L’Amour avec un grand A, ou tout en minuscules… Pour la Saint-Valentin, Konbini fait battre ton cœur en te racontant l’amour sous toutes ses formes. On te souhaite un Lovely Day !
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Chez Konbini News, quand on a parlé de la Saint-Valentin, on s’est dit que c’était important de penser à ceux qui n’ont pas envie d’entendre parler d’amour ou de love story. Du coup, on a pensé interviewer la philosophe Claire Marin sur une question qui nous concernera tous au moins une fois dans notre vie… La rupture amoureuse !
Claire Marin, vous écrivez “Les ruptures de notre époque sont sans pitié”. En quoi la rupture a évolué ces dernières années ? Est-ce que l’on va vivre plus de ruptures que nos grands-parents ?
En effet, les ruptures sont sans pitié, elles se font de plus en plus brutalement avec moins d’égard, moins de considération et aussi avec moins de discussions qui pourraient préparer à la rupture.
On peut être largué par un simple SMS… Dans ce cas, la rupture est potentiellement plus brutale. C’est aussi l’instrument de la lâcheté de ne pas annoncer les choses en face à face, c’est confortable de rompre avec un message.
À l’ère des réseaux sociaux, la rupture n’est plus forcément de l’ordre de l’intime. La dimension publique de la rupture avec une visibilité aggrave sa brutalité : l’humiliation de la personne quittée est potentiellement connue de plusieurs milliers de personnes.
En ce qui concerne le nombre de ruptures, on vit plus longtemps, donc statistiquement on aura une vie amoureuse plus longue (et oui, la vie amoureuse, ça peut durer toute la vie!) et probablement plus de ruptures.
C’est aussi parce qu’avant, il y avait tout un système patriarcal de “contraintes” qui pesaient sur les femmes ; matériellement, financièrement, elles n’avaient pas toujours les moyens de partir. De nombreuses femmes sont restées toute leur vie avec un homme qui les maltraitait… Donc, plus de ruptures, ça peut aussi être un bon signe ! Elles disent quelque chose de la liberté acquise et de la possibilité de choisir son partenaire.
Mais, même si l’augmentation du nombre de ruptures n’est pas qu’un indicateur négatif, elle peut aussi être le témoin de la tentation que nous avons de faire moins d’efforts quand des difficultés surviennent dans un couple.
Est-ce que l’on rompt plus facilement ? Est-ce que les applications de rencontre et les réseaux sociaux ont une influence sur notre propension à la rupture ?
Les applications de rencontre rendent visibles une multiplicité de possibilités qui sont matérialisées avec des visages, des profils. On pense que tous ces possibles peuvent devenir réels. Or, il n’y en a que très peu que nous rencontrerons, qui nous plairont ou à qui l’on plaira… On pourrait presque dire que l’insatisfaction est cultivée par le champ des possibles.
Le caractère infini de ces applications créé une envie artificielle. C’est comme quand c’est “open bar”, on boit toujours trop. Là, c’est un peu pareil : l’autre n’est jamais assez bien, on sait qu’il en reste plein sur la liste donc on passe au suivant.
La tentation d’aller voir ailleurs a toujours existé mais les applications et les réseaux simplifient le contact et ne nous engagent pas. En créant le sentiment que tout ça n’est pas totalement réel, on peut s’attacher, se détacher et donc rompre avec facilité.
Est-ce qu’il est possible de parler d’une rupture après une “relation virtuelle” ?
Avant, quand des amoureux échangeaient des lettres, on ne leur disait pas que c’était une “fausse relation”. Comme maintenant nos échanges sont dématérialisés et qu’une suite de messages peut s’effacer en clic, on a l’impression que la relation a un niveau d’existence moindre. Mais, lorsque l’on parle d’une relation virtuelle, il ne faut pas se tromper sur le sens du mot “virtuel”. Ce n’est pas parce que le support est virtuel que la relation n’est pas réelle.
La difficulté apparaît aussi dans la dissymétrie : dans la relation virtuelle, on ne sait pas à quel point l’autre s’engage. L’écran et la distance physique permettent une correspondance entre deux personnes qui potentiellement vivent une relation de deux manières très différentes.
Que dire du déni de ce que la souffrance d’une rupture provoque ? Est-il renforcé à l’ère des réseaux sociaux ?
Comme les ruptures se banalisent (il suffit de regarder les statistiques du nombre de divorces), on note un certain déni de la souffrance qu’elles provoquent.
Mais, une rupture, c’est quand même un cataclysme dans beaucoup de vies et on a tendance à avoir un discours très positif pour faire de chaque drame de notre vie quelque chose qui “nous renforce” ou “nous rend plus fort”. Parfois, ce n’est pas possible ! On peut s’effondrer durablement après une rupture.
Avec les réseaux sociaux, il y a une forme de “présence/absence” qui est assez bizarre. On a la possibilité d’aller voir le profil de notre ex, de voir apparaître ses photos sur notre fil d’actualité alors que pourtant, on a rompu avec cette personne. Et, qui dit rupture, dit distance… Il y a une forme d’ambiguïté et on a rarement la possibilité d’une disparition radicale de l’autre. Or, parfois c’est vraiment ce dont on aurait besoin pour se remettre d’une rupture.
Il peut arriver qu’une photo apparaisse sur notre écran en suggérant qu’on va être ravi de revoir ce souvenir alors que précisément… on n’a vraiment aucune envie de revoir la tête de feu l’être aimé ! Pouvez-vous expliquer le rôle de la mémoire des réseaux sociaux dans la rupture ?
Ça, c’est vraiment la cruauté et la bêtise des algorithmes… On est loin d’une intelligence artificielle ! Idéalement, il faudrait nettoyer la mémoire de ses réseaux sociaux mais c’est un travail très douloureux, surtout lorsque l’on vient de rompre.
