À 15 ans, Mounir se découvre un kyste au bras qui s’avère être une tumeur. Opérations, chimiothérapie, séjours à l’hosto : Mounir a eu le droit à la totale jusqu’à sa guérison, qui lui fait voir aujourd’hui la vie autrement.
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T’as 15 piges, tu te crois roi, tu te sens au sommet de ta gloire et un mercredi matin tout s’arrête. On t’annonce que t’as un synovialosarcome et que les douze prochains mois, tu vas les passer sur un lit d’hôpital à te faire shooter à ta nouvelle cure de jouvence, la chimio.
Vous allez me demander comment c’est possible, à 15 piges, d’avoir un putain de cancer. C’est super simple, j’avais une boule sur le bras gauche, un “kyste”. Rien de grave, selon mon médecin. En général, le “kyste” est bénin. Pas celui-là. Pour des raisons de gêne et d’esthétique, je suis passé sur le billard en février 2010. L’opération s’est passée sans encombre. C’était bon, j’avais retiré cette boule et j’étais de nouveau moi.
Un mois après, un mercredi matin, alors que je m’apprêtais à aller en cours, le téléphone a sonné. C’était le service de radio de l’hôpital de Mantes. Ils voulaient me voir parce que dans la biopsie de mon “kyste” ils avaient trouvé des cellules malignes. Le merdier a commencé ! Mes parents, en panique totale, ne comprenaient strictement rien. Les questions fusaient et les réponses ne venaient pas. Le délire. On m’a annoncé que j’allais devoir repasser sur le billard dans les jours suivants pour une seconde opération qui allait me retirer 60 % de mon biceps gauche. Putain : 60% de mon biceps, c’est juste dingue !
Tout allait trop vite. Tu ne sais pas comment prendre la maladie, que t’es déjà sur un lit à te faire shooter. Après l’opération, j’ai fait quatre mois de rééducation pour récupérer la mobilité de mon bras. J’ai encore des séquelles de cette opération. Pour terminer le championnat des opérations, j’ai eu le droit à l’implantation d’un cathéter central, en haut à droite de mon pec’.
Vous allez me dire : “À quoi sert un cathéter central ?” Celui-ci sert à protéger les veines de la chimio. Je ne sais pas si vous le savez, mais la chimio c’est une dinguerie comment c’est toxique. Le cathéter est relié à l’une des artères au-dessus du cœur. C’est par lui que l’on m’injectait ma chimio et l’ensemble des drogues qui me shootaient.
La chimio : ma vie entre l’hôpital et la maison
Jeune banal, sans souci de santé, avec une excellente condition physique, je suis devenu un cancéreux luttant pour vivre. J’ai passé douze mois dans le service d’oncologie de l’hôpital Raymond-Poincaré. Douze mois dans les couloirs d’un service où le mot “vie” prenait tout son sens. J’ai côtoyé l’espoir et le désespoir, l’amour de la vie et l’attente de la mort. L’équipe médicale était tout simplement incroyable. On ressentait une réelle passion et une riche volonté de rendre la maladie la moins douloureuse possible. Je reste redevable à vie à ces médecins qui, par un travail acharné, permettent de rendre la vie beaucoup plus agréable.
Mes semaines entre l’hôpital et ma chambre, c’était d’abord cette chimio qui me rendait malade à en crever. Imaginez avoir tous les mois une grippe qui vous retourne et surtout une fatigue qui affaiblit au point où marcher 100 mètres est une torture. Ça, c’est la chimio ! Après la torture, je rentrais chez moi. Ça me permettait de me reposer un peu, reprendre des forces et surtout me ressourcer. Au sein du service, je ne voyais personne. Le souci, c’est que chez moi aussi je n’étais pas tranquille. Tous les matins, je devais faire une prise de sang pour vérifier si mes défenses immunitaires n’étaient pas trop basses. Si c’était le cas, je devais retourner à l’hôpital pour commencer ma phase d’aplasie.
Quel bonheur ! L’aplasie, c’est la phase post-chimio où tu te rends compte que t’es réellement malade. C’est la période où tes défenses immunitaires sont au plus bas et que le moindre microbe peut tout simplement te tuer. On t’enferme dans une chambre et on t’amène une machine qui filtre l’air. Il y a tout un protocole strict pour les visiteurs. L’obligation de se laver les mains, de porter une combinaison (qui ressemble à celle des peintres), une charlotte sur la tête, aux pieds et un masque au visage. J’ai toujours en tête l’image de ma mère quand elle est rentrée pour la première fois avec cette tenue. Le choc. J’avais enfin réalisé que c’était réel, que j’étais malade.
