“J’ai autant de pression quand je cuisine pour Hélène Darroze que pour Nabilla” : entretien avec Gaston de Top Chef

“J’ai autant de pression quand je cuisine pour Hélène Darroze que pour Nabilla” : entretien avec Gaston de Top Chef

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© Julien Theuil/M6

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Par Flavio Sillitti

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"Le côté humain de l’expérience est celui que j’ai préféré."

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Fin de parcours pour Gaston Savina, le chef privé souriant et bon vivant de la saison. Après un baccalauréat hôtelier et un passage dans les cuisines des grands chefs que sont Franck Graux et Christophe Langrée, c’est finalement à Londres, dans l’événementiel ultra-sélect, que Gaston Savina évolue aujourd’hui. Un profil atypique qui aura su mener sa cuisine régressive et généreuse jusqu’au troisième épisode de cette nouvelle saison de Top Chef.

Sans brigade et sans manchette, le candidat s’est finalement incliné face à Danny sur l’épreuve du dessert surprise de La Brigade Cachée. Au lendemain de la diffusion de l’épisode de son élimination, on est revenus avec lui sur l’importance de l’éducation culinaire, son parcours de chef privé, la solidarité sur le tournage ou encore son engagement pour la cause LGBTQIA+. 

Konbini | Comment t’est venue la passion de la cuisine ?

Gaston | Je crois qu’au-delà d’être une passion, la cuisine m’a sauvé la vie. Ça ne s’est jamais bien passé à l’école et la cuisine me permettait de m’exprimer dans une zone de réconfort. Ce sont mes grands-parents qui m’ont élevé, et mes grands-mères m’ont apporté cette éducation culinaire, de par leurs vies et leurs histoires.

Ton enfance influence-t-elle la cuisine que tu fais aujourd’hui ?

Oui, énormément. Même plus globalement : quand on est enfant, on ne se rend pas compte de l’importance de l’éducation culinaire. Notre rapport à la cuisine dès le plus jeune âge va conditionner notre ADN, notre génétique, ce qu’on aime et ce qu’on n’aime pas, notre sens du partage.

Du coup, concrètement, que retrouve-t-on de ton enfance dans ta cuisine ?

C’est dur à déterminer précisément, mais je décèle deux univers. Il y a d’un côté l’aspect très bourgeois français amené par mes grands-parents maternels, qui m’ont apporté l’art de la table, du beau produit et du service. Et de l’autre, du côté paternel, j’ai eu cet aspect plus potager, fermier et écoresponsable. Ces deux univers se mélangent bien dans ma cuisine, régressive et orientée vers la vieille cuisine française remise au goût du jour.

Tu as un profil atypique pour un candidat Top Chef : celui de chef privé basé à Londres. Comment tu en es arrivé là ?

J’ai toujours travaillé. Quand j’étais jeune, je rentabilisais mes week-ends et mes vacances pour apprendre et faire évoluer ma cuisine. Je suis passé par plusieurs restaurants à Paris, puis je me suis rendu à Londres pour apprendre l’anglais. Là-bas, je m’y suis rapidement senti chez moi, et j’ai naturellement décidé d’y développer mon projet culinaire. On y trouve les meilleur·e·s chef·fe·s du monde, de très bons restaurants, et ce n’est pas si loin de la France. En plus, on y trouve un restaurant d’Hélène Darroze, que j’admire depuis longtemps.

Tu cuisines pour une clientèle exclusive, de personnalités politiques à des stars de l’influence. C’est la même pression de cuisiner pour Nabilla que pour Hélène Darroze ?

[Il sourit] C’est deux choses opposées ! J’ai autant de pression quand je cuisine pour Hélène Darroze que pour Nabilla, c’est juste deux stress différents : la cheffe Darroze m’évalue dans le cadre d’un jury, tandis que Nabilla est une cliente et je prends très à cœur l’avis de ma clientèle, car c’est ce qui me permet de gagner ma vie.

Comment tu es arrivé dans Top Chef ?

On m’a contacté en me disant que ce serait intéressant que je postule. Et je voulais le faire depuis longtemps. Il y avait aussi peut-être un peu d’ego, notamment avec la trentaine qui arrive [il rit]. Et puis surtout, j’étais disponible aux dates de tournage. Donc, l’un dans l’autre, tout s’arrangeait bien pour que je postule.

Dans l’émission, tu as eu un parcours assez sportif, dans le sens où tu n’es passé que par des épreuves “sauvetage” : la dernière chance, le tablier noir, la brigade cachée. C’était difficile moralement de devoir constamment sauver sa peau ?

