Les messages de soutien pleuvent sur la cagnotte, autant que les incompréhensions face à une telle somme.
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© Leetchi
Christophe Dettinger, “héros” pour certains, “abruti” pour d’autres, cristallise autour de sa personne les tensions engendrées par la crise des gilets jaunes. La cagnotte Leetchi, créée pour “soutenir sa famille et lui montrer la solidarité du peuple des Gilets Jaunes, du vrai peuple français”, avait dépassé les 115 000 euros mardi 8 janvier au matin. En parallèle, une cagnotte “pour le gendarme victime du boxeur” a été mise en ligne, mais elle n’a pas eu le même succès, ayant récolté à cette heure la maigre somme de 363 euros.
Christophe Dettinger, 37 ans, a été placé en garde à vue lundi 7 janvier. Les forces de l’ordre étaient à sa recherche depuis la mise en ligne d’une vidéo tournée lors de la manifestation parisienne des gilets jaunes samedi dernier. On y voit l’ancien boxeur professionnel donner plusieurs coups de poing à un gendarme lors d’une altercation sur la passerelle Léopold-Sédar-Senghor, dans le 7e arrondissement de la capitale.
Dans une vidéo publiée sur Facebook avant de se rendre à la police, et déjà vue plus d’1 600 000 fois, Christophe Dettinger assure avoir agi suite à un trop-plein :
“Je me suis fait gazer, gazer […]. À un moment, la colère est montée en moi. Oui, j’ai mal réagi. Je me suis défendu. Je voulais vous dire ça, je me rends demain matin en garde à vue, s’ils ne m’ont pas chopé avant.”
Christophe Dettinger ajoute, face caméra : “Moi quand j’entends les gueux, quand j’entends les sans-dents, je me sens concerné parce que je suis fier d’être Français. Je ne suis pas d’extrême gauche, je ne suis pas d’extrême droite, je suis un citoyen lambda.” Et de conclure : “Gilets jaunes, je suis de tout cœur avec vous. Il faut continuer le combat, s’il vous plaît.”
“Je suis à 200 % avec toi et ta famille”
Des mots qui ont convaincu de nombreux gilets jaunes, au regard des commentaires de sympathie et de soutien sur la cagnotte. Et ils sont nombreux, comme : “Merci de soutenir un des héros qu’on a beaucoup de chance d’avoir face à toute cette répression immonde”, “Je suis à 200 % avec toi et ta famille. Ta réaction est tout à fait légitime face à des CRS armés et un gouvernement qui se fout de notre gueule… C’est si facile de jeter le discrédit sur un homme mis à bout”, ou encore : “Tout mon soutien à ce héros moderne.” Plusieurs commentaires insistent sur l’importance de “rester unis entre gilets jaunes” et appellent à “se serrer les coudes”.
Depuis quelques heures, le montant récolté n’est plus affiché sur le lien de la cagnotte de Christophe Dettinger, en raison des vives réactions qu’a provoqué ce chiffre : “Suite à l’engouement et aux pressions médiatiques, et afin de préserver la famille de Christophe, nous avons décidé de ne plus afficher le montant total”, est-il expliqué sur celle-ci. Mais trop tard, puisque de nombreuses captures d’écran circulent sur les réseaux sociaux, et l’indignation face à un tel chiffre semble aussi forte que l’empathie à son égard.
“C’est une prime à casser du flic”
Le secrétaire d’État au numérique lui-même, Mounir Mahjoubi, s’est scandalisé en publiant le message suivant :
La Cagnotte du Boxeur. Apparemment, ça rapporte de frapper un policier. Quand l'attrait de l'argent vient s'ajouter à la haine et à la violence, je n'ai que du dégout.
— Mounir Mahjoubi (@mounir) 7 janvier 2019
Tout le monde doit être responsable : cette cagnotte est indigne. pic.twitter.com/rwoXV4AU7J
Le syndicat de police Alliance a quant à lui réagi à la polémique mardi dans la matinée, demandant le retrait de la cagnotte. Le secrétaire général adjoint, Benoit Barret, était interrogé sur BFMTV. Selon lui, qui s’est dit “scandalisé”, la laisser en ligne serait “une prime à casser du flic et à fracturer du policier”. “C’est inadmissible, cette cagnotte doit cesser immédiatement, le lien doit être retiré”, a-t-il plaidé, assurant que le message envoyé serait : “Fracturez du flic !”
