“Je voulais me libérer de moi-même” : 070 Shake nous présente son EP Glitter

“Je voulais me libérer de moi-même” : 070 Shake nous présente son EP Glitter

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@rayscorruptedmind

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Par Sophie Laroche

Publié le

Protégée du label GOOD Music, celle qui s’est fait connaître sur SoundCloud vient de sortir un nouvel EP nommé Glitter. À cette occasion, on a rencontrée 070 Shake pour parler du New Jersey, de la musique de son enfance, et de Lil Peep.

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Quand on retrouve 070 Shake à son hôtel, la jeune Américaine de 20 ans revient tout juste d’un voyage en Suède et s’apprête à enchaîner, le soir même, un concert dans la capitale. Sollicitée de toutes parts, l’artiste nous accorde une interview en pleine séance de coiffure. Cette vie à toute allure, peu de gens de son entourage l’auraient prédit. Élevée à North Bergen, une commune du New Jersey qui côtoie la grosse pomme sans la toucher, 070 Shake avait moins de chances que ses pairs new-yorkais de se faire une place au soleil dans le monde de la musique.

Loin de s’accommoder d’une vie normale dans son New Jersey natal, l’Américaine développe de manière autodidacte ses passions. D’abord l’écriture en s’adonnant très jeune à la poésie puis la musique qu’elle développera avec son crew nommé 070 en référence au code postal de l’État américain dont elle est originaire et qu’elle s’est fait tatouer au niveau de l’arcade. Dans le paysage musical local, son personnage détonne rapidement. Alors qu’elle commence à enregistrer ses premiers morceaux en 2015, la jeune femme marque les esprits de la sphère SoundCloud en imprégnant sa musique d’une conviction et d’une force de caractère à toute épreuve. Son précepte, assez caractéristique de sa génération : rester soi-même.

Une idée qui implique une honnêteté totale prenant parfois la forme de confessions crues sur ses passages à vide, la dépression, ou son addiction aux drogues. Des scènes de vie non édulcorées qui sont cependant contrebalancées par une dose d’espoir omniprésente. Le répertoire de 070 Shake est marqué par des hymnes à l’amour de soi émancipateurs qu’incarne parfaitement le refrain du récent “Be Myself” : “I just wanna be my fuckin self“. Une philosophie qu’elle suit à la lettre et cela même hors du domaine musical puisque la jeune femme affichait récemment son homosexualité dans le dossier “The Rising Star Queering Rap” du magazine Vogue en posant avec sa petite amie Sophia Diana Lodato.

C’est cette personnalité authentique qui lui a permis de taper dans l’œil de la star d’Instagram YesJulz, alias Julienna Goddard, qui une fois devenue sa manageuse, l’a fait signer chez Def Jam, avant de la faire côtoyer le prestigieux label GOOD Music de Kanye West, qu’elle admire par-dessus tout. Alors que la jeune femme vient de sortir Glitter, un EP de six titres imprégnés d’influences diverses allant du rock au hip-hop qu’elle décrit comme une sorte de thérapie, nous l’avons rencontrée pour parler avec elle de son parcours, du New Jersey, et des problématiques de santé mentale dans l’industrie musicale.

Konbini | Salut 070 Shake. Commençons par ton nouveau projet Glitter. Il s’agit d’un EP que tu as choisi de sortir avant ton album Yellow Girl. Qu’est-ce que ce projet représente pour toi ?

070 Shake | En fait, j’ai enregistré Glitter après Yellow Girl. Je pense que Yellow Girl raconte comment je me suis égarée dans des choses mauvaises alors que Glitter aborde l’idée que je me délivre de moi-même, de toute cette négativité qui m’entourait précédemment. Ce projet me représente en train de m’échapper de ce que j’étais en train de traverser au moment de l’écriture de Yellow Girl. Ça peut sembler plus lumineux mais ça reste un EP plutôt triste.

Effectivement, le premier morceau de Glitter se nommeI Laugh When I’m With Friends But Sad When I’m Alone“. J’ai lu que la mort de Lil Peep t’avait inspiré ce son. Est-ce vrai ?

Ce que je raconte dans ce morceau, c’est quelque chose que j’ai personnellement connu mais quand c’est arrivé à Lil Peep, ça a provoqué quelque chose en moi. De plus, je venais d’avoir une conversation avec quelqu’un de très fermé d’esprit et assez prompt au jugement qui me disait “Il se l’est infligé à lui-même“. Pour ma part, je pense que les problèmes de santé mentale doivent être pris au sérieux car si quelqu’un prend de la drogue ou des antidépresseurs, c’est qu’il ne va pas bien. Le fait d’avoir traversé ces difficultés m’a permis d’être ouverte à propos de ce sujet car je sais que ce n’est pas facile.

Après cette conversation, j’ai eu le besoin d’écrire quelque chose pour les gens qui ne comprennent pas qu’on n’agit pas comme cela pour le fun. On essaye de remplir un vide en soi, mais on ne sait pas comment, alors on se déséquilibre avec certains comportements. Seulement, il n’y a que nous pour les comprendre car les autres ne le peuvent pas. C’est ce sentiment qui a inspiré le morceau.

On dirait que l’industrie musicale est de plus en plus ouverte sur le sujet des maladies mentales, et en même temps, qu’elle n’est pas du tout préparée à aider les artistes. Qu’est-ce que tu en penses ?

Oui, c’est exact. Prenons une image. C’est comme si tu te cassais la jambe. Les gens vont t’envoyer leurs vœux de rétablissement mais vont-ils t’aider à descendre les escaliers après ? Envoyer ses vœux de rétablissement n’est pas assez car il y aura toujours des gens autour de toi, ou dans le monde de la musique, qui continueront à te fournir ces choses qui te font du mal. Par exemple, une fois j’ai été signée sur un label. Ils savaient que j’avais un problème de dépendance aux drogues donc ils m’ont acheté beaucoup de Xanax pour me calmer. La vérité, c’est que ces gens-là sont tristes quand tu meurs mais ils ne font rien pour te garder en vie.

