Gravity : la résilience (en orbite), mode d’emploi

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Gravity : la résilience (en orbite), mode d’emploi

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Par Antonin Gratien

Publié le

L'un des concepts clés de la psychologie moderne, expliqué par Sandra Bullock - et George Clooney.

Allô Houston, de quoi parle Gravity ? D’odyssée stellaire, bien sûr. De menaces aux accents futuristes, aussi. Mais encore ? “Pour être honnête, je n’ai jamais songé à faire un film de science-fiction (…) j’ai simplement voulu tourner le drame d’une femme dans l’espace”, avait un jour déclaré Alphonso Cuarón à la BBC. Surprenant ? Oui et non.

Space movie vertigineux, le 7e long-métrage multi-oscarisé du réal’ mexicain traite avant tout des trésors de ténacité que déploie l’humain, lorsqu’il s’agit de tenir tête à la tragédie. Dans le jargon clinique, on parle de “résilience”. Concept phare de la psychologie contemporaine, vers lequel ce film offre une porte d’entrée aussi précieuse qu’inattendue. Focus.

Surmonter le trauma

Remontons notre bobine. À l’origine, la “résilience” désigne les résistances d’un matériau face aux chocs répétés. Le neuro-psychiatre Boris Cyrulnik participe largement à l’exportation de ce terme, depuis les rivages de la physique vers ceux la psychologie, dans les années 1990. Ce, à travers l’observation de survivants des déportations, puis d’enfants des rues.

Pris au sens figuré, la résilience désigne alors la capacité à se relever d’un trauma. “Il y a un misérabilisme psy qui n’est pas vrai (…). Quand il y a une blessure dans l’enfance, ça reste dans la personnalité mais ça ne veut pas dire que la vie est terminée, on peut vivre après une blessure, lançait le médecin en 1999, sur le plateau de l’émission On s’occupe de vous

D’année en année, le concept a élargi son champs d’application pour désigner les ressorts permettant de dévier des trajectoires négatives, de s’adapter face aux drames. C’est ce principe qui était aux fondements de Gravity, bien plus que le désir de tourner un film ayant pour théâtre les sourdes immensités de l’espace.

L’obsession du survival movie

Au moment d’écrire le scénario de ce qui allait devenir Gravity, Alfonso Cuarón ne pense guère aux étoiles. Il a surtout en tête un survival movie à portée existentielle. “On s’est dit OK, embarquons-nous dans un lieu extrême où il n’y a rien. J’avais en tête cette vision d’un astronaute à la dérive sans moyens de communication. La métaphore était si évidente”, avait confié le réalisateur à The Guardian. Résultat ? “Une histoire simple, autour d’une femme seule dans l’espace. Pour moi c’était un film petit, intimiste – avec quelques effets visuels, certes, mais c’est tout”.

Question “quelques effets visuels, certes, mais c’est tout”, on en prend quand même plein les yeux. Gravity nous propulse à travers une foule de plans-séquences magistraux dans l’orbite terrestre, aux côtés du Dr Ryan Stone (Sandra Bullock), envoyée en mission de maintenance sur l’ISS. Quoique la scientifique “déteste” l’espace, ses travaux se déroulent dans une ambiance plutôt bon enfant – merci aux vannes du commandant de la navette, Matt Kowalski (George Clooney). On se raconte des anecdotes, on la joue cool. Jusqu’à ce qu’un torrent de débris spatiaux ne vienne réduire en lambeaux la plateforme.

C’est le début d’un déluge de malheurs en domino, façon loi de Murphy, qui plonge le Dr Stone dans un “naufrage spatial”. Au gré de ce périple en milieu hostile, loin, si loin de la Terre-mère, on apprend que la scientifique a perdu une fille de 4 ans, suite à une chute. “C’était la chose la plus stupide qui soit”, commente l’ingénieure dont Cuarón s’applique à ausculter le deuil, travaillé par un nihilisme qu’on soupçonne suicidaire. De sorte que la destruction de l’ISS pourrait lui offrir l’occasion de rejoindre – enfin ? – sa fille. 

“Écoutez ma voix, Dr Ryan Stone”

L’immensité opaque de l’univers fonctionne d’évidence comme la personnification du mystère de “l’au-delà”. Quant aux débris, difficile de ne pas y deviner la métaphore – cruelle, arbitraire – des coups du sort. Perte, séparation, maladie… Heureusement, à l’horizon de ces noirs aléas point une lumière : Matt Kowalski. Seul humain à pouvoir communiquer avec la presque disparue, ce croque-la-vie use de sa voix (en bon thérapeute, dans l’exercice de la consultation) pour guider sa compère. Et lui redonner foi. Après tout, Boris Cyrulnik l’a assez martelé : la résilience ne fonctionne qu’à l’aide de mains tendues.

Pulsion de mort contre instinct de survie. En choisissant de brosser ce bras de fer pas franchement jojo, Cuarón est allé jusqu’à faire douter l’interprète du Dr. Ryan Stone herself de la réception du film. “Nous ne savions absolument pas si ça allait allait être un succès, avait-elle confié à The Guardian, on pourrait dire que c’est une œuvre d’avant-garde, sur la perte et la survie dans l’espace (…) ça ne sonne pas franchement comme un film qui captiverait les foules”. Et pourtant. À sa sortie, Gravity s’impose dans le top du box office américain – mais aussi français, avec 3 millions d’entrées cumulées. Au total, le film rapporte 720 millions de dollars. Triomphe retentissant, venant consacrer un film dont l’audace consiste à nouer avec maestria le spectacle de l’espace à l’énigme épaisse, lancinante : comment faire “avec” le drame ?