Des stratégies pour tenir le coup
Le gamin que j’étais a pris une grosse claque, une claque qui a fait de moi celui que je suis aujourd’hui. Cette période m’a fait développer un optimisme à toute épreuve. Même si la vie vous frappe de plein fouet, il y a toujours une lueur d’espoir. Mes premières semaines à l’hôpital étaient longues, ennuyantes et douloureuses. Au début, je prenais mon cancer comme un cancer. J’avais en tête le début de la fin : aucun espoir, la mort me tendait ses bras.
Puis, mon état d’esprit a complètement changé. Je ne voyais plus la maladie comme un poids mais comme une réalité. J’étais malade et je devais apprendre à m’y faire. Pour cela, j’ai mis en place deux stratégies. La première était de rendre ma maladie moins grave d’un point de vue psychologique : j’ai analysé les effets secondaires de ma chimio et j’ai essayé de trouver une maladie moins grave que mon cancer. La grippe était mon alliée ! C’est là que mon cancer est devenu une “grosse grippe”.
La deuxième stratégie était de connaître à fond ma maladie. Je me suis documenté, j’ai posé des questions à mes médecins et j’ai rencontré d’autres malades qui avaient aussi une “grosse grippe”. Cela m’a permis de me rendre compte que j’avais de grandes chances de guérison ! J’ai été pris en charge très tôt. Si mon “kyste” – ma tumeur, quoi – avait grossi ne serait-ce qu’un peu plus, on m’aurait amputé le bras ou posé une prothèse. J’ai eu beaucoup de chance. Et je ne vois pas le cancer comme une fin, mais comme un renouveau.
Cela va sûrement vous choquer, mais j’ai eu de la chance de tomber malade, d’avoir pleinement conscience de l’importance d’être en forme, physiquement ou psychiquement. Je suis devenu un “jeune vieux”, en décalage avec mes amis de 15 ans qui n’en ont rien à foutre de leur santé ou n’en ont pas conscience. C’est l’un des points hyper positifs que je tire de ma maladie. Le cancer est l’école de la vie, c’est certain.
Ma vie reprend, lentement mais sûrement
À cette époque, j’étais en seconde. L’école, c’était terminé pour moi. Ma priorité était de combattre la maladie. J’avais enfin une excuse valable pour ne pas aller en cours. Parce qu’il faut le dire : l’école à cet âge, c’est chiant. Enfin bref, j’ai raté une grosse partie de ma seconde. Mais l’équipe éducative du lycée avait vu du potentiel en moi. Ils m’ont permis de passer en première ES. J’ai raté l’ensemble de ma première, que j’ai redoublée à cause de mon traitement. Ma deuxième première a elle aussi été très compliquée. Je venais de terminer ma chimio. Sauf qu’après la chimio, on m’a refilé un autre traitement que je devais prendre chez moi.
C’était pas un cadeau : je devais me l’injecter dans les cuisses tous les deux jours. Ce traitement devait permettre à mon corps de mieux se défendre, mais il me foutait des fièvres atroces. Les médecins de mon service m’avaient prévenu. Dans la plupart des cas, après une semaine de traitement, les effets secondaires disparaissaient. La première semaine, c’était l’enfer. J’ai eu une fièvre de ouf. Chanceux comme je suis, les effets secondaires ont duré toute la semaine. Ça n’arrivait que très rarement.
Mon médecin référent a insisté pour que je continue le traitement. Cela me donnait plus de chances de rémission. Ça a duré trois ans. Pendant trois ans, j’avais une fièvre tous les deux jours. J’étais abonné au Doliprane. Ajoutez à ça une fatigue chronique due au traitement, vous obtenez moi : un élève présent en cours 40 % du temps. Malgré tout ça, j’ai réussi à avoir mon bac ES avec 11 de moyenne ! Onze de moyenne… C’est ouf !
Aujourd’hui, on est en 2018. Pour moi, cette année est signe de renouveau : je reprends mes études en première année de STAPS. Avant ça, j’avais monté une société qui n’existe plus ! J’ai 23 ans et c’est juste hyper excitant. Lorsque je regarde mon passé, je me dis qu’il est riche d’expériences, de rencontres, qu’il est ouf !
J’ai toute la vie devant moi. Mon passé m’aide à construire mon futur. Pendant mes années “grosse grippe”, je n’aurais jamais cru pouvoir être un étudiant en STAPS, spécialité boxe française. J’avais l’interdiction formelle de me prendre des coups et de faire un sport de contact. C’est juste beau. Aujourd’hui, je pratique le MMA et je kiffe ma race.
La vie est une énorme source de leçons et d’espoirs, lorsque l’on met le curseur sur la bonne position. C’est avec beaucoup d’émotion et de plaisir que j’ai partagé ici une fraction de ma jeune vie. Et c’est avec beaucoup d’excitation et d’enthousiasme que j’ai envie de découvrir ma vieille vie.
Mounir, 23 ans, étudiant, Mantes-la-Jolie
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.