États-Unis : la Cour Suprême pourrait annuler le droit à l’avortement

États-Unis : la Cour Suprême pourrait annuler le droit à l’avortement

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© Kevin Dietsch / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

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Par Lisa Coll

Publié le

Cette fuite n’est pas passée inaperçue à Washington.

Le site d’informations Politico, s’appuyant sur une fuite inédite de documents, a indiqué tard lundi s’être procuré l’avant-projet d’une décision majoritaire rédigé par le juge conservateur Samuel Alito et daté du 10 février. Des centaines de personnes se sont spontanément massées devant la Cour suprême à Washington, certaines pour protester, d’autres pour se réjouir.

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L’arrêt Roe v. Wade qui, en 1973, a estimé que la Constitution américaine protégeait le droit des femmes à avorter, était “totalement infondé dès le début”, selon ce texte de 98 pages appelé “Avis de la Cour” et publié par Politico qui peut faire l’objet de négociations jusqu’au 30 juin :

“Nous estimons que Roe v. Wade doit être annulé. […] L’avortement constitue une question morale profonde. La Constitution n’interdit pas aux citoyens de chaque État de réglementer ou d’interdire l’avortement […]. La conclusion inéluctable est que le droit à l’avortement n’est pas profondément enraciné dans l’histoire et les traditions de la Nation […]. Il n’est protégé par aucune disposition de la Constitution.”

Si cette conclusion est bien retenue par la Haute Cour, les États-Unis reviendront à la situation d’avant 1973 quand chaque État était libre d’interdire ou d’autoriser l’avortement. Compte tenu des importantes fractures géographiques et politiques sur le sujet, une moitié des États, surtout dans le sud et le centre conservateurs et religieux, devraient rapidement le bannir sur leur sol.

Des responsables démocrates ont dénoncé l’éventuelle décision. Elle constituerait “une abomination, l’une des décisions les pires et les dommageables de l’histoire moderne”, ont estimé dans un communiqué conjoint la présidente de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, et le chef des sénateurs démocrates, Chuck Schumer.

“Si ces informations sont justes, la Cour suprême est prête à infliger la plus forte restriction des droits des cinquante dernières années, pas seulement aux femmes mais à tous les Américains”, ont averti Mme Pelosi et M. Schumer. “Soyons clairs : c’est un avant-projet. Il est scandaleux, sans précédent mais pas final : l’avortement reste votre droit et est encore légal”, a tweeté l’organisation Planned Parenthood, qui gère de nombreuses cliniques pratiquant des avortements.

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Une première fuite

La Cour suprême a été profondément remaniée par l’ancien président républicain Donald Trump, qui a d’ailleurs récemment participé au meeting d’un candidat accusé d’agression sexuelle. Il y a fait entrer trois magistrats, confortant sa majorité conservatrice (six juges sur neuf).

Depuis septembre, elle a envoyé plusieurs signaux favorables aux opposants à l’avortement et refusé d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi du Texas limitant le droit à avorter aux six premières semaines de grossesse contre deux trimestres dans le cadre légal actuel.

Lors de l’examen en décembre d’une loi du Mississippi, qui questionnait aussi le délai légal pour avorter, une majorité de ses magistrats ont clairement laissé entendre être prêts à grignoter voire annuler Roe v. Wade. La décision de la Cour dans cette affaire est attendue en juin. Le document présenté par Politico porte sur ce dossier. Sa publication constitue une fuite rarissime pour la Cour suprême, où le secret des délibérations n’a quasiment jamais été violé.

Selon Politico, qui cite une personne ayant connaissance des délibérations de la Cour, quatre autres juges conservateurs (Clarence Thomas, Neil Gorsuch, Brett Kavanaugh et Amy Coney Barrett) ont voté avec Samuel Alito, les trois juges libéraux travaillent à une position en désaccord et le vote final du président de la Cour, John Roberts, reste inconnu.

“Je suis presque sûr qu’il n’y a jamais eu une telle fuite” à la Cour suprême, a commenté sur Twitter le juriste Neal Katyal, qui a plaidé à plusieurs reprises pour le gouvernement de Barack Obama devant la Haute Cour. Pour lui, “plusieurs signes” laissent entendre que le document est authentique.

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Interrogée par l’AFP, la Cour a refusé de commenter.

Des manifestations spontanées

Des centaines de défenseurs du droit à l’avortement mais également de personnes contestant ce droit se sont réunies spontanément dans la soirée devant la Cour suprême à Washington.

Dans la foule qui scandait “mon corps, mon choix”, Abby Korb, étudiante de 23 ans et assistante parlementaire, a confié à l’AFP être “littéralement en état de choc”. Pour elle, “rendre les avortements illégaux ne va pas y mettre fin, cela va juste les rendre plus dangereux”. Claire Rowan, 55 ans, mère de sept enfants venue avec certains d’entre eux, ne cache pas, elle, son enthousiasme. Elle espère que les gens “demanderont pardon à Dieu” pour que les États-Unis puissent “guérir”.

Tout aussi divisée, la classe politique a vivement réagi. Plusieurs élus démocrates ont estimé qu’il confirmait “l’urgence” de graver le droit à l’avortement dans la loi. “Nous devons protéger le droit à choisir et inscrire Roe V. Wade dans la loi”, a tweeté la sénatrice Amy Klobuchar.

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Une proposition en ce sens a été adoptée par les représentants mais est enlisée au Sénat à cause de la féroce opposition des républicains. Ces derniers ont au contraire salué une victoire très attendue. “C’est la meilleure et la plus importante nouvelle de notre vie”, a commenté la représentante Marjorie Taylor Green, et son confrère Josh Hawley a appelé la Cour à publier “dès maintenant” son arrêt.

Biden appelle les Américains à défendre ce droit “fondamental” dans les urnes

Joe Biden a appelé mardi les Américains à voter aux législatives de l’automne de manière à défendre le droit “fondamental” à l’avortement, si celui-ci devait être remis en cause par la Cour suprême américaine.

Si la plus haute juridiction annule la jurisprudence qui fonde le droit à l’avortement aux États-Unis depuis les années 1970, comme le laisse entendre un document révélé par Politico, “ce sera aux élus de notre nation, à tous les niveaux, de protéger le droit des femmes à choisir. Et il appartiendra aux électeurs de choisir des candidats favorables” au droit à l’avortement en novembre, a estimé le président démocrate dans un communiqué.

Konbini news avec AFP