Il y a peu de temps, j’ai été diagnostiquée surdouée, à haut potentiel émotionnel ou encore surefficiente mentale. Pour parler des gens comme moi, on dit aussi les “zèbres”, “atypiques”, “multi-potentiels”, “cerveaux droits” ou “neuro-droitiers”. Ces gens qui ont une pensée en arborescence, dont le cerveau droit est plus actif.
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Chez la plupart des gens, c’est l’hémisphère gauche du cerveau qui est le plus actif, pour moi c’est l’hémisphère droit. J’ai les sens plus développés que la moyenne, ce qui fait qu’on peut me qualifier d’hypersensible.
Je suis une éponge à sentiments
Je suis comme une éponge à sentiments, je ressens énormément d’émotions en même temps mais, en plus, je ressens intensément celles de mes interlocuteurs. Souvent, quand quelqu’un pleure en face de moi, malgré ma grande empathie, je lui demande d’arrêter parce que je ne supporte pas de ressentir sa tristesse ou son mal-être.
Avant, j’avais tendance à m’effondrer, même en face de gens que je ne connaissais pas. C’est arrivé récemment, car j’apprends encore à mettre mon “imperméable à sentiments”. C’est dur d’arrêter consciemment de ressentir les sentiments des autres, sans se sentir coupable de devenir une personne égoïste ou apathique.
C’est comme un bouton on/off que j’actionne à volonté en fonction des situations. Il y a peu de temps, en marchant dans la rue, un père et sa fille sont sortis d’un magasin de pompes funèbres main dans la main. J’ai tout de suite ressenti un énorme chagrin, alors j’ai essayé d’appuyer sur off, mais parfois, ça déconne.
Ils ont marché devant moi sur quelques mètres avant de s’écrouler dans les bras l’un de l’autre, c’était une scène horrible. J’ai fondu en larmes, je n’arrivais pas à les retenir. Je pensais à leur douleur, à la personne qu’ils ont perdue, à ce qui arriverait si je perdais ma mère ou ma sœur… Dix scénarios plus tard, j’avais encore les larmes aux yeux.
Les “normaux pensants” vont rester des jours sur une dispute. Moi, je réagis vite aux émotions, mais en ayant pris le temps de faire redescendre mon émotion dominante du moment, que ce soit de la colère, de la frustration, de la tristesse ou un sentiment d’abandon, j’analyse le pourquoi et je vois la situation sous un nouvel angle.
Dans mon mode de pensée, il n’y a que deux étapes : émotion -> action. Parfois, je peux donc être blessante, parce que tourner autour du pot pour protéger l’autre, ça ne sert à rien. Quand on le fait avec moi, je saisis tout de suite la pensée sous-jacente de la phrase remplie de nuances, alors je pense que c’est pareil pour les autres, mais non. C’est pourquoi je suis souvent blessée, même quand mes interlocuteurs ont mis les formes pour atténuer une critique.
Comme je me sens différente, j’essaie de me conformer
Le plus difficile c’est que, comme je me sens différente, depuis toute petite, j’essaie de me conformer pour que personne ne puisse me trouver bizarre. Les zèbres ont de très hautes exigences, envers eux-mêmes comme envers les autres. Mon but à atteindre a toujours été la normalité.
C’est arrivé que mes amis me trouvent bizarre (ou juste très relou) de ne pas vouloir aller dans un club parisien ou à une soirée super cotée avec eux. On m’a souvent reproché de ne pas être spontanée, par exemple quand je rencontre des amis d’amis à moi, je ne sais pas trop comment agir, comme c’est un tout nouveau système social que je découvre. En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est que, quand je suis avec des gens qui ne sont pas mes proches, dès que j’ouvre la bouche, j’ai peur de dire une bêtise ou d’être hors sujet parce que mes idées sont très souvent qualifiées d’irréalistes, hors sujet ou “WTF”. Je vois souvent des liens là où d’autres n’en voient pas, ça crée beaucoup de malentendus et de malaises.
