Bien des choses ont été dites sur le bijou comico-fantastique qu’est Un jour sans fin. Soin accordé aux décors, performance mémorable d’un Bill Murray sans calvitie, mécanique humoristique de la “loop”… Et, 28 ans après la sortie de l’œuvre en salles, un mystère demeure. Celui du temps qu’a passé le cynique Phil Connors dans la bourgade de Punxsutawney.
Cette boucle qui nous a tant égayés, combien de temps a-t-elle duré ? Loin d’être oiseuse, cette question revêt des enjeux philosophico-spirituels centraux dans le film. À tel point que son réalisateur, Harold Ramis, n’a pas hésité à monter au front pour offrir ses propres éclairages sur le sujet. Et rembarrer, au passage, un fan outrecuidant qui prétendait avoir trouvé une réponse exacte au problème.
La veille comme demain, encore et encore
Pour rappel, Un jour sans fin nous fait suivre Phil Connors, un journaliste météo irascible, cassant, et sarcastique. À son grand ennui, ce charmant personnage est envoyé à Punxsutawney, en Pennsylvanie, pour couvrir les festivités locales du “jour de la marmotte”. Sur place, notre grincheux ne cesse de se plaindre. Et qu’il fait moche, et qu’on s’ennuie dans ce patelin de “bouseux”, et qu’il faut que je me tire. Etc., etc.
Manque de pot pour notre antihéros, la journée durant laquelle il enregistre son reportage se répète inlassablement. Et lui seul en a conscience. Alors, au début, forcément, Phil doute. Il pense être malade, s’agace, tempête. Mais rien n’y fait. Chaque matin, à 6 heures tapante, la même journée recommence.
La majeure partie du film est axée sur l’évolution du rapport qu’entretient Phil avec cette répétition. D’abord en colère, il profite ensuite de la situation pour s’éclater sans craindre de répercussions, avant d’essayer de devenir un homme meilleur. Histoire de séduire sa productrice, Rita (Andie MacDowell).
4 semaines ? 10 ans ? 40 ans ?
À aucun moment le film ne révèle pourquoi Phil est enfermé dans la boucle, ni combien de temps il y demeure. Devinant que cette énigme attiserait les curiosités, Harold Ramis avait déclaré à plusieurs reprises, dans les bonus du DVD notamment, que son personnage aurait passé 10 ans à Punxsutawney. Une hypothèse vite contredite par un blogueur qui, infographie à l’appui, a soutenu mordicus que Phil serait exactement resté 8 ans, 8 mois et 16 jours dans la boucle.
Pour parvenir à cette conclusion d’une précision étonnante, l’internaute a pris en considération le temps nécessaire à la planification d’un vol de banque, les différentes morts du protagoniste, mais surtout toutes les heures passées à maîtriser différentes activités dans lesquelles Phil excelle, à la fin du film. Parler français, faire de la sculpture sur glace, jouer du piano…
La théorie de ce blogueur a été si relayée que Harold Ramis a dû prendre la parole pour statuer sur le sujet, en contredisant ouvertement son ancien chiffre. “Je pense que 10 ans, c’est un peu court. Il faut compter au moins une décennie pour devenir bon à quoi que ce soit… Ajoutez à ça les temps morts et les années d’errance de Phil et vous obtenez plutôt 30 ou 40 ans de boucle”, avait-il déclaré en 2009, dans une interview accordée magazine Heeb.
Sans manquer d’envoyer, dans la foulée, une pique à l’internaute qui avait osé contredire sa première hypothèse : “les types comme lui ont beaucoup trop de temps libre qu’ils auraient pu employer, eux aussi, à apprendre le piano ou le français !”. Boum.
L’inquantifiable durée de l’élévation spirituelle
Pour certains, Un jour sans fin est un objet de divertissement sans sous-texte. Pour d’autres, plus imaginatifs peut-être, ce film serait une analogie religieuse. Phil passerait l’équivalent de l’épreuve chrétienne du Purgatoire, durant laquelle l’humain expie ses fautes pour accéder au Paradis. En l’occurrence, après s’être dévoué à l’amour de l’autre en secourant la population de Punxsutawney, Phil atteint son idéal : être aimé de Rita.
D’autres fans voient dans la “loop” une illustration du concept nietzschéen d’éternel retour, voire du mythe de Sisyphe, un personnage mythologique condamné, comme Phil, à un tourment journalier. Les théories sont multiples, et une chose est sûre : Ramis voyait dans le script du film une référence au concept de réincarnation. Lui-même bouddhiste, le réalisateur avait un jour déclaré qu’il fallait compter au moins 10 000 ans pour qu’une âme devienne parfaite, et que son film s’inscrivait dans cette durée pour cette raison.
Dès lors, afin de calculer le temps qu’aurait passé Phil dans la boucle, l’important ne serait pas d’évaluer combien de temps il aurait pris pour apprendre telle ou telle activité, mais plutôt les mois nécessaires à sa transition psychologique, de l’abject cynique à l’altruiste charitable. Pas facile de chronométrer pareille métamorphose. Mais si vous vous sentez à la hauteur de la tâche, vous pouvez être sûr qu’il existe encore des forums actifs sur le thème. Go !