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Review ton classique : La Haine

Review ton classique : La Haine

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(© StudioCanal)

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Voici comment un réalisateur qui n’a jamais vécu en banlieue a donné naissance au "film de cité" par excellence.

“C’est l’histoire d’un homme…”. Mais pas celle du type qui tombe d’un immeuble de 50 étages. Non, aujourd’hui on va plutôt parler de Mathieu Kassovitz. Et plus spécifiquement du parcours du combattant qu’a emprunté ce “non originaire” de banlieue pour tourner La Haine, LE film coup de poing autour des bavures policières avec pour théâtre… la cité. Un espace dans lequel Kassovitz a dû s’immerger, à la manière d’un sociologue, pour accoucher d’un récit fidèle au quotidien de ceux qui y vivent.

À l’origine, la bavure de “l’affaire Makomé M’Bowolé”

Remontons la bobine. En 1993, Mathieu Kassovitz a déjà un premier long-métrage derrière lui, Métisse. Et, dans les tripes, le désir d’en réaliser un second. Le 6 avril de cette même année, un adolescent de 17 ans, Makomé M’Bowolé, est tué d’une balle dans la tête par un inspecteur de police lors de sa garde à vue.

Une foule indignée se rassemble alors à Paris pour rendre hommage au défunt – Kassovitz en fait partie. De retour à son domicile il annonce à son producteur, Christophe Rossignon, qu’il désire tourner un film inspiré du drame.

“C’est la mort de Makomé […] qui a tout déclenché. Je me suis demandé comment un mec pouvait se lever, le matin, et mourir, le soir, de cette façon”, avait expliqué le réalisateur auprès de Télérama. Et d’ajouter qu’il espérait seulement “qu’ils (les habitants de banlieue) ne se sentiront pas trahis” par le portrait des quartiers dépeints dans La Haine.

Un tournage au plus près de la réalité des “cités”

Le scénario du film retrace, le temps d’une journée, la virée tragique de trois banlieusards – Vinz, Hubert et Saïd – entre la périphérie de la capitale et ses beaux quartiers, au lendemain d’une nuit d’émeute provoquée par une bavure policière.

Par souci de fidélité aux normes de la banlieue, aucune romance ne figure dans le script. “Il n’y a pas d’histoire d’amour, il n’y a pas de fille, parce que les filles, dans une cité, elles sont dans un coin, les mecs, dans un autre. Si tu vois passer une fille, tu ne peux pas en parler, parce qu’à côté il y a son frère, peut-être”, avait commenté Kassovitz, toujours chez Télérama.

Le script prêt, restait à trouver un lieu de tournage. Ce sera les cités des Muguets et de la Noé, à Chanteloup-les-Vignes. Kassovitz et une partie de son équipe débarquent sur place 3 mois avant le début du tournage, et y dorment. L’objectif ? Tisser un lien de confiance avec la population locale, dont certains membres prennent d’abord le crew pour des militaires. Et les caillassent copieusement. Non seulement le tournage se déroule ensuite sans encombre, mais Kassovitz exige que chaque figurant soit recruté dans les cités où le film est tourné. Au total, 300 résidents participent au projet.

Pour illustrer la vie de quartier dans ses largeurs, le cinéaste fait un choix de dernière minute. Comme il nous l’expliquait dans la vidéo ci-dessous, trois semaines avant le début du tournage, Kassovitz apprend que son budget est coupé à la serpe. Il décide alors de mettre le paquet sur la banlieue (grue, hélico, steadicam…) en sacrifiant les panoramas parisiens. Voilà pourquoi les scènes dans la capitale sont tournées en caméra cachée, avec un équipement minime et un angle focal flou utilisé comme cache-misère.

Succès tsunami, retour improbable de Vinz et ressortie magistrale en 4K

Porte-drapeau de ce que certains spécialistes n’ont pas hésité à appeler le “cinéma de banlieue”, La Haine créée un raz-de-marée à sa sortie, en 1995. Prix de la mise en scène à Cannes, trois Césars dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur (à 27 ans seulement), des pages de couverture pour plusieurs magazines, un chapelet de critiques élogieuses… Cerise sur le gâteau, le regard attentif que porte le film sur une jeunesse jusque-là peu considérée par les arts séduit aussi le public, avec 2 millions d’entrées rien qu’en France.

Alors, forcément, l’attente était grande autour d’une éventuelle suite. D’abord évoqué en 2014, le projet est confirmé par Mathieu Kassovitz après les attentats de 2015 à Charlie Hebdo, avant d’être abandonné. “Je me suis rendu compte que c’était un domaine dans lequel il n’y avait rien à dire. Les infos disent tout et font très bien le travail. On ne peut pas faire de cinéma avec ça”, avait-il expliqué dans nos colonnes en référence à cet événement.

Mais les fans ne pourront pas dire que, depuis, ils n’ont rien eu à se mettre sous la dent. Il y a tout d’abord eu la résurrection surprise de Vinz en quarantenaire usé par son labeur à l’usine, dans le court-métrage de Karim Boukercha, Violence en réunion (2016).

Surtout, à l’été 2020, La Haine a fait l’objet d’une nouvelle sortie en salle, sublimée par le 4K. Un cadeau qui n’avait pas manqué de résonner dans un contexte social explosif où des milliers de citoyens battaient le pavé, à travers le monde, pour dénoncer les violences policières. Tout cela à la suite du décès de George Floyd, le 25 mai 2020 aux États-Unis, des suites de son interpellation.