L’historien Benjamin Stora a estimé vendredi que l’apaisement des mémoires entre la France et l’Algérie passait aussi par un travail de “transmission” aux futures générations de l’histoire de la colonisation française.
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“Cette histoire ne peut pas être lue, interprétée par sa fin, c’est-à-dire 1962, la guerre, la tragédie, les massacres de tous ordres”, a déclaré Benjamin Stora, auteur d’un rapport sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie, à des journalistes durant la visite du président Emmanuel Macron à Alger.
“On doit essayer de la comprendre par ses origines”, “avoir une vision plus large de ce qu’a été l’arrivée française en Algérie” en 1830, la “confiscation de terres, les massacres”, “les déplacements de population”, les “combats et les résistances”, a-t-il pointé. “Le problème, c’est la transmission, c’est la connaissance. Il n’y a pas de circulation de cette information”, a-t-il constaté, en appelant à enseigner plus largement cette page de l’Histoire dans les écoles françaises.
“La fabrication de la mémoire s’opère aussi à partir d’une transmission ou non-transmission”, a-t-il insisté. “Beaucoup de Français vont être très étonnés de découvrir les grottes enfumées [les massacres de civils par “enfumades” perpétrés par l’armée française, ndlr], les déplacements de populations. Ils ne savent pas tout cela”, a-t-il dit, à propos des 50 premières années, particulièrement sanglantes, de la colonisation.
“Regarder ensemble cette période historique sans tabou”
“Ce n’est pas avec un seul discours, un seul geste, un seul mot et un seul acte qu’on va apaiser l’effervescence extraordinaire qui existe dans les deux sociétés”, selon lui : “Il faut du temps, de la pédagogie, de l’inscription de tout cela dans les manuels scolaires”.
En scellant leur réconciliation jeudi, M. Macron et son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, ont annoncé la création d’une commission mixte d’historiens “pour regarder ensemble cette période historique” du début de la colonisation (1830) jusqu’à la fin de la guerre d’indépendance (1962). L’idée est d’aborder le sujet “sans tabou, avec une volonté […] d’accès complet à nos archives”, a souligné M. Macron.
“L’arrivée des pieds-noirs, de l’armée, les combats, les résistances, tout cela fabrique un récit national, tout cela fabrique aussi des trous de mémoire”, a poursuivi l’historien. “C’est une question du présent sur laquelle insistent malheureusement beaucoup d’extrémistes, qui jouent de ces trous de mémoires, de ces silences pour reconstruire des récits fantasmés et fabriquer des identités meurtrières”, a-t-il analysé.