5 questions qu’on s’est tous posé après avoir vu Under the Silver Lake

5 questions qu’on s’est tous posé après avoir vu Under the Silver Lake

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Par Antonin Gratien

Publié le , modifié le

Quelqu’un pourra-t-il (enfin) nous dire qui est le "dog killer" ?

“Notre monde est peuplé de codes, de pactes, de messages subliminaux”, avance un auteur local de BD, dans Under the Silver Lake. Et on aurait du mal à lui donner tort – concernant l’univers du film, tout du moins. Avec son troisième long métrage David Robert Mitchell, qui nous avait déjà habitués à des productions énigmatiques (on ne sait toujours pas ce qu’est le “it” de It Follows…), a livré une œuvre cryptique. De bout en bout.

L’enquête dans laquelle se lance Sam (Andrew Garfield) pour retrouver son aimée sert de prétexte à nous entraîner dans les dédales d’une Los Angeles souterraine, et envoûtante. Là-bas, des mystères se cachent à chaque coin de rue, à chaque spot télé. Alors forcément, ça crée des nœuds au cerveau. Et même 4 ans après la sortie d’Under the Silver Lake, bien orgueilleux celui qui prétendrait les avoir tous dénoués.

Pour notre part, on en est encore à la phase de réflexion. La preuve, voilà 5 questions qui nous sont venues à l’esprit en (re)regardant la pépite de David Robert Mitchell. Et quelques éléments d’éclaircissements, quand même.

D’où est venue l’idée ?

Sam passe ses journées à reluquer des voisines, puis tombe amoureux – sympa. Oui. Sauf que non, puisque Madame se volatilise aussitôt. Notre trentenaire s’élance alors à sa recherche. Sur son chemin, il croise un mac déguisé en pirate, un dessinateur complotiste, une tueuse hibou, un pianiste qui prétend être à la fois l’auteur de Smells Like Teen Spirit et de l’Ode à la joie de Beethoven. Ah, aussi. Il finit par mettre au jour le fantasque projet de l’élite de L.A. : s’enfermer dans des tombeaux avec leurs partenaires en attendant une “ascension” divine. Le mot que vous cherchez est “WTF”.

À l’origine de ce scénario un peu fou, il y a une blague. “Tout est venu d’une conversation que j’ai eue un jour avec ma femme : on rigolait en se demandant ce qu’il pouvait bien se passer dans les maisons qui étaient situées sur les hauteurs de Los Angeles. ‘Il se passe quoi aussi dans ces manoirs ? Est-ce qu’ils cachent des secrets bizarres ?’ C’est là que j’ai commencé à avoir des idées en lien avec ces mystères, ces questions qu’on se posait”, avait déclaré auprès de nous le réalisateur.

Qui est le “dog killer” ?

Le film s’ouvre sur l’inscription “Beware of the dog killer”. À de multiples reprises, il est rappelé via des tracts ou des lignes de dialogues qu’un tueur de chiens sévit dans les environs de L.A.. Mais aucun indice ne filtre concernant l’identité dudit criminel. À moins que… ? Si on y regarde bien, un chapelet d’éléments pourrait bien pointer Sam du doigt.

Tout d’abord, il se balade avec des biscuits pour amis canins dans la poche. Peut-être qu’il les a emportés juste pour draguer sa voisine en sympathisant avec son animal. Mais peut-être qu’il s’en sert d’appât. C’est ce que semble sous-entendre le roi des SDF quand il l’interroge à plusieurs reprises sur le sujet. Plus troublant encore : le protagoniste hallucine parfois que ses homologues humains lui aboient dessus. Et il déclare qu’étant petit le terrier de ses grands-parents l’aurait mordu. Un mobile pour le canicide ? Allez savoir…

Que représente le “baiser du hibou” ?

Cette formule poétique renvoie à une réalité plutôt barbare. Selon l’auteur de la BD Under The Silver Lake, une entité surnaturelle adoptant la forme d’une femme hibou se glisse, tard dans la nuit, dans les foyers d’Américains pour leur ôter la vie. D’où vient-elle ? Le protagoniste avance prudemment l’hypothèse d’un “culte lié à la finance et au commerce”. Une théorie selon lui étayée par le fait qu’un hibou apparaît, discrètement, sur chaque billet de 1 dollar.

