Enfant prodige, détention et lampes Akari : 5 choses à savoir sur le sculpteur Isamu Noguchi

Enfant prodige, détention et lampes Akari : 5 choses à savoir sur le sculpteur Isamu Noguchi

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© Rudolph Burckhardt//The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York/ARS – ADAGP, Paris, 2023 ; © Isamu Noguchi/Photo : Fay S. Lincoln/Special Collections Library, Pennsylvania State University/Jardin de la Paix)

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Par Pauline Allione

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Isamu Noguchi, ce n’est pas seulement les lampes Akari et le jardin de l’Unesco.

Réputé pour ses luminaires et ses sculptures organiques, l’artiste moderne Isamu Noguchi (1904-1988) est l’auteur d’une œuvre aussi prolifique que kaléidoscopique. Né à Los Angeles, le designer et sculpteur japonais et états-unien a su lier ses influences orientales et occidentales en floutant les frontières artistiques pour donner vie à des sculptures et jardins remarquables à travers le monde.

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Du 15 mars au 2 juillet 2023, le Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de la Métropole de Lille (LaM) lui consacre sa première grande rétrospective en France. Retour, en cinq faits importants, sur un artiste complet qui a marqué l’histoire de l’art et continue d’influencer la création contemporaine avec son œuvre épurée et décloisonnée.

Isamu Noguchi avec une étude pour Luminous Plastic Sculpture, 1943, The Noguchi Museum Archives. (© Rudolph Burckhardt/The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum, New York/ARS – ADAGP, Paris, 2023)

Il évolue entre le Japon, les États-Unis et Paris

Si Isamu Noguchi naît en Californie, c’est au Japon qu’il passe son enfance. Il ne reçoit d’ailleurs son prénom, Isamu, qu’à son arrivée au Japon, en 1907 : durant ses premières années, il est d’abord appelé “Baby”, puis “Yosemité”, puis “Yo”.

Fils du poète japonais Yonejirō Noguchi et de l’écrivaine états-unienne Léonie Gilmour, il grandit au Japon pendant 13 ans avant de poursuivre sa scolarité aux États-Unis. Il prend des cours de sculpture le soir en parallèle de ses études de médecine, puis s’inscrit à la Leonardo da Vinci Art School de New York et crée son premier atelier.

En 1927 il s’installe à Paris, où il fréquente des artistes de l’avant-garde et assiste le sculpteur Constantin Brâncusi – dont il découvre l’œuvre un an plus tôt, lors d’une exposition à New York. Inlassablement en quête d’inspiration, de rencontres et d’expérimentations, il ne cesse de voyager entre l’Orient et l’Occident. Il apprend à manier l’encre au pinceau en Chine, à travailler l’argile au Japon, découvre le marbre en Italie…

Isamu Noguchi teste le Slide Mantra devant l’exposition “Isamu Noguchi: what is sculpture?”, biennale de Venise, 1986, The Noguchi Museum Archives. (© Michio Noguchi/The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum/ARS – ADAGP, Paris, 2023)

Il a 10 ans lorsqu’il participe à son premier projet architectural

Alors que la mère d’Isamu Noguchi prévoit de faire construire une maison à Chigasaki, au Japon, elle invite son fils à endosser le rôle de superviseur des travaux. Consciente des talents artistiques de ce dernier et pour l’encourager sur cette voie, elle lui propose de passer du temps aux côtés des charpentiers qui construisent la maison pour qu’il puisse observer leur travail, et finit par le laisser imaginer le jardin, pour lequel il ramène fleurs et feuillages.

Face à cette première expérience positive, Léonie Gilmour inscrit son fils comme apprenti auprès d’un charpentier local, ce qui le sensibilise à la menuiserie japonaise et à la création artistique de manière générale. Au-delà de cette anecdote, la mère d’Isamu Noguchi est un grand soutien pour lui.

À l’âge de 10 ans, elle le déscolarise pour lui faire l’école à la maison, notamment à cause du racisme et du harcèlement subis auprès des autres enfants. Elle l’invite à poursuivre ses études en Amérique, le pousse à suivre des cours du soir pour apprendre la sculpture… “Je suis le produit de l’imagination de ma mère”, déclare Isamu Noguchi dans Listening to Stone: The Art and Life of Isamu Noguchi de Hayden Herrera.

