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Mais de quoi parle (vraiment) le Labyrinthe de Pan ?

Mais de quoi parle (vraiment) le Labyrinthe de Pan ?

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Par Antonin Gratien

Publié le

Le plus énigmatique des films de Guillermo del Toro n’a pas encore révélé tous ses secrets.

Jusqu’à quel point l’onirisme nous permet-il d’échapper à l’horreur ? Voilà l’une des nombreuses questions soulevées par le sibyllin Labyrinthe de Pan. À la fois reconstitution historique tragique et conte de fées amer, le 5e long métrage du fantaisiste Guillermo del Toro joue la carte de l’imbrication de genres pour offrir à son récit plusieurs niveaux de lecture. Près de 16 ans après la sortie de ce joyau de dark fantasy multi-oscarisé, on passe à la loupe les ressorts d’un chef-d’œuvre riche de son mystère. Depuis sa charge antifasciste jusqu’aux réflexions philosophiques portant sur l’enjeu des imaginaires, et le prix du libre arbitre.

Une dénonciation des travers de l’Histoire

En un sens, Le Labyrinthe de Pan se présente comme une “suite” possible au précédent film de Guillermo del Toro, L’Échine du diable. Dans ce drame aux accents horrifiques, le réalisateur évoquait les ravages de la guerre civile ayant déchiré l’Espagne entre 1936 et 1939 en portant à l’écran les mésaventures de Carlos, un adolescent en proie à l’hostilité des résidents d’un orphelinat catholique. Même propos, autre cadre pour le Labyrinthe.

L’histoire se déroule toujours côté hispanique, mais en 1944. Afin de débusquer les derniers opposants au régime franquiste le capitaine Vidal, un officier de l’armée espagnole, déplie ses bagages avec ses troupes au cœur d’une forêt. Exécutions sommaires, tortures, échanges de tirs… Avec une brutalité rare, l’œuvre donne à voir le déchaînement sadique d’un fascisme triomphant contre les maquisards. On est loin de la violence “pop” que Guillermo del Toro avait mobilisée dans Blade, ou Hellboy.

Et le réalisateur s’en était expliqué en ces termes : “La violence fasciste est montrée dans toute sa vérité crue. Je crois que si les adolescents qui voient cela sont choqués et non pas amusés, ça signifiera que le film joue son rôle et réussit à montrer la brutalité du fascisme.”

L’imaginaire, une porte de sortie ambiguë

À ce récit critique adossé à une reconstitution historique (costumes, décors…) se superpose celui d’un rêve dopé au surréalisme. Tandis que le cruel Vidal commet ses exactions, Ofelia, elle, songe. Cette fille née du premier mariage de la femme de l’officier croit deviner en des insectes ailés la trace d’une fée. Et bientôt, un faune reconnaît à travers elle la princesse d’un royaume enchanté dont elle pourra rouvrir les portes en se soumettant à trois épreuves.

Cette histoire parallèle se présente comme une tentative d’évasion. L’essai d’un arrachement à une réalité torturée : celle de la guerre et de la maladie qui ronge la mère d’Ofelia. “La magie n’existe ni pour toi, ni pour moi, ni pour personne”, lui assénera cette dernière pour tenter de la soustraire aux fantaisies de l’enfance – en vain. Encore, Ofelia s’efforce de dénicher des artefacts envoûtés qui lui permettront de recouvrir son trône, toujours elle attend les instructions du faune. Se retrancher derrière le rêve pour fuir la réalité – schéma classique. Et manichéen ? Pas vraiment.

Il n’y a pas d’un côté le sang versé par les forces franquistes, et de l’autre un parcours initiatique enchanté façon productions Disney. Renouant avec une tradition littéraire des contes de fées empreinte de cruauté (les frères Grimm, Perrault…), Guillermo del Toro fait des pérégrinations d’Ofelia un parcours épineux, âpre. Angoissant.

Tant dans ses attitudes que dans son esthétique, le faune inquiète. Sur sa route, la jeune fille croisera des êtres répugnants (l’immonde crapaud) ou horrifiques (l’effroyable “homme pâle”). Et accomplir la prophétie ne l’arrachera pas aux balles de Vidal. Morale : même caché dans les recoins de son imaginaire, nul n’échappe au mal. Pas d’exutoire utopique, pas de happy end. En cela Guillermo del Toro fait montre de pessimisme. Mais pas de fatalisme.

Les dilemmes du libre arbitre

Dans l’univers de del Toro, échapper tout à fait à la noirceur est impossible. Pour autant cela ne signifie pas qu’on est incapable de lutter contre elle. À son échelle et avec ses moyens, chacun peut mener la bataille. Pour la simple et bonne raison que nous sommes tous dotés de libre arbitre. “Notre destin est façonné par nos décisions”, rappelle une inscription à l’orée du labyrinthe que découvre Ofelia. Une sentence éprouvée à travers plusieurs prises de position cruciales.

La gouvernante Mercedes choisit d’épauler les résistants au franquisme. Le médecin au service de Vidal choisit d’offrir la mort à un maquisard torturé. Ofelia choisit de ne pas sacrifier son frère pour accéder au royaume perdu. Tous désobéissent au péril de leur existence à des figures d’autorité – qu’il s’agisse de Vidal, ou du Faune.

“Le thème du Labyrinthe de Pan est le choix. Choisir qui l’on est, même si l’on risque de vous tuer à cause de cela […] à chaque fois que vous faites un choix, vous vous définissez en tant que personne. Je crois que les choix de certains sont dominés par leur désir de ne pas être mis en danger, de vivre confortablement […]. C’est très dangereux, car on peut devenir indifférent au sort des autres, rester dans sa bulle, et laisser des choses horribles se faire sans agir”, a déclaré le cinéaste.

Un peu pièce documentaire sur la guerre civile espagnole, et beaucoup réinterprétation noire d’Alice au Pays des Merveilles, Le Labyrinthe de Pan, aux yeux de Guillermo del Toro, fonctionne d’abord comme une parabole féerique sur la liberté individuelle. Sa beauté, ses rouages. Son irréductibilité, surtout, même face aux pires horreurs de l’imaginaire comme de l’Histoire.