“Ça pourrait être moi” : en Iran, la révolte des femmes après la mort de Mahsa Amini

“Ça pourrait être moi” : en Iran, la révolte des femmes après la mort de Mahsa Amini

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Nasibe Samsaei, an Iranian woman living in Turkey, cuts her ponytail off during a protest outside the Iranian consulate in Istanbul on September 21, 2022, following the death of an Iranian woman after her arrest by the country’s morality police in Tehran. – Mahsa Amini, 22, was on a visit with her family to the Iranian capital Tehran, when she was detained on September 13, 2022, by the police unit responsible for enforcing Iran’s strict dress code for women, including the wearing of the headscarf in public. She was declared dead on September 16, 2022 by state television after having spent three days in a coma. (Photo by Yasin AKGUL / AFP)

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Par Konbini avec AFP

Publié le

"Mes amis et moi, nous sommes très tristes et nous souffrons pour toutes les femmes en Iran."

Des Iraniennes qui osent manifester têtes nues en brandissant leurs voiles, en les brûlant ou en scandant le mot “Liberté” malgré la répression à travers leur pays : les femmes sont “sur le devant de la scène” dans les manifestations en Iran, soutenues dans leur révolte par leurs compatriotes de la diaspora.

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Des manifestations ayant fait plusieurs morts ont éclaté en Iran après que les autorités ont annoncé, le 16 septembre, la mort de Mahsa Amini, 22 ans et originaire de la région du Kurdistan (nord-ouest), après son arrestation pour “port de vêtements inappropriés” par la police des mœurs, chargée de faire respecter le code vestimentaire strict dans la République islamique.

Des militants ont déclaré que la jeune femme avait reçu un coup mortel à la tête, une affirmation démentie par des responsables qui ont annoncé une enquête.

“Elle est allée à Téhéran pour rendre visite à sa famille ; je disais à ma maman, ça pourrait tout simplement être moi, ou ma sœur, ou mes cousines…”, s’insurge auprès de l’AFP Sara*, 48 ans, enseignante en France. “C’est une fille qui n’était même pas activiste, juste une fille aussi normale que moi… C’est la différence, cette fois-ci, cela touche et choque tous les gens.”

Selon Azadeh Kian, professeure de sociologie à l’université Paris Cité et spécialiste de l’Iran, “ce qui est inédit dans ces manifestations, c’est qu’on retrouve les femmes au-devant de la scène”. “Les femmes ont participé au mouvement de 2009”, rappelle-t-elle, mais elle souligne que depuis 2017, “les mouvements de protestation avaient pour revendications principales la crise économique, le chômage, le verrouillage politique, etc. Mais cette fois-ci, on entend des protestations pas seulement contre la situation générale du pays mais aussi pour les droits des femmes : c’est un changement important”.

Dans nombre de vidéos publiées sur les réseaux sociaux, on peut voir de nombreuses femmes, présentes dans les rassemblements, qui ôtent leurs voiles, laissent voir leurs cheveux et brandissent leurs voiles en l’air avec colère, scandant des slogans comme “Femme, vie, liberté”.

Des femmes, notamment au Kurdistan iranien, ont aussi “brûlé leurs voiles pour brûler les fondements idéologiques du régime islamique”, relève Mme Kian. Quelques femmes se sont aussi coupé les cheveux en signe de protestation, publiant les vidéos sur Internet.

“Mes amis et moi, nous sommes très tristes et nous souffrons pour toutes les femmes en Iran”, confie à l’AFP Narges Mirnezhad, 37 ans, artiste iranienne vivant à Strasbourg (nord-est de la France). Elle déplore que plusieurs de ses amis aient été emprisonnés depuis mardi soir après avoir participé à des manifestations. “De nombreuses filles” ont brûlé leurs voiles à l’université de Téhéran mercredi, rapporte-t-elle.

Avec fébrilité, Sara raconte avoir eu “très peur” quand elle avait elle-même été interpellée par la police des mœurs durant des vacances en Iran lorsqu’elle avait une trentaine d’années. Elle raconte avoir été placée en détention dans le même centre à Téhéran où Mahsa Amini était détenue quand elle est tombée dans le coma.

“Cocotte-minute”

Sara s’était vu reprocher “de ne pas porter de chaussettes” et d’avoir un pantalon “trop court”. En Iran, les femmes doivent se couvrir les cheveux et la police des mœurs leur interdit également de porter des manteaux courts au-dessus du genou, des pantalons serrés, des jeans troués ou encore des tenues de couleurs vives.

Emmenée dans un minibus dans le centre de détention à Téhéran, Sara avait été dirigée vers un sous-sol où avaient lieu les gardes à vue des femmes. “J’étais terrifiée, car j’avais entendu des rumeurs de violence ; je me suis agrippée en pleurs à un poteau de l’escalier en criant.” Sa mère pourra finalement venir la chercher vers minuit ce jour-là et devra laisser sa carte d’identité, qu’elle récupérera après que Sara aura suivi un cours de “correction comportementale” de plusieurs heures.

“Depuis 43 ans (et la Révolution islamique de 1979), il y a une accumulation de répression, c’est comme une cocotte-minute, et là, cela a explosé, et j’espère que cela va continuer”, lance Sara.

Les femmes présentes ces jours-ci dans les manifestations sont, selon elle, plutôt des “jeunes d’une vingtaine d’années, qui n’ont pas peur et ont tellement d’espoir…”. “Le voile, c’est l’arme, la définition de ce régime ; les femmes sont en train de dire qu’elles n’en veulent plus.”

De l’autre côté de l’Atlantique, Fereshteh*, 44 ans, a répondu mercredi à l’AFP alors qu’elle manifestait devant l’Assemblée des Nations unies à New York “pour soutenir les Iraniens en Iran qui se battent pour leurs droits”, forçant la voix pour couvrir le brouhaha.

Des femmes en Iran “ont mis le feu à leurs voiles face à la police, ce qui est tellement fort quand vous avez affaire à des meurtriers… Vous risquez votre vie ; cela veut dire qu’elles n’en peuvent plus de ce régime de fous”, lance-t-elle.

Azadeh*, 63 ans, a quant à elle manifesté mardi à Genève devant le siège de l’ONU. “On a une colère qu’on n’arrive pas vraiment à contrôler…”, réagit-elle, très émue, en pensant “à sa famille restée” en Iran. “Le voile ne doit pas être obligatoire, on doit être libres !”, s’insurge-t-elle. “Les Iraniens sont très fâchés, ils ont osé dire qu’ils en ont marre”, des actions de la police des mœurs et de la répression.