Emmanuel Macron l’avait assuré lors d’une prise de parole fin novembre : il ne rendra “pas la vaccination obligatoire”. Toutefois, le débat autour de l’éventuelle mise en place d’un “passeport vaccinal” prend de plus en plus d’ampleur. Ce document, également appelé “passeport sanitaire”, s’il était mis en place, serait nécessaire pour prendre l’avion, aller au cinéma ou encore s’attabler dans un restaurant.
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Ce qui a provoqué la colère de ses détracteurs, c’est notamment le projet de loi nº 3714 “instituant un régime pérenne de gestion des urgences sanitaires”. Celui-ci a été présenté par le chef du gouvernement Jean Castex et déposé le 21 décembre dernier. Dans ce dernier figure l’instauration de mesures coercitives :
“Le Premier ministre peut, le cas échéant dans le cadre des mesures prévues aux 1° à 5°, subordonner les déplacements des personnes, leur accès aux moyens de transport ou à certains lieux, ainsi que l’exercice de certaines activités à la présentation des résultats d’un test de dépistage établissant que la personne n’est pas affectée ou contaminée, au suivi d’un traitement préventif, y compris à l’administration d’un vaccin, ou d’un traitement curatif.”
“Une restriction de nos libertés publiques”
Très rapidement, l’idée d’un passeport vaccinal a suscité un tollé en France. Plusieurs membres de l’opposition s’étaient indignés, à l’instar de l’élu LFI Alexis Corbière qui avait pointé du doigt “une restriction de nos libertés publiques”. La présidente du Rassemblement national Marine Le Pen y avait pour sa part vu une “mesure d’essence totalitaire”.
Un chiffre étonnant toutefois : d’après un récent sondage Ifop pour la société Lemon publié samedi par Le Parisien, ce sont 62 % des Français qui se sont dits favorables à ce que la vaccination contre le Covid-19 soit rendue obligatoire pour les personnes souhaitant prendre l’avion ou se rendre à l’étranger, et 60 % qui plaident pour la vaccination obligatoire des personnes rendant visite aux personnes vulnérables, en maison de retraite ou dans les hôpitaux par exemple.
En revanche, le ratio s’abaisse à une personne sur deux lorsque l’obligation conditionne l’accès aux transports en commun, aux collèges et aux lycées pour les élèves et personnels, aux lieux de culture ou le fait de se rendre sur son lieu de travail.
Dans un avis rendu sur ce projet de loi en décembre dernier, le Conseil d’État avait de son côté souligné que “sans être par elle-même assimilable à une obligation de soins, une telle mesure peut, si notamment elle conditionne la possibilité de sortir de son domicile, avoir des effets équivalents et justifie, à ce titre, un strict examen préalable de nécessité et de proportionnalité, dans son principe comme dans son étendue et ses modalités de mise en œuvre, au vu des données scientifiques disponibles.”
“Un débat très prématuré”
Pour l’heure, au gouvernement, on assure que la création du passeport vaccinal n’est pas à l’ordre du jour dans l’Hexagone. Le secrétaire d’État en charge des Affaires européennes Clément Beaune s’y est opposé, en expliquant qu’il était même selon lui “prématuré” d’en débattre, l’ensemble des Français n’ayant pour l’instant pas accès au vaccin. Invité sur France info, il a déclaré :
“D’abord, on sait que le vaccin est sûr scientifiquement, qu’il a des effets bénéfiques, mais on ne sait pas encore son impact sur la transmission du virus, il faut donc faire la clarté complète sur ce point.
D’autre part, […] c’est un débat qui n’a pas lieu d’être et ce serait choquant, alors qu’on débute encore partout cette campagne de vaccination en Europe, qu’il y ait un passeport avec des droits plus importants pour certains que pour d’autres. Ce n’est pas notre conception de la protection et de l’accès aux vaccins.”
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Même son de cloche du côté du professeur Alain Fischer, en charge de la stratégie vaccinale française. Ce dernier a déclaré lundi sur RTL que cela reviendrait à “créer une situation d’injustice incroyable”.
Une position partagée par le comité d’urgence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui s’est prononcé :
“Pour le moment, ne pas mettre en place d’exigences de preuve de vaccination ou d’immunité pour les voyages internationaux comme condition d’entrée, car il existe encore des inconnues déterminantes quant à l’efficacité de la vaccination en ce qui concerne la réduction de la transmission et à la disponibilité limitée des vaccins.”
“Est-ce que ces Français, on va les priver de culture ?”
La ministre de la Culture Roselyne Bachelot, interrogée sur BFMTV la semaine passée, s’y est quant à elle dite fermement opposée, qualifiant l’idée de “choquante”, convoquant la “tradition” française, avant d’ajouter : “Lors de la réunion que nous avons eue avec à la fois les opérateurs du cinéma et les opérateurs du spectacle vivant, à l’unanimité, [ces derniers] ont rejeté l’idée d’un passeport vaccinal.”
