24 heures à New York, ou le cinéma indépendant comme un moyen de faire évoluer les mentalités ?

24 heures à New York, ou le cinéma indépendant comme un moyen de faire évoluer les mentalités ?

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(©Dulac Distribution)

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Par Sophie Grech

Publié le

Rencontre avec Vuk Lungulov-Klotz, le réalisateur de 24 heures à New York, long métrage de fiction ayant remporté des prix à Sundance, à Berlin et aux Champs-Élysées Film Festival.

Qu’est-ce que le cinéma indépendant américain ? On pourrait facilement considérer que ce terme est devenu une sorte de mot-valise dans le milieu de la critique. Ramenant les films que l’on considère comme des films indépendants à des œuvres fauchées mais faites avec une certaine liberté. Cependant, le cinéma indépendant américain est né avant tout d’une volonté de s’éloigner des contraintes des studios/majors de la côte ouest, qui ont imposé leurs codes jusqu’à la révolution idéologique du nouveau Hollywood.

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Deux choses sont certaines : premièrement, le budget n’a en réalité aucun lien avec l’appellation “cinéma indépendant” (Cloud Atlas des sœurs Wachowski a un budget record de 102 millions de dollars pour un film indépendant) ; et, deuxièmement, il est presque impossible de parler de cinéma indépendant sans évoquer le festival de Sundance. Ce festival, présidé par Robert Redford depuis 1985, est le lieu de naissance et de reconnaissance de réalisateur·ices ayant choisi d’être en marge des studios pour leurs productions.

C’est lors de cette dernière édition que 24 heures à New York a été remarqué, remportant le prix spécial du jury, et mettant en lumière le talent de metteur en scène de Vuk Lungulov-Klotz dont c’est le premier long.

24 heures à New York (Mutt dans sa langue originale) met en scène le parcours de Feña, un jeune homme trans, pendant une journée dans son quartier new-yorkais. Il y rencontre plusieurs personnes de son passé et de son présent, qui émettent un jugement plus ou moins positif sur sa transition et ses choix de vie. De sa petite sœur à son père, en passant par son ex-petit ami, Feña doit affronter leurs regards pour mieux s’affirmer. Un parcours intime, d’une infinie tendresse, qui ose aborder frontalement tous les aspects d’une transition.

Le cinéma indépendant pour changer le monde ?

Est-ce que le cinéma indépendant américain permet aux cinéastes d’aborder des sujets de prime abord moins consensuels et de peindre des portraits pluriels ? À ce sujet Vuk Lungulov-Klotz répond :

“Je pense que le cinéma indépendant traite mieux tous les sujets, car il permet plus de libertés. Particulièrement en ce moment, les studios sont enfermés dans un cercle vicieux, ils refont les mêmes films encore et encore. Prenons Barbie par exemple. Le film vient à peine de sortir et, comme il a du succès, ils ont immédiatement annoncé plusieurs films avec le même concept : des jouets dans le vrai monde.

Dès qu’une idée fonctionne, elle devient une équation financière et non plus un projet de cinéma.”

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Le système de production indépendant permet d’apporter de nouveaux points de vue sur le monde et la société. Il habilite de nouveaux talents, qui, souvent, se retrouvent en festival de cinéma partout dans le monde, et particulièrement dans l’Utah, au festival de Sundance. Il est peu étonnant que le centre névralgique du cinéma indépendant, et les professionnels qui s’y retrouvent récompensent, le film de Vuk Lungulov-Klotz.

Dans 24 heures à New York, et plus spécifiquement dans une scène se déroulant dans un lavomatique, nous pouvons voir une forme encore assez discrète de gaze : un trans gaze [ndlr : Un “gaze” étant la traduction anglaise du terme “regard” ; un mot utilisé dans le langage de la critique cinématographique pour parler d’un point de vue souvent masculin ou féminin].

Le réalisateur explique son rapport au trans gaze et au tournage de cette scène, où son personnage principal se dévoile à son ex-petit copain, qui découvre son corps en cours de transition pour la première fois.

“Le trans gaze est sans doute quelque chose que l’on voit de plus en plus. Mon directeur de la photo m’a posé beaucoup de questions pour apprendre à mettre en place un trans gaze.

Pour cette scène de lavomatique, je voulais qu’on soit au plus près du corps de Feña. Je souhaitais créer une situation sexy autour de mon personnage masculin trans, parce que c’est quelque chose de peu représenté au cinéma, et pourtant c’est un message puissant.

Étant moi-même trans, c’était une représentation importante pour moi.”

Le gaze, féminin, masculin ou trans, ce n’est pas qu’une question de qui filme, mais de comment un artiste va dépeindre un point de vue en embrassant tous ses tenants et ses aboutissants. Ici Vuk Lungulov-Klotz a voulu raconter quelque chose de très précis de son expérience de la transidentité avec sa caméra :

“Je pense qu’être trans, c’est toujours un peu dangereux, même quand tu es heureux, particulièrement quand tu l’exprimes dans un lieu public, car tu ne peux jamais prévoir la réaction des gens. Donc je pense que le trans gaze, c’est un peu saisir ce moment de tension, presque comme dans un thriller.

Le trans gaze est très similaire au female gaze : quand tu es une personne trans, tu sais que tu es tout le temps observé, plus souvent pour les femmes trans. Peu importe où elles vont, il y a une observation générale de leurs corps qu’elles ne peuvent ignorer. Et cette observation, elle est aussi commune pour les femmes cis.”

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Le cinéma est vecteur de changements. Parfois, ce sont des changements intimes chez quelques spectateurs. Mais parfois, le cinéma provoque de vraies modifications sociétales. Une femme fantastique du réalisateur chilien Sebastián Lelio, mettant en scène une actrice trans jouant une femme trans qui se bat pour exister, a eu un impact concret, puisqu’il a accéléré le débat autour du changement d’état civil au Chili. Il est signifiant de retrouver Alejandro Goic, déjà au casting d’Une femme fantastique, dans le rôle du père de Feña.

D’ailleurs son personnage participe à un autre aspect militant du long métrage, confirme Vuk Lungulov-Klotz :

“J’ai fait un film pour des personnes trans, pour qu’elles puissent se sentir vues et entendues, mais j’ai aussi travaillé sur l’empathie que l’on peut ressentir pour les personnages secondaires comme le père ou l’ex-petit copain. Car des personnes qui vont plutôt s’identifier à ces personnages pourront aussi parler de leur ressenti sur le film – et j’espère qu’ils auront l’impression de comprendre un peu mieux le ressenti d’une personne trans. Et c’est mon but ! “

Le système de production indépendant américain a permis à Vuk Lungulov-Klotz d’offrir à ses spectateurs un message profondément humain, mais surtout une représentation d’homme trans encore trop peu visible au cinéma et qui peut faire évoluer certaines mentalités.

24 heures à New York est actuellement en salle.