En fait, une fois qu’on t’a mis l’étiquette de la fille bizarre, on ne te reproche pas ta façon d’être, on ne traîne juste pas avec toi. Mais les gens patients réussissent à me voir comme je suis, une fois le stress de la rencontre passé et ils prennent mes petites bizarreries pour de la maladresse. Certains trouvent même ça attachant, “Pauline, c’est la fille qui est dans la lune.”
Surdouée ? Au début, j’ai douté
Ce qui a été difficile à assimiler pour moi, c’est que je suis plus intelligente que la moyenne. Ça me paraissait inconcevable. L’intelligence, c’est la remise en question de tout : alors, plus on est intelligent, plus on doute de l’être. J’ai toujours eu bien conscience du fait que je comprenais vite, mais pas tout. Le truc, c’est que l’école est pensée par des cerveaux gauches, pour des cerveaux gauches. Faire une dissertation avec un plan et des sous-parties, c’est quelque chose que je n’ai jamais su faire correctement. Sélectionner le plus important dans un texte pour faire un commentaire, sans pouvoir parler de tous les détails qui font sa spécificité, c’était très difficile.
Quand j’ai commencé à me documenter sur le sujet, j’avais très peur de l’effet Barnum ; tout ce qui était dit, c’était moi ! Donc malgré le fait que je me reconnaissais dans tous les livres sur le sujet, je suis restée sceptique. J’avais déjà cru être tellement de choses. Mais là, c’était différent. Je n’avais jamais consulté de psy, mais j’ai décidé de prendre un rendez-vous pour me faire diagnostiquer. Je voulais une réponse scientifique, que je ne pourrais pas remettre en question et qui sonnerait la fin d’un périple de questions sans vraies réponses.
Le verdict était sans appel et, parce que 21 ans c’est relativement tard, elle m’a tout de suite dit : “Vous êtes très courageuse de vous être si bien débrouillée.” J’avais déjà appris à canaliser mes émotions en écrivant, à me stimuler en peignant, en allant au musée et en jouant de la guitare, à m’adapter et à me reconnecter aux gens en imitant et en essayant de parler à des inconnus plus souvent.
Le diagnostic : un gros soulagement
Je prends ce diagnostic comme un don, je ne me renie plus. J’essaie juste de m’adapter, tout en restant moi-même. Je fais l’effort, pour les personnes que j’apprécie, de mettre plusieurs étapes dans mon mode de fonctionnement. Je passe de “émotion -> action” à “émotion -> je me demande ce que je vais dire -> je me demande ce que l’autre va ressentir -> j’adapte -> j’agis”, pour que les autres ne soient pas heurtés par mon manque de tact.
Maintenant, quand je me retrouve dans de nouvelles situations sociales, au lieu d’être stressée de dire ou de faire n’importe quoi, je me dis juste que j’ai un avantage pour voir la situation dans son ensemble. Je peux m’adresser à telle ou telle personne en fonction de sa sensibilité, de son humeur, de son caractère, que je devine, en évitant les malentendus. Parfois, ça me donne l’impression de jouer un rôle : je peux m’adapter à tout le monde, donc je dois trouver un équilibre entre être moi-même et m’adapter.
J’ai toujours eu le sentiment d’être à nu, que tout le monde pouvait percevoir ce que je ressentais, ce que je pensais, mais en fait, c’est parce que j’ai toujours cru que tout le monde était comme moi. En réalité, tout le monde ne ressent pas les émotions comme moi, tout le monde n’a pas des intuitions en permanence, tout le monde ne fonctionne pas selon une pensée en arborescence. Ils ne peuvent pas m’analyser comme je les analyse. Je suis rassurée, mais ça donne aussi le sentiment d’être condamnée à me sentir seule et incomprise.
Pauline, 21 ans, étudiante, Mantes-la-Jolie
Ce témoignage provient des ateliers d’écriture menés par la ZEP (la Zone d’Expression Prioritaire), un média d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans, qui témoignent de leur quotidien comme de toute l’actualité qui les concerne.