En toute honnêteté, oui, ça a été dur. Ce n’est pas vraiment un sentiment d’injustice, mais le fait de ne pas être choisi dès la première épreuve, ça m’a rappelé qu’on restait dans un métier de sensibilité, et qu’on pouvait totalement rester dans le thème sans pour autant convaincre le jury. On se pose pas mal de questions aussi : “J’ai raté dans la catégorie pomme, mais peut-être que j’aurais été premier en catégorie pomme de terre ?”.

Avec du recul, ta plus grande frustration, c’est quoi ?

C’est sur l’épreuve du kebab. Je suis frustré de n’avoir été dégusté que par Philippe Etchebest, et pas par le chef Assaf Granit qui a lancé le sujet, et qui était spécialisé dans le domaine.

Dans ton parcours de “sauvetage”, tu t’es senti soutenu par les autres candidat·e·s qui avaient intégré une brigade ?

Oui. Pour ma part, ça fait partie de ma personnalité, donc j’ai voulu imposer cette solidarité vis-à-vis de tou·te·s les autres participant·e·s. Mais la solidarité était naturelle. Sur l’épreuve du kebab où je suis éliminé face à Sarika, par exemple, j’ai reçu pas mal de messages du genre “Elle n’est pas très agréable, elle se permet d’exprimer sa frustration alors qu’elle est sauvée”, alors qu’en réalité, elle était solidaire et sincèrement déçue pour moi.

Justement, tu as l’impression d’un miroir déformant à l’écran par rapport à ce que tu as vécu là-bas avec les autres candidat·e·s ?

Ça reste de la télé, et en plus, c’est un concours. C’est évidemment très challengeant émotionnellement, mais la vérité, c’est qu’au-delà de la compétition, on admire tous et toutes le parcours des autres dans le concours. On s’est tous et toutes soutenu et ça, c’était incroyable. Le côté humain de l’expérience est celui que j’ai préféré.

Tu parlais précédemment de la cheffe Hélène Darroze. On découvre au fil des épisodes à quel point cela te tenait à cœur d’intégrer son équipe. Pourquoi ?

Cette expérience était une opportunité incroyable pour moi de partager à la cheffe mon admiration pour sa cuisine. Elle m’inspire énormément, c’est une cuisine qui me parle. Et au-delà, c’est sa sensibilité culinaire qui me touche.

Quand tu choisis de cuisiner un Pithiviers pour Hélène Darroze dans l’épreuve de la brigade cachée, sachant que c’est son plat fétiche, c’est stratégique ?

Non, je ne pense pas. J’ai vraiment voulu transmettre un message qui m’est propre à moi, et préparer un plat qui me plaît. Tout le concours, j’ai surtout essayé de rester moi-même.

En parlant de rester soi-même, tu n’as pas hésité à revendiquer fièrement ton homosexualité dans le concours, notamment avec la volonté de visibiliser la réalité des chef·fe·s queers aujourd’hui. C’était important pour toi ?

Oui, j’ai la conviction qu’il faut plus de chef·fe·s queers valorisé·e·s dans les cuisines. Car c’est représentatif de la société, et ce sont des émotions et des sensibilités qu’il faut amener dans le monde de la gastronomie. Il est nécessaire de faire de la place à chacun et chacune pour que tout le monde puisse s’exprimer et se sentir complètement libéré en cuisine, car dans un monde qui repose sur le partage de soi-même, il est crucial de s’accepter.

Tu as décidé de reverser l’entièreté de ton cachet de participation à l’association LGBTQIA+ Le Refuge. C’était une évidence pour toi ?

Je ne cherche pas à le médiatiser, mais effectivement j’ai reversé mon cachet à l’association caritative Le Refuge. Je ne savais pas dès le départ que j’allais le faire, mais dès le début de la saison, j’ai eu une prise de conscience. Je me suis rapidement rendu compte que j’étais le seul candidat ouvertement queer et je n’ai pas pu m’empêcher de penser que j’avais été pris dans l’émission uniquement pour ça. C’est peut-être une sorte de sentiment d’imposture, mêlé à une peur d’être “essentialisé”. Et c’est peut-être vrai, au final. Quoi qu’il en soit, ça a rapidement fait sens pour moi de donner du sens à ce sentiment et de reverser cet argent à quelqu’un·e qui en aurait besoin plus que moi.

Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

J’ai la chance incroyable de faire un métier qui me passionne, et qui ne me donne jamais l’impression de travailler. Je me souhaite de continuer dans cette voie. Je me souhaite aussi d’être contacté par des gens qui cultivent de belles choses, pour avoir la chance de valoriser et travailler leurs produits, les mettre en avant et parler d’eux.

Top Chef, tous les mercredis à 21 h 10 sur M6.