Et de poursuivre, avec cette fois un argumentaire quelque peu différent : “Il y a des gens qui ne veulent pas se faire vacciner. Je ne les approuve pas mais je les respecte. Est-ce que ces gens, est-ce que ces Français, on va les priver de culture ?”
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L’Union européenne a lancé lundi un débat sur un certificat de vaccination européen proposé par la Grèce. À ce sujet, le vice-président slovaque de la Commission européenne Maros Sefcovic a déclaré, comme le rapporte l’AFP : “Dans le futur, il pourrait y avoir d’autres motifs [que médicaux] pour utiliser ces certificats ou ces données.” Et il s’est voulu rassurant, affirmant :
“En aucune circonstance, nous ne voulons créer une situation dans laquelle les personnes qui ne veulent pas être vaccinées ou ne peuvent pas l’être, par exemple pour des raisons médicales, seraient limitées dans leurs droits et libertés.”
Même si le gouvernement français tente de rassurer ses opposants en affirmant que le passeport vaccinal n’est pas près d’arriver sur notre sol, plusieurs exemples confirment la nécessité d’interroger sa mise en place.
À l’étranger, l’idée d’un certificat appelé “passeport vert” a déjà émergé en Israël, où le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé il y a quelques semaines que son ministre de la Santé travaillait à son élaboration, arguant : “Quiconque reçoit une vaccination pourra présenter un certificat qui lui permettra d’entrer dans les centres commerciaux et [d’obtenir] toutes sortes de services”, rapporte l’AFP.
Et en France, la députée de la 7e circonscription du Nord Valérie Six s’était appuyée sur l’exemple israélien pour proposer la mise en place d’un “passeport vert” pour “inciter les Français à se faire vacciner”. Celui-ci permettrait aux personnes vaccinées de se rendre au restaurant ou dans des lieux culturels. En outre, la compagnie aérienne Qantas a d’ores et déjà annoncé, et ce dès novembre dernier, qu’il faudrait être vacciné contre le Covid-19 pour embarquer sur ses vols internationaux.
Et juridiquement, comment ça se passe ?
Des mesures et propositions qui inquiètent vivement ceux qui ne souhaitent pas se faire vacciner et qui craignent d’y être contraints. Sans adoption du projet de loi déposé par Jean Castex, est-ce que concrètement un commerce privé ou un lieu culturel peut décider de refuser l’entrée à quelqu’un qui n’est pas vacciné ? L’entrée du passeport vaccinal dans le droit positif est-elle réellement envisageable ?
Pour y voir plus clair, nous avons interrogé Bénédicte Bévière-Boyer, maîtresse de conférences-HDR en droit privé à l’Université de Paris 8, spécialisée en droit de la santé, en bioéthique, en numérique et en transhumanisme.
- En premier lieu, est-ce qu’une compagnie aérienne peut légalement imposer à ses usagers d’être vaccinés ?
Au niveau mondial, il existe le règlement sanitaire international, adopté par 196 États, dont la dernière version date de 2005. À l’article 18 de ce règlement, l’OMS apporte des recommandations relatives aux personnes, bagages, moyens de transport, avec notamment la possibilité d’exiger une vaccination ou une mesure prophylactique. Outre les éléments demandés aux ports et aéroports ouverts au trafic international, il est envisageable que les exploitants de moyens de transport, dont les compagnies aériennes, soient appelés à intervenir activement dans la lutte contre la pandémie de Covid 19 en termes de mesures sanitaires et d’information des voyageurs.
Il est aussi possible qu’une compagnie aérienne modifie les clauses du contrat de transport en imposant à ses clients d’être vaccinés. Le fait que la vaccination contre le Covid 19 soit ou non obligatoire peut avoir une incidence importante sur la responsabilité de la compagnie aérienne.
Dans le cas d’une vaccination obligatoire, la compagnie aérienne peut voir sa responsabilité engagée par un État si elle n’a pas pris toutes les mesures nécessaires en termes de vérification de la vaccination Covid-19, si des personnes contaminées entrent sur le territoire, occasionnant d’importants dommages.
Plus globalement, il est possible d’imaginer qu’une compagnie aérienne voit sa responsabilité engagée par les autres voyageurs ayant contracté la maladie contagieuse résultant de l’insuffisance de mesures sanitaires envisagées lors du transport, ce qui peut alors inciter une compagnie aérienne à exiger la preuve d’une vaccination (certificat) pour se protéger en aval en démontrant qu’elle a procédé à une vérification.