Est-ce que tu perçois ta musique comme un moyen de rendre audibles des sujets comme la dépression ?

C’est d’abord quelque chose que je fais pour moi-même, comme une sorte de thérapie. Je dois écrire des choses à propos de moi que je n’ai pas forcément envie de dire car en vérité je n’ai aucune envie de m’y confronter mais en même temps, je dois être “réelle” dans le but d’aider les autres. Parfois, certaines choses sont étranges à écrire mais tu dois garder à l’esprit que tu n’écris pas seulement les choses pour toi-même, tu dois aussi penser aux gens parce qu’ils vont écouter et se diront peut-être : “c’est ce que je ressens”.

As-tu des retours de tes fans à propos de cela ?

Beaucoup de gens me disent que ma musique les aide au quotidien, quand ils traversent des périodes difficiles. Ces retours, c’est vraiment l’objectif, c’est ce pourquoi je me bats.

Pour revenir au projet Glitter. Tu sembles inspirée par énormément de styles différents : du rock au rap. Qu’écoutais-tu durant ton enfance?

Quand j’étais enfant, j’écoutais beaucoup Alicia Keys, pas mal de Queen, du Michael Jackson, mais aussi pas mal de rock avec des groupes comme Fall Out Boy ou The Script, des artistes r’n’b comme Chrisette Michele. C’était ce qu’écoutait ma grande sœur en réalité et ça a eu des répercussions sur mes goûts.

Le nom de Michael Jackson revient souvent dans tes interviews. Qu’est-ce qui te fascine particulièrement chez lui ?

Michael Jackson avait quelque chose de plus grand dans ses ambitions. Beaucoup de gens deviennent connus et se contentent de mener une vie luxueuse. Michael avait une grande maison mais il a aussi créé un zoo pour sauver des animaux, il se rendait en mission dans différents pays. Il a fait de grandes choses pour le monde, il a prêché l’amour et a influencé positivement beaucoup de personnes. Il m’inspire énormément. Jésus et lui sont mes “role models” et quand je me lève le matin, je me demande comment je peux ressembler un peu plus à ces deux personnes.

Beaucoup de gens t’identifient comme rappeuse mais tu chantes aussi énormément. Comment as-tu travaillé cet aspect de ta musique ?

Quand j’ai commencé, je rappais beaucoup. Je savais que je pouvais chanter mais je ne le mettais pas vraiment en avant. Pour Glitter, j’ai créé différentes mélodies sur les beats que me proposait The Kompetition et j’ai compris que je pouvais être versatile et étendre mon travail vocal pour créer différents types de sons dans lesquels je pouvais aussi bien rapper que chanter.

Est-ce que ce que tu écris est toujours inspiré de tes expériences personnelles ?

C’est inspiré de mes rêves, du futur, de mon passé et des situations que j’ai pu vivre mais il y a aussi une part d’imagination. Tout n’est pas réel mais j’espère transformer le rêve en réalité.

Ce projet est entièrement produit par le trio de beatmakers The Kompetition, comment est née votre collaboration ?

Ils font partie de mon crew 070. J’ai commencé la musique avec eux. Ils ont produit mes premiers sons “Sunday Night” ou encore “Make It There”. Quand je travaille avec eux, c’est donc vraiment authentique et vrai. D’un point de vue simplement technique, c’est aussi parfait car ils comprennent directement ce que je veux et les trucs un peu bizarres que je pourrais aimer. Quand je collabore avec d’autres personnes, c’est un peu comme partir en vacances et revenir vers eux revient à rentrer à la maison. Je me sens chez moi avec The Kompetition.

En parlant du 070 crew qui est originaire du New Jersey. À quoi ressemble la scène musicale locale ?

En ce moment, il y a beaucoup de nouveaux artistes venant du New Jersey. Je pense que c’est assez revigorant pour les gens qui vivent là-bas de voir ces musiciens émerger car c’est un endroit sombre où tu ne côtoies seulement que les personnes avec lesquelles tu as grandi. Il y a beaucoup de négativité et de gens qui te disent que tu n’y arriveras jamais car tu viens de cet endroit.

Alors, quand les gens voient quelqu’un comme moi qui arrive à vivre de son art, ça leur donne de l’espoir. Par exemple, après mes débuts dans la musique, beaucoup de gens dans ma ville ont commencé à s’y mettre. Et c’est super cool de voir que tu leur as donné de l’inspiration en devenant quelqu’un à partir d’un endroit où tu n’es pas supposé réussir. Je n’étais pas censée être en France ou encore en Suède actuellement. C’est ce qu’on m’a rabâché toute ma vie.

Tu as donné un concert à Paris récemment. À quel point la scène est importante pour toi ?

Je pense que c’est la partie la plus importante de mon travail car à chaque fois que je crée un son, je me visualise l’interpréter sur scène. Je pense qu’il est vraiment nécessaire d’être présent pour ses fans car ce sont eux qui écoutent ta musique et c’est quand tu fais un show que tout cela est supposé prendre vie. L’expérience doit être réussie car tout le monde se rappelle son premier concert, ou celui de son artiste préféré. Tu te dois donc de donner ta meilleure énergie à tes fans. Monter sur scène est la plus importante des expériences à mon sens.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour 2018 ?

J’ai énormément de projets pour 2018. Je vais surprendre les gens comme dans la chanson “I’m coming out” de Diana Ross quand elle chante : “I am coming up i want to world to know“. Ce sera la bande-son de mon année.

Glitter est disponible depuis le 23 mars 2018.