Deux jours après l’incendie qui a ravagé une grande partie de Notre-Dame, la question de la responsabilité du départ du feu se pose. Plusieurs hypothèses sont déjà exposées ci et là dans les médias : un “point chaud” a été évoqué, une éventuelle faute de l’entreprise en charge de la rénovation de la cathédrale est pointée du doigt, une supposée négligence de la part des ouvriers est également avancée…
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Mais, à en croire Xavier Depecker, secrétaire national en charge des policiers scientifiques au Snipat (Syndicat national indépendant des personnels administratifs techniques et scientifiques de la police nationale), la réalité d’une affaire de ce type, aussi médiatique soit-elle, entraîne des temps d’enquête qui, même s’ils paraissent incompatibles avec le temps médiatique, sont incompressibles.
Pour Konbini news, ce dernier revient sur la méthodologie à employer sur ce type de scène ainsi que sur les différentes étapes du travail des policiers. À Notre-Dame, deux brigades ont été envoyées : les SRIJ de Paris (Services régionaux d’identité judiciaire), “ceux qui sont en charge des affaires criminelles et des affaires sensibles”, précise Xavier Depecker, ainsi que les techniciens de la police technique et scientifique, le PTS.
Les équipes du SRIJ vont commencer par “faire des photos des lieux, ainsi que des plans”, puis ceux du laboratoire scientifique “vont procéder à des prélèvements pour tenter de déterminer l’origine du feu”, nous fait-il savoir.
Combien sont-ils ? “Une cinquantaine d’enquêteurs de la police judiciaire ont été dépêchés. Comme c’est un cas très sensible, la brigade criminelle a même été mobilisée. Sur un incendie, ce n’est pas toujours le cas, mais la médiatisation de l’affaire et l’émoi populaire font que.”
Une scène dévastée et une médiatisation source de pression
Incendie de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019. (© François Guillot/AFP)
Dans un cas d’incendie qui aurait eu lieu dans un espace plus restreint, comme un appartement, la marche à suivre serait la suivante : “Il y a évidemment déjà des constatations visuelles et ensuite, le boulot des analystes est de prélever des échantillons pour faire des analyses, par exemple dans le but de trouver de l’hydrocarbure, qui pourrait laisser penser qu’il s’agit d’un acte criminel.”
L’une des premières embûches pour la police scientifique dans le cas de la cathédrale Notre-Dame, ce sont les heures durant lesquelles les policiers ont dû patienter avant de pouvoir entrer dans l’édifice :
“Avant d’entrer sur une scène, on suit toujours les ordres des pompiers, il faut leur feu vert. Là, ça a été dévoré par le feu, donc la scène pouvait être instable. Il faut toujours que les officiers puissent pénétrer sur des lieux sécurisés.
Donc, même si le véhicule du laboratoire central de la préfecture de police est arrivé au plus vite – sûrement en raison de la médiatisation –, ils n’ont rien pu faire pendant des heures.”
En outre, le terrain ayant été aspergé d’eau, la scène a pu être endommagée, nous explique Xavier Depecker :
“Ce qui est clair, c’est que les pompiers sont intervenus dans l’urgence. D’ordinaire, ils sont sensibilisés à la sécurisation des scènes de crime, lorsqu’ils interviennent sur un cadavre par exemple. Ils essayent au mieux de conserver la scène.
Avant que les PTS arrivent, les pompiers et les policiers armés doivent sécuriser la scène et ne plus y toucher. Les policiers scientifiques arrivent ensuite pour déterminer les causes et origines d’une scène de crime ou d’un incendie. Mais là, la conservation a pu être plus délicate.”
Une des autres particularités de cette enquête semble tenir de la très grande superficie de Notre-Dame. “C’est complexe, parce qu’il s’agit d’un très grand bâtiment. Et parce que ce sont de vieux bâtiments faits de bois. Mais qu’on aille sur un incendie d’appartement ou un bâtiment comme celui-ci, on fera le même boulot”, assure Xavier Depecker, pour qui “ce qui change, c’est la pression que va pouvoir exercer la hiérarchie à cause de l’engouement national”.
“Le départ du feu sera l’endroit qui est le plus blanchi”
Un officier de la police scientifique, le 28 janvier 2019. (© Gérard Julien/AFP)
Par quoi commence-t-on dans ces cas-là ? “En premier lieu, on va tenter de trouver l’origine, qui peut être électrique, ce qui est souvent le cas dans les incendies. Mais ça peut être un acte volontaire”, explique-t-il, avant de poursuivre :
“On fait des prélèvements pour retrouver notamment le départ du foyer. C’est ultra-important car s’il s’agit d’un acte volontaire, c’est là qu’on peut en trouver la preuve. Par exemple, dans une pièce, sur un plafond, le départ du feu sera l’endroit qui est le plus blanchi. En arrivant sur une scène, vous cherchez un endroit fortement blanchi et vous pouvez déduire que le départ du foyer s’y trouve.”
Et d’ajouter : “Dans le cas de Notre-Dame, on a axé tout de suite sur le côté accidentel mais il faut être le plus neutre possible au départ, même s’ils orientent leurs faits et gestes en fonction de ce que disent les témoins ou les vidéos qui ont pu être tournées sur place. On regarde par exemple la couleur des flammes, ce qui peut donner un indice.”
Dans l’affaire de l’incendie de la cathédrale, le procureur a effectivement confirmé ce matin que la piste accidentelle était privilégiée. “Ils ont dû avoir des éléments et témoignages de départ qui orientent vers un incendie accidentel”, explique le syndicaliste.
Peut-on, à ce stade de l’enquête, déjà formuler des hypothèses ? “Alors, il faut distinguer deux choses. Il y a en premier lieu l’aspect moral de l’enquête, avec les témoignages, enquête de voisinage et analyses, dans ce cas précis, des vidéos de l’incendie”, entame le policier. Avant de poursuivre : “La police scientifique, ensuite, est chargée d’apporter les preuves. Et cela prend du temps. Il faut que les analyses parlent. Donc c’est compliqué.”
Peut-on toutefois s’attendre à des conclusions rapides ? Pour ce représentant de la police scientifique, il va falloir, comme dans chaque enquête, s’armer de patience : “Ça peut être long car les analyses ne se font pas immédiatement. On n’est pas dans NCIS. Même s’il y aura certainement une pression particulière pour avoir des réponses rapides.”