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Comment Parasite a déridé la tradition horrifique du “home invasion” ?

Comment Parasite a déridé la tradition horrifique du “home invasion” ?

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Une réinterprétation en profondeur.

Panique à bord. Quelqu’un s’infiltre dans votre domicile, et, clairement, cette personne vous veut du mal. Voilà l’ingrédient matriciel du home invasion, un sous-genre prolifique du cinéma d’horreur ayant donné naissance à plusieurs joyaux dont un certain… Parasite.

Film couronné par la Palme d’Or, le César du meilleur film étranger, l’Oscar du meilleur réalisateur (et on en passe), le 7e long-métrage de l’incontournable Bong Joon-ho s’inscrit d’évidence dans le sillage de cette catégorie. Mais en se jouant ouvertement de ses conventions par l’injection d’une bonne dose de comique. Jusqu’au point de réinventer le genre ? Et pourquoi pas !

Petits (et grands) crimes à domicile

Pour écrire le script de ce qui allait devenir la première œuvre non anglophone à rafler l’Oscar du meilleur film, Bong Joon-ho s’est inspiré de l’époque où il donnait des cours particuliers, d’un fait divers français des années 1930 impliquant l’assassinat d’employeurs par leurs femmes de chambre (Christine et Léa Papin) et d’un film : La Servante (1960).

Œuvre phare du cinéma sud-coréen, cette perle gothique rapporte l’histoire d’une famille bourgeoise dont la vie régulée se trouve bouleversée par l’arrivée d’une aide de maison aux ambitions démoniaques. On nage en plein du côté de la longue lignée des “films de domesticité” de la péninsule Coréenne. Mais aussi de l’horreur façon “home invasion”. Un schéma cinématographique que Bong Joon-ho a largement décalqué. Piqûre de rappel.

L’invasion, pas à pas

Les Ki-taek sont pauvres. Très pauvres. À tel point qu’en scène d’ouverture ils s’alarment de ne plus pouvoir gratter le wifi du voisin (les “parasites”, déjà…). Cette famille au chômage vivote péniblement en réassemblant des cartons de pizza à rythme industriel. Alors, forcément, quand le fils se fait engager par un couple fortuné, les Park, pour donner des cours d’anglais à leur fille aînée, c’est ce qu’il convient d’appeler “une occasion en or”.

Faisant mine de n’avoir aucun lien de sang, les Ki-Taek déploient des trésors d’ingéniosité pour infiltrer le personnel (et donc la maison) de ces nantis. Voilà que la mère gère l’intendance, la cuisine, le ménage, que le père pilote la Mercedes de Monsieur Park. Et que la sœur, maestra du subterfuge, se mue en art-thérapeute formée aux États-Unis fraîchement débarquée pour soigner le “trauma” du cadet Park.

Une révélation, et la farce s’arrête net

Jusqu’ici, tout est franchement drôle. On rit devant l’inouïe candeur de maman Park, on s’amuse de l’éviction so dramatic de l’ancienne gouvernante (la scène du mouchoir ensanglanté au ketchup) – bref, on s’égaie de voir cette famille sans le sou mais soudée comme pas deux s’aventurer dans cette gigantesque mascarade qui aurait pu être rien de moins que le boulevard tant attendu vers la “grande vie”. Sauf que.

Un soir que la famille Park est partie fêter en camping l’anniversaire du petit dernier, les Ki-taek décident de s’en mettre jusque-là. Pieds sur le canap, orgie de bouffe, bouteilles hors de prix enfilées à grandes lampées. Pépouze. Mais voilà – ding, dong – l’ex-gouvernante trouble la fête en appuyant comme une forcenée sur la sonnette d’entrée. Que veut-elle à la fin, cette femme au regard curieusement alarmé ? “Récupérer quelque chose au sous-sol”. Bon, OK. On laisse faire.

Reste que ça prend du temps. Tellement de temps que ça en devient louche. Alors les Ki-taek jettent un coup d’œil à ce qui se trame là-dessous, et Parasite bascule soudain de la sémillante comédie à l’horreur. Musique d’ambiance glaçante, couloirs étroits aux lumières blafardes, hors champ inquiétant… Dans les boyaux souterrains de la maison Park vit depuis des années, caché, un être devenu quasi-animal. Il s’agit du mari de l’ex-gouvernante, que celle-ci avait l’habitude de nourrir en cachette.

Cocktail des genres pour satire mordante

S’ensuit un premier déchaînement de violence entre “parasites”, vivant tous aux crampons des Park pour la simple raison que les premiers sont pauvres, et les seconds riches. Cette illustration d’une sauvage lutte des classes trouve son point d’acmé dans la scène finale. Un fastueux repas d’anniversaire où ces mêmes “parasites” finissent par, à nouveau, se déchirer – mais surtout détruire leurs “hôtes”, s’ôtant donc ainsi la possibilité de survivre. Eh oui, si l’animal sur lequel la tique s’était fichée décède, celle-ci se meurt aussi. Loi de la nature.

En brossant une satire sociale grinçante sur l’explosion contemporaine des inégalités en Corée du Sud, Boon Joon-ho s’est éloigné des sentiers conventionnels du “home invasion”. Parasite insère de l’humour là où les joyaux du genre misaient plutôt sur la violence sadique (Funny Games, Haneke), l’angoisse de l’infraction (Panic Room, Fincher) ou encore l’intrusion cauchemardesque (Us, Jordan Peele).

Boon Joon-ho a concocté un magistral mélange des genres (horreur, thriller, comédie…) pour dépeindre jusqu’à quelles extrémités peut pousser la rigueur du déterminisme social. Au nom du principe de survie (sans travail, pas de pain) a-t-on le droit d’escroquer, de voler ? Jusqu’où aller ? Voilà l’étendue des questions posées par Parasite dont les éléments de réponse tantôt égayent, tantôt saisissent de stupeur. La série du même nom – qui ne sera pas un remake, mais bien une histoire originale – pilotée par Adam McKay et Boon Joon-ho versera-t-elle, elle aussi, dans le “home invasion” teinté de comédie noire ? Il y a fort à y parier. Et loin de nous l’idée de s’en plaindre.

Côté projets toujours, l’infatigable réalisateur sud-coréen projette un premier film d’animation lié aux fonds marins, ainsi qu’un long-métrage SF sur un astronaute envoyé… coloniser des planètes lointaines. Boon Joon-ho n’en a visiblement pas fini de nous parler pillage façon sangsue, et intrusion en terre étrangère. Chaud, chaud, “Planet invasion” en vue !