Son titre sonne bamboche et aimable déglingue. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Le second long métrage de Joachim Trier est à classer dans la catégorie “film-à-ne-pas-mater-en-cas-de-blues”. Clairement. Le temps d’une journée de fin d’été ponctuée de larmes et de rendez-vous manqués, Olso, 31 août nous plonge dans les sneakers d’Anders. Un ex-junkie en fin de rehab qui tente de renouer avec le monde “des vivants” en profitant d’une permission de sortie pour retrouver ses proches.
Au risque de se perdre en cours de route, et céder à ses pulsions de mort ? La menace plane jusqu’à la dernière minute. Voilà pourquoi Oslo, 31 août, en plus d’être un coup de poker scénaristique (mais qui aurait misé sur le succès de ce récit glacial d’un camé à la dérive ?) fonctionne à la manière d’un film à suspense. Une œuvre sans compromis qui dit les noirceurs, raconte la détresse et brosse l’affliction. À-ne-pas-mater-en-cas-de-blues, qu’on vous dit.
“J’avais mes chances, et j’ai tout foiré”
Anders se tient au bord du lit dans lequel une jeune femme nue, doucement, s’éveille. Elle sourit. Mais lui est déjà ailleurs. Le voilà qui marche près d’une route, s’enfonce dans un bois, fixe l’eau. Il hésite. Puis n’hésite plus. Anders tente de se suicider par noyade, en se chargeant du poids de pierres trouvées alentour.
Encore trempé, ce trentenaire à la dégaine de monsieur-tout-le-monde rejoint le centre de désintoxication dans lequel il vit. Durant un tour de parole groupé, on apprend qu’Anders a dégoté un entretien d’embauche (dont il se fout éperdument) qui l’autorise, pour cette occasion seulement, à sortir en ville (ce dont il se fout un peu moins).
Des rues dépeuplées d’Olso émane un romantisme torturé, comme en écho au profil d’Anders. Celui d’un journaliste talentueux à la plume respectée, avant que la dope et son carrousel de ravages débarquent pour ne laisser que poussière. Notamment dans sa relation avec Iselin, l’ex qu’il essaiera plusieurs fois de contacter – en vain.
Clean mais le désespoir vissé aux chevilles, Anders enchaîne les rencontres. Il y a ce vieux pote, à qui il confie : “J’ai 34 ans et je n’ai rien, je n’ai pas le courage de tout recommencer […] j’avais toutes mes chances mais j’ai tout foiré […] si mon histoire s’arrête ici, c’est que je l’aurais choisi.” Il y a ce patron de revue littéraire, très conciliant, très humain, auprès de qui Anders pense avoir saboté son entretien d’embauche.
Il y a cette sœur qui lui met un plan de dernière minute. Puis une ancienne partenaire chez qui Anders s’enfile un verre d’alcool – le premier depuis 10 mois. Il y a aussi ce “gros con” croisé dans un bar. Celui qui avait couché avec son ex alors qu’il était encore avec elle. Et puis il y a, quand même, cette étudiante aux rires cristallins draguée dans une boîte de nuit inondée par le beat des Daft Punk, qui offre à Anders quelques éclats de tendresse. Les derniers de son existence, peut-être.
Filmer la solitude, raconter les tranches de vie
Au terme du film, on a tôt fait de s’interroger : pourquoi tant de noirceur ? Question à laquelle Joachim Trier pourrait sans doute offrir la réponse suivante, extraite d’un discours de présentation lors d’une projection parisienne d’Oslo, 31 août.
“J’ai fait ce film très rapidement. Une année seulement s’est écoulée entre le moment où j’ai choisi de le faire, et le moment où il a été terminé […]. Mon objectif était de parler de la solitude. De prendre un personnage plongé dans le noir, abîmé par l’obscurité. Et essayer de montrer la complexité du monde – en même temps que sa beauté – à travers ses yeux.”
Présenté dans la sélection Un certain regard au Festival de Cannes 2011, nommé pour l’Oscar du meilleur film étranger et récompensé par le cheval de bronze du Festival international du film de Stockholm la même année, Oslo, 31 août, a été largement salué par la critique.
Même si aborder de front la tendance suicidaire et les affres du sevrage n’est pas franchement bankable. Lors d’une projection test réalisée en 2011 à Oslo, justement, nombre de spectateurs jugent le film trop sombre. Trop déprimant. Pour autant, Joachim Trier ne retouche rien à son œuvre. “Ce genre de test permet de vérifier qu’un récit est compris. Pour le reste, à moi de décider quel cinéma j’ai envie de faire”, avait-il commenté auprès de Télérama.
Ce style de réalisation assumé, le cinéaste l’a filé à travers le drame familial Back Home (2015), le récit de sorcellerie moderne Thelma et, plus récemment Julie (en 12 chapitres). Un film doublement oscarisé qui, à de nombreux égards, peut être perçu comment le pendant d’Oslo, 31 août.
Là où l’histoire d’Anders était ramassée en une journée, celle de Julie se divise en tranches de vie étalées sur plusieurs années. Anders était rongé par l’angoisse, Julie, quoique souvent assaillie de questionnements, brille par sa liberté et son esprit d’aventure. Alors, Julie (en 12 chapitres), le grand sursaut d’optimisme façon Trier ? Ce serait aller un peu vite.
Si sous de nombreux aspects le dernier film du réalisateur norvégien est plus joyeux – on aurait presque envie que Julie déboule dans Oslo, 31 août, pour convaincre Anders que, oui, la vie “vaut le coup” – le film n’en demeure pas moins aux prises avec de douloureuses thématiques. Les errances sentimentales, le deuil et surtout la maladie, via le bouleversant personnage d’Aksel Willman. Un dessinateur de BD cancéreux interprété, précisément, par le comédien qui campait Anders.
Il y a fort à parier que Joachim Trier poursuivra dans le sillon qui fait désormais sa marque de fabrique – et son succès. Un cinéma radical qui, jamais, ne tremble lorsqu’il s’agit de regarder bien au fond l’épaisseur de l’abîme auxquels nous autres, humains, sommes occasionnellement confrontés. Films à-ne-pas-mater-en-cas-de-blues. Mais films à mater, quand même.