Son nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant. Elle n’est rien de moins qu’une des plus célèbres gueules de l’angoisse. Voilà plusieurs siècles qu’Oiwa hante le folklore du Pays du Soleil Levant, avec son teint blafard et sa coiffure gothico-punk loqueteuse.
Longtemps cantonnée au territoire japonais, elle s’est lentement infiltrée dans la pop culture mondiale en apparaissant en guest star de deux films cultes du cinéma d’horreur nippon (J-Horror) : Ring, et The Grudge. À travers mythes et légendes, retour sur l’origine de celle qui n’en a pas fini de nous faire cauchemarder.
Petit coup dans le dos et – PAF –, ça fait un Onryō
Oiwa est la plus célèbre des Onryō – littéralement “esprit courroucé”, en japonais. Pas facile de retracer avec exactitude l’origine de la croyance en les Onryō, ces trahis revenus d’entre les morts pour assouvir leur vengeance. Le plus ancien culte d’Onryō remonte au VIIIe siècle, avec le décès du prince Nagaya, envoyé en exil après avoir fomenté l’assassinat d’un rival politique.
Selon la légende, cet héritier impérial serait réapparu sous la forme d’un esprit méchamment échaudé pour pourrir le règne de son frère, l’empereur Kammu, à coups de séismes, pandémies et autres catastrophes naturelles. Histoire de le punir des accusations de complots qu’il aurait faites circuler sur son compte.
Figure majeure du folklore japonais, le Onryō devient, à l’époque Edo (1600-1868) l’une des icônes du théâtre traditionnel kabuki. Tant et si bien qu’un costume spécifique lui est dédié, reconnaissable entre mille : kimono blanc, maquillage blanc et cheveux sombres pas du tout, mais alors du tout, peignés. Oui, il y a déjà quelque chose de The Grudge dans l’air. Mais attendez un peu.
Revanche sanglante d’une femme outragée
L’Histoire du fantôme de Yotsuya est l’acte de naissance “grand public” d’Oiwa. Présentée pour la première fois au théâtre en 1825, cette pièce inspirée d’une légende du XVIIe siècle retrace la tragique existence d’Oiwa, une femme qui épouse (sans le savoir) le meurtrier de son père. Puis se retrouve répudiée par ce mari meurtrier, après qu’elle ait été défigurée par un poison. La malheureuse finit par mourir en s’égorgeant accidentellement.
Ça fait beaucoup. Du moins, bien assez pour qu’Oiwa revienne sur Terre harceler son ancien partenaire, qu’elle pousse aux pires horreurs. Au bout du compte, sans grande surprise, beaucoup de personnes meurent. Ainsi Oiwa étanche-t-elle sa soif de justice, avec une brutalité rarement vue jusque-là dans le théâtre nippon.
Immense succès du répertoire kabuki, ce récit a fait d’Oiwa une star nationale et un objet de fascination pour les artistes japonais. Parmi d’autres, Katsushika Hokusai, dessinateur d’estampes célébrissimes (La Grande Vague de Kanagawa) lui a offert un portrait canonique avec Spectre d’Oiwa-san, réalisé entre 1831 et 1832.
Icône anti-glam de la J-horror
L’Histoire du fantôme de Yotsuya est décliné en diverses versions, adapté à plusieurs reprises sur grand écran et largement mobilisé dans le J-Horror, un mouvement littéraire et cinématographique japonais dont l’axe est la torture psychologique, ainsi que les récits ancestraux de fantômes.
Si cette riche tradition artistique née dans les années 1990 est connue en Occident, il faut en remercier Oiwa. Car c’est grâce à son apparition en antagoniste de Ring (1998) que le genre a acquis une notoriété internationale. Certes, Oiwa n’y est pas tout à fait la même qu’au XIXe siècle. Elle ne cherche plus à faire mordre la poussière à son époux, par exemple. Mais on retrouve bien chez Sadako – le démon du film – ses traits principaux. Vêtements blancs (la couleur du deuil, au Japon), chevelure noire hirsute. Et la pulsion d’assassinat tenace.
Ju-on: The Grudge (2002), l’autre grand succès de la J-horror, mobilise aussi cette artillerie séculaire de l’angoisse. On y voit un spectre féminin particulièrement rancunier, Kadako, casser les genoux de tous ceux qui foulent le seuil d’une maison très, très, hantée.
À l’origine de plusieurs suites et remakes, ces deux joyaux noirs du ciné nippon ont offert un lifting contemporain à la légende d’Oiwa, faisant d’elle, par ricochet, une vedette mondiale. À tel point qu’on en oublie la riche galerie d’autres yurei (revenants) sévissant dans la spiritualité populaire nippone.
Outre la classe des Onryō, que la vengeance motive et auquel Oiwa appartient, ont également fait trembler la péninsule les kosodate yurei, ces esprits de mères mortes en couches. Ou encore les funa yurei, réincarnations errantes de décédés sur les flots. À quand un crossing ? Du style, le retour d’une femme ayant rendu l’âme en mer juste après avoir accouché, et résolue à faire payer au prix fort les adultères de son époux. On sait pas vous, mais nous, ça nous chauffe.
Oiwa, prépare ton make-up.