“Vous avez vécu le confinement ensemble, c’est comme si vous étiez en couple depuis deux ans !” Qu’est-ce que j’ai pu entendre cette phrase ces derniers temps… Je ne peux pas dire qu’elle me plaise pour autant. Deux mois cloîtrés dans un appartement ne représentent pas l’expérience de plusieurs années de vie commune.
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Bientôt huit mois que le premier confinement a pris fin. Il est devenu, pour beaucoup, un repère temporel comme un autre : “Après le confinement, je suis parti en vacances” ou “Je me suis fait l’intégrale de Friends pendant le confinement”. Pour ma part, deux semaines avant le confinement, je me suis mis en couple. Ma moitié ayant pris soin de vous raconter le pendant, me voilà chargé de vous rendre compte de l’après.
Ce temps libre nous a permis de construire notre relation
Après un bel été passé ensemble, elle s’est finalement installée chez moi pour de bon. Il a fallu lui faire de la place tant bien que mal, parce qu’on en manque dans mon deux-pièces ; une bonne partie de ses habits est d’ailleurs restée chez ses parents. Je me sens bien de la voir chaque matin quand je me lève et chaque soir quand je m’endors. Tout se passe bien : le confinement nous a appris à vivre à deux sous le même toit.
En septembre, lorsqu’est venu le temps de regagner le chemin du travail, une nouvelle appréhension m’a atteint : comment faire si cela finissait par ne plus fonctionner à cause de nos rythmes différents ou des soirs répétitifs de déprime après une journée tendue au bureau ? Ces situations sont, finalement, normales dans la vie mais nous n’avions toujours pas eu à les traverser ensemble.
Après quelques semaines de travail dans des conditions normales, lorsque le reconfinement a été annoncé, le télétravail a fait son entrée dans notre quotidien.
Elle rentre à la maison pour se remettre au télétravail
D’ordinaire, je considère qu’il y a un temps pour tout : le temps de travail doit être investi à 100 % et il en va de même pour le temps de repos. Aucun ne doit empiéter sur l’autre, c’est ce cloisonnement qui nous permet de trouver un équilibre en temps normal et qui nous assurait jusqu’alors la tranquillité une fois rentrés du boulot.
Le télétravail, bien que l’on puisse le trouver plus confortable, a pour effet pervers de gommer cette délimitation. Le fait de disposer de tous les outils nécessaires pour l’effectuer depuis chez soi y est pour beaucoup. Il n’est pas rare, désormais, que je me serve de mes week-ends, qui étaient jusque-là du temps libre, pour finir le travail de la semaine ou avancer sur celui de la suivante.
Il en va de même pour elle, précision faite qu’elle travaille encore en présentiel la moitié de la semaine. Une fois son job sur place accompli, elle rentre à la maison pour se remettre à la tâche en distanciel. Au fond, notre appartement s’est transformé en open space, à ceci près que les pâtes au beurre cuisinées à la va-vite ont remplacé les Tupperware et les sandwiches achetés à la boulangerie du coin pour la pause de midi. Le télétravail brouille aussi la frontière entre notre lieu de travail et notre appartement.
Moi irritable, elle surmenée
J’ai découvert en elle une travailleuse infatigable – cela contraste beaucoup avec ma flemme habituelle. Il lui est difficile de déconnecter, a fortiori parce qu’elle est sollicitée en permanence dans le cadre de son job, ce qui n’est pas mon cas. Cette asymétrie a pu créer, quelquefois, des disputes et rend ce deuxième confinement plus difficile à vivre que le premier, dans lequel nous étions tous deux logés à la même enseigne. Je suis irritable et elle est surmenée ; cela donne parfois des situations délicates.
Alors, je me mets à regretter cette période toute proche où il me fallait trente minutes de transports en commun pour arriver au travail, généralement sous la pluie, habituelle pour un automne dans la capitale des Gaules. Cela fait quelques jours que je ne suis pas sorti de l’appartement. Pour quoi faire, après tout ?
En temps normal, rentrer chez nous après une journée éprouvante et retrouver la quiétude de notre appartement nous procure du soulagement, mais ce chez-nous ne m’apporte plus le même réconfort. J’y reste cloîtré, seul, la moitié de la semaine. Tout ceci est beaucoup moins amusant.
Cette étrange période a suspendu la normalité de nos existences
Malgré tout, rien ne change dans l’essence de notre relation, même si, en dépit d’une plus grande liberté, les coups de blues se font plus fréquents qu’au premier confinement. J’ai la conviction que notre relation serait beaucoup moins profonde si le temps en cette étrange période n’avait pas suspendu la normalité de nos existences. Nous avions le temps d’apprendre à connaître l’autre, de rêver, de penser à des futurs possibles… mais aussi d’apprécier le calme d’un café pris sur la terrasse aux aurores ou l’euphorie d’un fou rire partagé à deux, loin du travail et des études. Ce temps libre nous a permis de construire les fondations de notre vie commune et je suis persuadé qu’il a beaucoup contribué à leur solidité.
Je jette un énième coup d’œil à ma montre. Il est 23 h 39 et, pendant que j’écris, je la vois travailler sur son ordinateur. C’est cliché mais : putain, qu’est-ce qu’elle est belle ! Malgré la difficulté de ce reconfinement, je peux à nouveau prendre le temps d’apprécier ce genre de scènes.
Au fond, je sais que, pour ma part, la période d’essai de notre couple s’est transformée en CDI – et la rupture conventionnelle n’est pas à l’ordre du jour.
Rémi, 23 ans, étudiant, Lyon
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la zone d’expression prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.