Au surplus, il existe déjà l’article R322-7 du Code de l’aviation civile imposant une vaccination obligatoire et un certificat pour la vaccination antiamarile (fièvre jaune). Il est ainsi prévu que “les compagnies aériennes effectuant des transports à destination des zones du territoire national où la vaccination antiamarile est obligatoire vérifient, avant l’embarquement, que les voyageurs sont régulièrement autorisés à atterrir au point d’arrivée et aux escales prévues et sont à cet égard en possession d’un certificat de vaccination antiamarile ou d’un certificat de contre-indication médicale à cette vaccination”. Cet article impose de la part de la compagnie d’aviation une vérification. C’est différent d’imposer une obligation vaccinale qui est du seul ressort du législateur.
- Aujourd’hui, est-ce qu’un employeur peut imposer à ses salariés de se faire vacciner en invoquant la mise en péril de la santé de ses collègues ?
Pour certaines professions, notamment médicales, cette option est possible. Il en est ainsi, notamment, en vertu de l’article L.311-4 du Code de la santé publique des personnes exerçant une activité professionnelle dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées dans la mesure où elle est exposée ou elle expose les personnes à un risque de contamination. Cet article envisage cette hypothèse pour l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et le tétanos.
Seul un texte de loi peut donc autoriser une obligation vaccinale à condition qu’elle soit justifiée et que des conditions proportionnées soient posées.
De manière plus générale dans le monde du travail, pas seulement médical, l’article R.4426-6 du Code du travail se réfère plus à une évaluation des risques permettant d’identifiant les travailleurs pour lesquels des mesures spéciales de protection, et à des recommandations vaccinales appropriées, sur proposition du médecin du travail.
- Est-ce qu’aujourd’hui un magasin, un cinéma ou un restaurant pourrait légalement refuser l’accès de son établissement à une personne non vaccinée ?
À partir du moment où la vaccination contre le Covid-19 n’est pas rendue obligatoire par un texte législatif spécifique, cette hypothèse paraît difficilement envisageable. Toutefois, rien n’interdit, sur une base contractuelle, d’autoriser l’accès à la condition de justifier d’une vaccination par le biais d’un certificat avec, par exemple, une information visible à l’entrée du magasin, cinéma, restaurant.
Pourrait néanmoins être opposée l’atteinte à la liberté d’aller et venir et les discriminations et stigmatisations générées par une telle restriction. À ce titre, les clauses contractuelles devraient justifier les restrictions, par exemple la proximité impossible de plus d’un mètre entre les personnes.
- Est-ce que la légalisation d’un passeport vaccinal vous paraît envisageable en France ?
Par le biais du règlement sanitaire international de l’OMS, les États peuvent être incités à prévoir une vaccination obligatoire à l’échelle internationale.
Pour la légalisation d’un passeport vaccinal, il conviendrait de s’assurer que les vaccinations contre le Covid-19 présentent une réelle efficacité et peu d’effets secondaires. Bien que plusieurs vaccinations anti-Covid-19 soient aujourd’hui envisagées à travers le monde par les autorités étatiques, il n’existe pas encore suffisamment de recul pour privilégier l’obligation vaccinale, qui doit rester par conséquent non obligatoire.
Le passeport vaccinal, étant directement rattaché à l’obligation vaccinale, l’imposer alors qu’il n’existe pas d’obligation vaccinale contre le Covid-19 serait un non-sens. À la limite, en l’état actuel, un certificat de vaccination doit être délivré à toute personne ayant pris l’initiative de se faire vacciner ou inscrit dans le carnet de santé. Il est difficile d’aller plus loin. À défaut, imposer un passeport vaccinal alors que l’obligation vaccinale n’est pas obligatoire serait en définitive rendre de fait la vaccination obligatoire alors que le président de la République s’est engagé à ce qu’elle ne le soit pas.
En définitive, si les autorités décident d’envisager un passeport vaccinal, il leur faudrait en même temps rendre la vaccination obligatoire. À défaut, d’importantes confusions risquent d’apparaître pour le public, ce qui créerait un climat d’incertitude, de confusion préjudiciable pour la confiance en la vaccination alors que c’est essentiel. La logique et la transparence sont les conditions sine qua non de la confiance du public, si importante pour parvenir à la mise en œuvre d’un politique de vaccination efficace.
- Quels problèmes juridiques peuvent se poser selon vous ?
La question d’introduire une sanction pénale en cas de non-respect de l’obligation vaccinale, si elle devient obligatoire pour tous, va se poser alors que pour l’instant elle n’existe plus. Une obligation sans sanction a peu d’effet dissuasif.
La question de l’approvisionnement en vaccins également. En l’état actuel, tant qu’il n’y a pas de stocks suffisants de vaccins, la vaccination obligatoire n’est pas envisageable.
Enfin, la question de la fiabilité des vaccins, qui bien qu’autorisés par les autorités présentent encore beaucoup d’incertitudes, va se poser. En cas de dommages catastrophiques pour les personnes vaccinées, les États seraient tenus par l’indemnisation des victimes : en France, cette obligation est envisagée par l’article L.3111-9 du Code de la santé publique. En ont-ils les moyens ? Les montants d’indemnisation pourraient être énormes et disproportionnés.