J’ai 31 ans, et pour la première fois, je suis allée à la salle de sport (pour des raisons purement intestinales)

J’ai 31 ans, et pour la première fois, je suis allée à la salle de sport (pour des raisons purement intestinales)

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© ARP Sélection/Konbini

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Par Donnia Ghezlane-Lala

Publié le

Avouons-le d’emblée, j’ai commencé à faire du sport à l’âge adulte pour des raisons propres à mon colon. Mais la salle de sport m’a emmenée ailleurs.

J’ai toujours fait partie de cette sous-caste de la population qui déteste le sport, l’EPS, qui rejette violemment les propositions de randonnée, de jogging, de salle de sport. J’excluais avec tant de véhémence ces invitations que j’ai commencé à me demander s’il n’y avait pas un traumatisme lié à ces expériences sportives ; non, rien, pas de moqueries sur l’exercice de la corde, pas de harcèlement sur le terrain de foot, juste la bonne grosse flemme. J’estimais ne pas en avoir besoin jusqu’à ce que… je n’arrive plus à chier. Vous avez bien lu.

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Puis, la pandémie m’est tombée sur le coin de la gueule. La sédentarisation liée à mon métier, le cul vissé de 10 heures à 18 heures à une chaise de bureau, à taper sur un ordinateur des articles qui ne font – la plupart du temps – que mon bonheur et qui me vaudront un jour mon Pulitzer (oui, même celui-ci sur la collection Bratz x Kylie Jenner !), m’a également forcée à utiliser davantage mes membres.

Ça a commencé par des vidéos HIIT de Chloé Ting, Pamela Reif, Sissy Mua et MadFit qui m’ont aidée à me maintenir en vie, puis j’ai découvert les Pilates et le core avec Move With Nicole qui, j’en suis sûre, est la sœur cachée d’Alexa Demie. Je me suis essayée au Qi Gong avec cette petite mère dans un parc. Partout, autour de moi, mes amies allaient “à la salle” et tapaient des semi-marathons, tandis que moi, je restais dans ma piaule à me frotter le cul contre mon prestigieux tapis de sport acheté chez Action.

J’avais surtout énormément de préjugés : pour moi, les salles de sport étaient des lieux masculins et, donc, forcément hostiles as fuck. Ou alors, des lieux intimidants remplis de fitgirls psychorigides aux gourdes Stanley à 200 euros. J’écoutais aussi avec attention les histoires de mes copines, entre leurs entorses au pied et les gros lourds qui les abordaient. Germophobe, je pensais déjà aux douches dégueulasses, aux odeurs nauséabondes, à l’endroit infesté de testostérone où j’allais laver mon fucking precious visage après l’effort, et à tous ces manches en ferraille et en plastique que j’allais devoir toucher.

En revenant de vacances, je me suis rendu compte de deux choses : que la marche dans des espaces verts adoucissait ma dépression, et que j’étais prête à passer à la vitesse supérieure. Une définition assez simple de la trentaine, me direz-vous. Sur un coup de tête, j’ai dévalisé le Decathlon de Madeleine, en ne sélectionnant que les produits les plus bas de gamme parce que je suis radine – dois-je vraiment vous rappeler mon investissement dans un tapis de sport Action ? À moi les tenues Domyos et les baskets Kalenji : 70 euros, c’est le prix de sept menus kebab soumis à l’inflation ou celui d’un billet de train en retard. En route pour “la salle”, celle dont tout le monde parle.

Sissy, look !

En bonne radine que je suis, j’ai profité de l’abonnement Keep Cool de mon bon ami, qui propose une entrée duo les vendredi et samedi. Comme toutes les personnes flemmardes avec une vie sociale proche du néant le week-end, j’ai choisi le samedi après-midi. Je n’étais absolument pas préparée, à tel point que j’ai arraché les étiquettes de mes fringues de sport dans les vestiaires. Pour être honnête, je n’ai rien arraché du tout ; mon copain les a arrachées avec ses dents. Je déplore l’absence de miroir pour checker mon style d’Algérienne sportive. Mon cher ami me fait un rapide tour de salle, me présente les différents espaces. Évidemment, le coin booty est en rose, pour les filles.

Comme une gamine qu’on a libérée à Disneyland, je me retrouve à avoir envie de tout tester, tout toucher, tout goûter. Ma germophobie était sous contrôle : la salle était très propre, aucun cheveu dans les vestiaires, aucune trace de sueur sur les assises, et tout le monde désinfecte après son passage. À 31 ans, je découvre aussi que porter des runnings, c’est comme marcher sur des nuages. Et je parle ici de mes runnings Domyos. C’est ce sentiment qui m’a tenue trois heures enfermée dans une salle de sport, en grande folle intense que je suis. “Sissy Mua aurait été fière de moi, regarde ! Je fais de l’huile de noix avec mon cul, Sissy !”, me répétais-je dans ma tête.

