39 ans plus tard, la Cour suprême a donné tort à la fondation Warhol (et on vous explique pourquoi c’est important)

Andy Walou

39 ans plus tard, la Cour suprême a donné tort à la fondation Warhol (et on vous explique pourquoi c’est important)

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© Jack Mitchell/Getty Images

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Par Lise Lanot

Publié le , modifié le

Un jugement qui interroge les frontières poreuses concernant ce qui fait d’une œuvre un travail original.

L’affaire a eu lieu il y a près de 40 ans et, pourtant, elle fait ces jours-ci les gros titres pour avoir trouvé résolution à la Cour suprême états-unienne, soulevant par-là des questions importantes dans le monde de l’art – notamment concernant les limites entre création “originale” et plagiat. Le jugement a été d’autant plus suivi qu’il concerne un des très grands noms de l’art, Andy Warhol.

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L’œuvre sous la loupe des juges est une sérigraphie du musicien Prince créée par Andy Warhol d’après un portrait pris par la photographe Lynn Goldsmith. En 1984, à l’occasion de la sortie de Purple Rain, le magazine Vanity Fair demande au pop artiste de modifier la photographie à la façon de ses célèbres séries consacrées à Marilyn Monroe ou Mao Zedong. Lynn Goldsmith accepte pour l’occasion de céder les droits d’une de ses images contre 400 dollars, rembobine l’AFP. Vanity Fair publie un portrait de Prince à la peau colorée de violet, le visage détouré et apposé sur un fond orange.

Fidèle à sa folie des grandeurs, le fondateur de la Factory ne s’arrête cependant pas là et crée 16 portraits supplémentaires, sérigraphiés et déclinés “sur tous les tons”. Ce n’est qu’en 2016, grâce à une couverture de Vanity Fair commémorant la mort de Prince et présentant une de ces 16 sérigraphies, que Lynn Goldsmith découvre qu’Andy Warhol est allègrement sorti du cadre de leur accord : “Elle a alors pris contact avec la Fondation Andy Warhol, qui gère la collection de l’artiste depuis sa mort en 1987, pour réclamer des droits. Celle-ci a refusé, ouvrant la porte à une intense bataille judiciaire qui s’est dénouée jeudi [18 mai].”

Tremblez, artistes et musées

Annoncée l’année dernière, la prise en main de l’affaire par la Cour suprême a fait trembler artistes, “musées et fondations”, souligne le New York Times. Certaines voix redoutaient un durcissement trop important des notions du droit d’auteur·rice qui viendrait limiter la création artistique.

C’est “l’usage commercial” du travail de Lynn Goldsmith (le fait que Vanity Fair ait utilisé une des sérigraphies pour sa une de 2016) qui a convaincu la Cour suprême que “Lynn Goldsmith aurait dû être rémunérée”. “Le travail original de Goldsmith, comme celui d’autres photographes, mérite d’être protégé par le droit d’auteur, même contre des artistes connus”, a écrit la juge Sonia Sotomayor au nom de la majorité, sept des neuf juges de la Cour.

La Cour a estimé que le tribunal n’avait pas à débattre sur “le droit de la propriété intellectuelle en matière d’œuvres ‘transformatives'” – soit la transformation d’œuvres créées par un·e autre artiste. Jeff Koons avait ainsi été condamné “pour contrefaçon” en 2021 dans un procès quelque peu similaire.

Jeudi dernier, la majorité a indiqué que les tribunaux ne devaient “pas assumer le rôle des critiques d’art et imputer des intentions ou une signification à une œuvre d’art. […] Les juges sont peu équipés pour faire des jugements esthétiques”. “La fondation du maître du pop art a exprimé son ‘désaccord respectueux’ avec cet arrêt, tout en se félicitant dans un communiqué qu’il soit ‘limité à cet usage précis [du tableau] et ne mette pas en doute la légalité de toute la série sur Prince, créée par Andy Warhol en 1984′”, a rapporté l’AFP.

Les deux juges opposé·e·s à la majorité (Elena Kagan et le chef de la Cour John Roberts) ont argué qu’Andy Warhol avait “gagné sa place dans les cours d’histoire de l’art”, estimant “surprenant que la majorité ne mesure pas à quel point son travail diffère […] de l’œuvre originale”, et “pire, qu’elle semble s’en ficher”.

Les institutions et artistes qui tremblaient soufflent à moitié : si la fondation Andy Warhol a été condamnée, le jugement n’a pas du tout traité “l’exposition ou la vente” des sérigraphies de l’artiste new-yorkais, se limitant à l’usage commercial d’une des œuvres. Trop épineuses pour être tranchées en un jugement, les questions de la propriété intellectuelle artistique et de l’essence inconditionnellement “originale” d’une œuvre demeurent sans réponses, sachant qu’en chimie et en économie comme ailleurs : “Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme.”