmi les plus brillantes de l’intelligentsia française du XXe siècle.

Dans la fratrie “tout ce que je touche se transforme en or”, il y a d’abord l’aînée, Cosette de Brunhoff qui, avec son mari Lucien Vogel, lance en 1920 la version française de Vogue, la bible de la mode, et fonde, en 1928, Vu, l’ancêtre de Paris Match. Leur fille, Marie-Claude Vaillant-Couturier, résistante, femme politique et photoreporter fut la première, lors d’un séjour en Allemagne en 1933, à capturer un cliché d’un camp de concentration, celui de Dachau. Il y a aussi le cadet, Michel de Brunhoff, homme de presse et de mode, rédacteur en chef de Vogue, le découvreur de talents, de Christian Dior et d’Yves Saint Laurent. Il y a enfin le benjamin, Jean de Brunhoff, créateur de Babar, un des plus célèbres personnages de la littérature enfantine. De la Belle Époque aux dernières lueurs de la Seconde Guerre mondiale, Yseult Williams tente de comprendre comment une seule lignée peut abriter autant de talents. Elle raconte la trajectoire grandiose d’une famille qui, plutôt que de la subir, a décidé de faire l’Histoire.

Mécanique de la chute de Seth Greenland

(© Liana Levi)

Quoi de plus satisfaisant que de voir faillir les puissants, de voir sombrer des milliardaires arrogants qui se croyaient jusque-là intouchables ? Jay Gladstone est l’héritier d’une immense fortune, d’un empire financier bâti par ses ancêtres juifs immigrés d’Europe centrale au début des années 1920. Il est riche, beau, séducteur. Pour s’amuser et se faire mousser, il s’est même payé une équipe de basket. “La vie de rêve”, dirait Al Pacino dans Scarface. Mais un accident, pourtant en apparence anodin, va subitement précipiter sa chute. Peu à peu, le vernis se craquelle, les dorures se fissurent et le géant vacille.

Avec une précision clinique, Seth Greenland raconte l’effondrement d’un homme autant que d’un Empire. Il détourne avec un humour féroce le mythe américain du self-made-man, il le retourne même en racontant la descente aux enfers d’un héritier né avec une cuillère en argent dans la bouche mais qui va tout gâcher en beauté. Il se moque de son personnage mais, au fond, il le plaint. Il est victime d’une société américaine impitoyable, d’une machine à broyer les êtres quelle que soit leur origine sociale. Si pour la dynastie Gladstone, il n’y aura plus d’héritiers, dans la littérature américaine en revanche, la succession est assurée. On a trouvé le nouveau Tom Wolfe et un chef-d’œuvre à la hauteur du Bûcher des vanités.

Profession du père de Sorj Chalandon

(© Grasset)

Si dans la série Succession, il est un personnage au centre de toutes les tensions, c’est bien la figure du patriarche, le fondateur de l’empire Waystar Royco, Logan Roy. Cette bête de négociation, de manigances, ce monstre de charisme et d’autorité tire les ficelles, manipule ses enfants. Il les jette dans la fosse aux lions pour éprouver leur tempérament. Cruel, arrogant, il se plaît à jouer avec ces ridicules prétendants au trône. Si le sujet est radicalement différent. Un roman interroge mieux que n’importe quelle autre œuvre l’emprise paternelle mortifère qui peut marquer à jamais un enfant.

Dans Profession du père, Sorj Chalandon utilise le bouclier de la fiction pour raconter son enfance traumatique auprès d’un père dément. Un héros de roman qu’il a longtemps admiré avant de comprendre et de subir le mal qui le rongeait. Tour à tour chanteur, footballeur, professeur de judo, parachutiste, espion ou pasteur, ce père invente sa vie, prend part à tous les événements majeurs et embarque son fils avec lui dans son conte de fées. Mais cet imaginaire tendre et poétique se mue en violence brutale quand il se heurte à la réalité. Pris au piège des délires de ce père démiurge, Sorj Chalandon alias Émile, se débat tant qu’il peut, tente d’exister, de s’affirmer mais finit toujours par déchanter. L’adage freudien dit qu’il faut tuer le père pour exister. Shiv, Roman, Connor et Kendall ont mis du temps à l’accepter.

Largo Winch de Philippe Francq et Jean Van Hamme

(© Dupuis)

Avec la saga Largo Winch, 23 tomes à ce jour et 30 ans d’existence, les Belges Philippe Francq et Jean Van Hamme ont façonné un des plus grands chefs-d’œuvre de la bande dessinée francophone. Une saga haletante, d’abord publiée sous forme de roman dans les années 1970, qui bien avant Succession nous plongeait dans les arcanes des plus grandes multinationales mondiales. Nerio Winch a créé de ses mains le groupe W, un empire financier estimé à dix milliards de dollars mais il arrive à la fin de sa vie et n’a ni enfants, ni héritiers. Alors, il décide d’adopter dans le plus grand secret un orphelin yougoslave qui assurera sa succession. Un enfant élevé hors du sérail, loin du monde des affaires, qui saura gouverner sans être influencé. Lorsque Nerio est assassiné par quelqu’un de son cercle fermé, Largo n’a que 26 ans et n’est pas prêt. Mais il va devoir en même temps diriger et démasquer tous ceux qui veulent le voir tomber.

Tractations, coups montés, OPA, magouilles, détournements : épisode après épisode, Largo est confronté aux pires manigances économiques mais aussi et surtout à de véritables entreprises criminelles. Thriller explosif qui explore avec une précision chirurgicale le fonctionnement nébuleux, vénéneux des grands conglomérats industriels, la saga Largo Winch est une sorte de Succession sous stéroïdes. Une œuvre plus légère, plus spectaculaire mais tout aussi haletante, et pas un mot sur les films avec Tomer Sisley. Des navets indigents qui trahissent ce monument.