Je commence par le rameur, je me mets au niveau 8 (sur 10, hé !). Mon bon ami félicite ma bonne posture – merci les Pilates. À côté de moi, un mec ultra-grand et ultra-baraqué qui sent la vanille s’installe. Il est super fort et un aller-retour pour moi équivaut à deux et demi pour lui. Rien à foutre, je le mets au défi par télépathie et entre en compétition avec lui, moi la petite fourmi. Il fait tomber son téléphone et je pense “cheh !”. Tout est vécu différemment qu’en société dans une salle de sport, ou alors peut-être que c’est une version très poussée et très cringe de notre vie en société. Les bruits et les mouvements deviennent maladroits, et il y a une poésie dans tout ça. J’ai envie de pouffer et je me sens nue, comme ces scènes dans les teen movies où la sad geek girl percute un testo-quaterback boy dans un angle de couloir. Mais j’ai surtout envie de dire bonjour à tout le monde.

Bras de phasmes et fesses de Kylie Jenner

Je fais aussi partie de ces femmes qui veulent préserver leurs bras de phasmes tout en ayant les fesses de Kylie Jenner, donc je lâche très vite le rameur pour me diriger vers l’eliptik – ouais, avec un K, comme Kardashian. Je lance un programme vidéo de 20 minutes peu satisfaisant, je ne comprends toujours pas comment la coach fait pour pédaler à une jambe ?! Toutefois, je sens mon cœur battre la chamade et frôler dangereusement les 200 battements par minute.

En grande débutante, je n’avais pas prévu de musique ; j’avais laissé mon téléphone au vestiaire. C’était une expérience auditive particulière et immersive, un ASMR composé de cliquetis métalliques et de souffles peinés qui continuent de résonner dans ma tête trois jours après. En début de parcours, j’avais repéré une machine, la même que les sœurs Kardashian utilisent lors de leurs entraînements : grosso merdo, tu t’allonges sur un dos mobile, tu poses tes pieds contre le mur et tu pousses et soulèves des poids. J’ai atteint les 90 kilogrammes et je me sentais si riche, si coach privé, si Magic Mike devant le miroir. J’ai enchaîné avec la machine lever-de-mollets, mais j’ai surestimé mes petits cuissots.

Le problème avec les autres machines ne figurant pas dans des épisodes de Keeping Up with the Kardashians, c’est qu’on ne sait souvent pas comment les prendre : où va la tête, où vont les pieds ? Je me suis retrouvée à escalader des carcasses de métal sans trop comprendre la notice d’utilisation. Pour les machines d’abdos, par exemple, j’ai dû appeler deux fois mon ami pour qu’il déchiffre la bête avec moi. Les machines et moi partagions des moments un peu Crash, je dois le dire.

<em>Crash</em>, David Cronenberg, 1996. (© Carlotta Films)

Un Sim qui a trop bu

Retour aux machines lisibles, je jette mon dévolu sur le vélo. Je fais 20 minutes de vélo sur une route enneigée de nos belles contrées françaises. L’écran m’indiquait mon pouls et le chemin à suivre. J’ai fait un tour sur YouTube juste pour voir ce que l’algorithme de ce vélo me proposait et en apprendre un peu plus sur mes comparses, celles et ceux qui ont chevauché ce vélo avant moi. Je panique et lance… une vidéo skincare routine. À côté de moi, un mec, là depuis une heure, pédalait à toute vitesse, en nage, morvait dans un bout de tissu, suffoquait comme s’il faisait le Tour de France. Il me faisait beaucoup trop peur donc je n’ai pas cherché à entrer en compétition avec lui ; beaucoup de choses se jouaient là, il transpirait la dépression et j’avais envie de lui dire que tout irait bien, de faire un peu d’EMDR.

Passage à la course à pied. Là, mon esprit de compétition me reprend. Une femme à côté de moi montait ses vitesses et je m’assurais d’être toujours à 0,1 de plus qu’elle. Pour une meuf qui n’a jamais couru de sa vie (à part pour choper le dernier RER), je tape un 2 kilomètres sans souci, vitesse 9. “Remue-moi toutes ces matières fécales sèches, ma belle”, me dis-je. Je perds l’équilibre comme un Sim qui a trop bu dès que je regagne la terre mère. Je décide de terminer là, trois heures se sont écoulées, mais j’aurais pu continuer. Je teste leur petite machine qui masse les muscles et le cul. Ça fait du bien.

Je fais un stop aux douches où je lave mon fucking precious visage, comme prévu. Je regrette que la puissance de jet ne soit pas plus forte : le robinet est quelque peu fatchigué. Je sors revigorée, gonflée à l’endorphine, avec l’envie de… chier. Mission accomplie ! Depuis, je peux vous dire que mon transit se porte à merveille, que j’ai investi dans des gants de sport chez Decathlon (ma vie), que j’ai envie de courir dans des parcs et d’y retourner tous les week-ends. Mais seulement sur les jours duo offerts de mon ami, car, faut pas déconner, je suis radine.

Ce post n’est absolument pas sponsorisé, ni par Keep Cool ni Decathlon ni Action (si seulement…). C’est juste que j’aime me la jouer Bret Easton Ellis’ realism en citant toutes les marques.