Isamu Noguchi, Lunar Infant, 1944, The Noguchi Museum Archives. (© Kevin Noble/The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum/ARS – ADAGP, Paris, 2023)

Il s’est volontairement fait interner en camp de détention

Après l’attaque de Pearl Harbor par les forces japonaises en 1941 et alors que le racisme envers les Japonais·es prend de l’ampleur, Isamu Noguchi décide de se faire interner dans un camp de détention de Japonais-États-Uniens à Poston, dans le Sud-Ouest de l’Arizona.

Exempté du programme de réinstallation forcée en tant que résident de New York, l’artiste voit dans cet internement un moyen d’améliorer les conditions de détention des internés et veut proposer des plans de parcs, de zones de loisirs et d’activités artistiques.

Outre l’ambition d’alléger des conditions de vie difficile, c’est aussi une quête identitaire qui se joue pour Isamu Noguchi, qui ne s’est jusque-là jamais senti lié à la communauté japonaise et états-unienne, malgré le racisme dont il est victime des deux côtés. “Ainsi, je suis volontairement devenu une partie de l’humanité déracinée”, disait Isamu Noguchi au sujet de son internement dans ce qui était l’un des plus grands camps de concentration états-unien durant la Seconde Guerre mondiale.

Isamu Noguchi, Globular, The Noguchi Museum Archives. (© Kevin Noble/The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum/ARS – ADAGP, Paris, 2023)

Il est l’inventeur des iconiques lampes Akari

C’est suite à un séjour à Gifu, une ville japonaise où l’on pratique la traditionnelle pêche au cormoran avec des lanternes suspendues à l’avant des bateaux, que le sculpteur crée l’une de ses œuvres les plus iconiques : la lampe Akari, faite de papier d’écorce de mûrier, appelé “papier washi”.

“En 1951, alors que je me rendais à Hiroshima où je devais présenter les croquis de deux ponts destinés au jardin de la Paix, je fis une halte dans la ville de Gifu pour contempler quelques cormorans qui pêchaient. C’est alors que le maire de cette ville me pria de trouver un moyen de moderniser leurs ‘chochin’, des lampions traditionnels servant de décorations”, raconte Isamu Noguchi.

Faites à partir d’une ossature en bois sur lesquelles sont collées des bandes de papier washi, les lampes Akari sont depuis devenues un incontournable du design japonais. Elles se déclinent sous forme de sphères, de briques et de colonnes pour une gamme de plus de 200 modèles disponibles à la vente : suspensions, lampes de tables, lampadaires… “Tout ce dont vous avez besoin pour démarrer une maison, c’est une chambre, un tatami et Akari”, vantait le designer.

Isamu Noguchi, Play Mountain, 1933, The Noguchi Museum Archives. (© Bill Taylor/The Isamu Noguchi Foundation and Garden Museum/ARS – ADAGP, Paris, 2023)

Il a collaboré sur de nombreux spectacles de danse

Designer et sculpteur, Isamu Noguchi ne s’arrête pas aux objets et étend continuellement son travail à de nouveaux champs, pratiques et matériaux. Passionné par le corps et la perception de l’espace, il collabore sur plusieurs décennies avec la chorégraphe et danseuse moderne Martha Graham, avec qui il donne jour à une vingtaine de spectacles sur lesquels il planche sur la scénographie et les costumes afin de créer des scènes paisibles et épurées.

“Je me sentais comme une extension de Martha, et elle était une extension de moi”, exprime alors le sculpteur. Il crée son premier décor de ballet pour Frontier (1935) avec un paysage occidental matérialisé par une barrière et des cordes tendues, donne vie à une robe métallique à l’apparence d’une cage pour Cave of the Heart (1946), et travaille sur d’autres chefs-d’œuvre de la chorégraphe états-unienne, dont Appalachian Spring et Phaedra.

Isamu Noguchi, Plaster Model of Dymaxion Car, 1932, HCLA 1628. (© Fay S. Lincoln/Special Collections Library, Pennsylvania State University/Jardin de la Paix)

L’exposition “Isamu Noguchi, sculpter le monde” est à visiter du 15 mars au 2 juillet 2023 au Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut de Lille Métropole (LaM).

Konbini, partenaire du LaM.