Mais plus qu’une déité liée à l’argent, ce personnage pourrait bien incarner la finance elle-même. Le film se déroule à l’été 2011, un mois à peine avant le krach boursier qui a (historiquement) frappé les États-Unis de plein fouet. Or, l’auteur de BD, qui semble représenter son pays (le numéro de sa porte est 1492, soit la date d’arrivée de Christophe Colomb en Amérique, et sa déco est remplie d’hommages aux grandes figures de cette nation…) finit tué par cette entité. Métaphoriquement, on peut l’interpréter comme l’assassinat des États-Unis par la finance.

Ciblant ceux au bord de la ruine, le monstre s’immisce chez Sam – qui est sur le point d’être expulsé de chez lui pour défaut de paiement –, mais finit par rebrousser chemin. Moins à cause du pistolet que brandit cet antihéros que parce que la police s’apprête à lui laisser un jour de répit supplémentaire pour régler ses dettes, si l’on colle à la théorie.

Chou blanc ?

Au terme d’une investigation rocambolesque, Sam découvre que celle dont il est épris (Riley Keough) s’est enfermée dans une tombe 5 étoiles en compagnie d’un milliardaire volontairement. Il retourne alors chez lui, et s’apprête à mettre fin à ses jours. Pour le spectateur comme pour le protagoniste, on ne peut manquer d’être saisi par un sentiment de… vanité. Et pourtant.

À bien y regarder, cette quête n’aura pas été stérile. Sam est présenté comme un type assez apathique, un peu geek, très sale. Il a toujours “rêvé d’être quelqu’un” mais demeure sans emploi, ne peut pas payer ses factures, et se balade en pyjama d’ado dans la rue, lorsqu’il ne joue pas à Mario avec son pote. Bref, il est resté bloqué à la case “ado”. Et toute l’énergie qu’il investit pour retrouver sa voisine pourrait, au fond, n’être qu’un moyen d’esquiver la réalité “des grands” : s’il ne règle pas son loyer, il se retrouvera sans domicile.

Après avoir réalisé qu’il a définitivement perdu la fille qu’il aime, il ne reste plus à Sam qu’à s’ôter la vie, pour fuir, à nouveau,”l’existence réelle” – certes moins passionnante que la chasse au trésor qu’il vient de mener. Mais au lieu de ça, il s’élance dans le monde adulte en délaissant ses amours volages pour les jeunes femmes au profit de sa voisine au perroquet, plus âgée. Preuve de la transformation du personnage : il semble s’être enfin départi de la puanteur qui lui collait à la peau depuis le début du film. “Est-ce du patchouli ?”, lui demande son amante… Et à David Robert Mitchell de clôturer le film en montrant Sam, torse bombé, toisant l’arrivée de son propriétaire dans le logement qui était le sien. La boucle initiatique est bouclée, une nouvelle page se tourne.

Y a-t-il un code secret adressé au spectateur ?

Impossible de ne pas se poser la question, tant le film fonctionne comme une invitation à essayer de décrypter avec Sam les messages cachés. Et certains se sont pris au jeu, notamment via Reddit – terre d’élection s’il en est des âmes en quête de sens. Quelques discussions ont fleuri ici et là sur le forum, avec des résultats pour le moins déroutants.

Plusieurs internautes ont repéré une grappe d’indices qui pourraient n’être adressés qu’au spectateur. La référence à un “graffiti” lors d’une émission de télé diffusée dans le film ferait référence à un mystérieux tag basé sur le code du Copiale, un manuscrit chiffré dont le langage n’a été élucidé qu’en 2011. Lequel message renverrait à un autre code, lui en morse, qui lui-même renverrait à III What3words. Un système de géolocalisation basé sur l’entrée de trois mots-clés. Restait à trouver les mots en question. En fouillant, nos enquêteurs 2.0 ont repéré l’usage du code du tueur du Zodiac, en dessous de trois poupées visibles dans l’appartement de la voisine de Sam, au début du film.

Résultat du décryptage ? La suite : TOMBSTONE SHERIFF ENTRIES. Insérés dans cet ordre sur What3words, les termes renvoient à une zone un peu paumée de Californie à proximité d’un point d’intérêt nommé… Mitchell Peak. Soit un clin d’œil au nom du réalisateur. Dingue ? Oui. Mais rien n’indique qu’il s’agit d’un point final. L’enquête reste ouverte… “Vous ne pouvez pas monter un film sur les messages cachés et les codes en proposant un film sans messages cachés ni codes. Ça fait partie du job”, avait déclaré le réalisateur auprès du LATimes. On dit chapeau, l’artiste.