Aussi, avec les réseaux sociaux, les messages se démultiplient et on intensifie la communication. On s’habitue à une dose quotidienne, on prend l’habitude d’avoir 10 messages par jour et le jour où on n’a plus qu’un cœur sur Insta, on se sent abandonné. On sait comment les réseaux jouent sur l’addiction : tous les jours des petites doses d’attention de l’autre, et sans ces signes, on ressent un manque.
Plus de sonnerie, plus de message et on plonge dans un état quasi dépressif qui s’explique scientifiquement. L’effet est chimique !
Avant, si on voulait espionner son ex, il fallait se planter en bas de chez lui ou de chez elle. Maintenant, on peut le ou la stalker tranquillement depuis chez nous. Qu’est-ce que ça change ?
Avec le stalking, tout ce que je vois de mon ex, tout ce que je lis, ça alimente ma vie psychique et mon imagination. Alors que si je ne voyais plus rien, ça serait beaucoup plus facile de l’oublier.
Avec les informations sur les messages lorsqu’ils sont “lus”, “vus”, on a l’impression de savoir tout ce que fait l’autre et donc on se dit que s’il ne nous répond pas, c’est forcément qu’il est indifférent ou qu’il s’en moque. C’est très cruel… Et en plus, ça ne veut absolument rien dire : il paraît qu’il y a des tuto pour lire un message sans que l’autre ne puisse le voir…
Avant on pouvait se rassurer en se disant “Il a eu un accident de voiture c’est pour ça qu’il ne me répond pas” !
Vraiment, le stalking, c’est un peu comme une torture que l’on s’infligerait à soi-même. Les réseaux sociaux nous donnent l’impression de pouvoir traduire le désintérêt ou le désamour.
Vous écrivez “Certains ne rompent plus, mais jouent aux fantômes”. Est-ce que le ghosting est un phénomène nouveau et que dit-il de nous ?
Le ghosting, c’est un phénomène nouveau dans son ampleur. Ça existait déjà : par exemple, les gens qui partaient acheter des cigarettes et qui ne revenaient pas. Mais maintenant, c’est banal, et pour certains, c’est la seule forme de rupture. Mais c’est hyper lâche ! Il a aussi le ghosting intermittent. C’est celui qui part, qui revient, qui repart. Un peu comme si ça faisait partie intégrante de la relation et qu’il pouvait mettre l’autre en pause.
Quand on se sépare de quelqu’un, on a besoin de la rupture : il faut que des paroles soient dites. Avec le ghosting, il manque les mots, et ça peut être très douloureux.
Il faut vraiment arrêter de ghoster, il faut être un peu courageux ! On ne peut pas fuir devant le deuil, la maladie, pourquoi le faire face à une rupture amoureuse ? Savoir affronter les choses difficiles ça s’apprend, du moins en partie.
Il existe une forme de ghosting un peu plus perverse que celle qui précède : la personne ne répond plus à vos messages, mais continue à regarder toutes vos stories, à liker vos photos. C’est comme si elle vous disait “Coucou, je suis là!“, sans être vraiment là… Ce truc malsain a même un nom : ça s’appelle l’orbiting !
Stalking, ghosting, orbiting… Qu’est-ce que ça change dans notre capacité à gérer une rupture ?
C’est assez pénible… Les réseaux rendent l’expression tellement facile et instantanée, qu’ils exacerbent ce qu’il y a de pire en nous au moment d’une rupture. Ils produisent une désinhibition et c’est difficile de résister à l’expression de toute la colère, la déception ou la rancœur qu’on peut ressentir.
Les réseaux peuvent être vraiment nocifs dans la gestion de la rupture et ils facilitent tous les mauvais gestes. On devient vite méchant, pathétique ou harceleur. Et ça, ça n’améliorera pas notre estime de nous-même. Les messageries instantanées sont nos pires ennemis, c’est sans filtre et ça dessert tout le monde : celui qui envoie les messages et celui qui les reçoit !
Alors, concrètement, comment on fait pour gérer du mieux que l’on peut notre rupture ?
Pour bien gérer sa rupture, il est nécessaire de créer de la distance en faisant disparaître l’autre le plus possible. On déconnecte, on supprime, on débranche, on bloque.
Surtout, on ne s’inquiète pas d’être mal, c’est normal ! On a aussi le droit d’être en colère face à ceux qui nous disent que “ce n’est pas grave“, que “ça va passer “. Une rupture c’est très difficile, infiniment triste et injuste. Il ne faut pas chercher à minimiser la douleur que l’on ressent.
On peut laisser la souffrance s’exprimer, on peut écrire sa colère sur du papier pour éviter les outils qui nous rapprochent des réseaux sociaux.
Ce n’est pas grave de regarder des films d’amour ou de pleurer en écoutant des chansons qui nous rendent mélancoliques. Tout ça, ça fait partie de l’acceptation de la douleur de la rupture. On peut raconter notre histoire à l’identique, d’une manière un peu obsessionnelle d’ailleurs. Ça sera peut-être pénible pour nos amis, mais c’est aussi important car c’est une manière de réaliser que la rupture a bien eu lieu.
En revanche, il faut être prévenu que ça va prendre du temps. C’est comme quand on se casse la jambe, on sait qu’on ne va pas remarcher dès le lendemain.
Finalement, la rupture c’est une expérience qui nous ramène à nous-même, ce que l’on fait peu dans notre société où l’on recherche toujours l’approbation des autres par un nombre de cœurs ou de “j’aime” sur les réseaux sociaux.
La philosophe Claire Marin est l’autrice de Rupture(s) (Editions de l’Observatoire).