“C’est indécent, inadmissible, c’est même un outrage, une humiliation supplémentaire aux collègues qui ont été blessés”, a-t-il conclu.
"C'est une prime à casser du flic." Le syndicat Police Alliance demande le retrait de la cagnotte en soutien au boxeur pic.twitter.com/lwGSgkJ8hJ
— BFMTV (@BFMTV) 8 janvier 2019
La responsabilité de Leetchi questionnée
Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’internautes mettent en cause Leetchi directement, et invoquent la loi qui stipule que :
“Il est interdit d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, des amendes forfaitaires, des amendes de composition pénale ou des sommes dues au titre des transactions prévues par le code de procédure pénale ou par l’article 28 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits sous peine de six mois d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, ou de l’une de ces deux peines seulement.
Le fait d’annoncer publiquement la prise en charge financière des amendes, frais, dommages-intérêts et autres sommes mentionnés au premier alinéa du présent article est sanctionné des mêmes peines.”
Face aux nombreuses critiques à l’égard de la plateforme, cette dernière a répondu à une d’entre elles. Il s’agissait d’un internaute qui se disait “scandalisé par la cagnotte organisée par Leetchi [pour] une personne qui aurait pu tuer un policier”. L’entreprise s’est défendue :
“Aucune cagnotte n’a été créée PAR Leetchi, nuance très importante que beaucoup n’entendent visiblement pas. Nous sommes une plateforme et devons étudier la légalité/conformité. Nous n’avons pas à juger le contenu tant que celui-ci est conforme à la loi, ce qui est le cas ici.”
Une justification qui n’a pas convaincu un internaute, qui a renchéri : “Parce que Leetchi n’a pas de problème avec le fait de récompenser un abruti qui tabasse ceux à qui il disait merci il y a tout juste quatre ans. Vous créez peut-être pas les cagnottes mais d’un point de vue légal, je pense qu’on est à la limite du légal.” Et l’entreprise de cagnotte en ligne de rétorquer en invoquant conditions générales d’utilisation (CGU), disponibles ici.
Bonsoir, la cagnotte est bien légale et conforme aux CGU, nous connaissons notre métier et pouvons vous l'assurer. Ce n'est en aucun cas une "récompense" et nous allons nous assurer qu'elle ne serve qu'aux frais d'avocats, comme prévu par l'organisateur.
— Leetchi ⭐️⭐️ (@Leetchiweb) 7 janvier 2019
Enfin, malgré la remarque d’un internaute qui semble avoir trouvé un point de contradiction dans les CGU de l’entreprise [ci-dessous], Leetchi persiste et signe :”Aujourd’hui elle est légale puisque aucune peine n’a pour l’heure été prononcée. Nous avons l’habitude de ce genre de cas et sommes très vigilants au respect de la loi.”
je viens de me farcir vos CGU. On parle quand même d’une promotion de ciolence et de haine envers les forces de l’ordre. pic.twitter.com/j8M8Swi4NW
— Simon Jeanneret (@JeanneretSimon) 7 janvier 2019
À la mi-journée, Leetchi a finalement fait savoir que la cagnotte était clôturée. Dans un communiqué, elle justifie ainsi cette démarche : “au vu du montant atteint à ce jour, la cagnotte n’accepte désormais plus de contributions”. L’entreprise a assuré que les fonds récoltés “serviraient uniquement à financer les frais de justice” et que “l’argent sera[it] reversé directement sur le compte dédié de l’avocat et ce sans aucun intermédiaire” :
“Leetchi s’engage à ce que les fonds collectés sur la cagnotte de soutien à Christophe Dettinger servent uniquement à financer les frais de justice conformément à nos CGU et à la législation en vigueur. En effet, nos CGU proscrivent toute incitation à la haine ou à la violence. Compte tenu des actes reprochés à Christophe Dettinger, aucune autre utilisation de la cagnotte ne saurait être acceptée.”