Des pros du porno vous expliquent comment (bien) mater du porno

Des pros du porno vous expliquent comment (bien) mater du porno

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Par Matéo Vigné

Publié le , modifié le

Se toucher sur les géants du porno, c’est le risque de tomber sur des vidéos pas super consenties et de renforcer un modèle à gerber.

Derrière l’acte de plaisir solitaire se cachent des milliers de travailleur·se·s dont l’activité est dictée par des sites au fonctionnement obscur et au financement flou. Si pour certain·e·s, la pornographie n’est qu’une histoire de minutes, de cinq-clics-trois-mots-clés-douze-onglets-et-c’est-plié, pour d’autres c’est le travail d’une vie, le gagne-pain quotidien, la passion d’une communauté amèrement marginalisée.

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L’industrie est largement dominée par une seule et même boîte, MindGeek, qui gère notamment Pornhub et impose ses règles, son fonctionnement, la façon dont vous vous branlez. Un monopole difficile à contourner. Changer les choses n’est pas une mince affaire. Cependant, il existe quelques alternatives pour consommer autrement et s’orienter vers du cul responsable. On a rencontré trois activistes qui prêchent un porno alternatif : Miguel Sol, programmateur du Brussels Porn Festival, photographe, réalisateur et producteur porno qui a monté en 2018 le Ruby Collective dans lequel il se produit sous le nom de Diamond’s Bitch ; Axel Abysse, producteur, réalisateur et performeur de porno, spécialisé dans le fist-fucking ; et Carmina, rédactrice en chef du Tag Parfait, responsable de communication pour le Snap! Festival, productrice, réalisatrice et performeuse de porno alternatif qui a créé son propre label Carré Rose Films en 2019.

On leur a demandé comment naviguer de la meilleure façon sur ces plateformes et, en somme, trouver d’autres alternatives à cette domination pornographique.

Konbini | C’est quoi le problème avec les tubes ?

Axel | C’est la même chose que YouTube mais avec le porno – enfin, YouTube à ses débuts : beaucoup de contenu volé et publié sans contexte. Pour se branler, c’est très bien parce que ça va vite et à l’essentiel. Depuis, YouTube a repris un peu le dessus et tout (ou presque) est régi par des copyrights, du coup, c’est plus difficile de poster n’importe quoi. Mais Pornhub par contre… pas du tout. C’est un gros bordel avec beaucoup de contenu illégal, volé… c’est très compliqué. Aujourd’hui, si on n’est pas sur ces plateformes, c’est galère, comme pour YouTube, si tu es un·e chanteur·se et que tu sors un morceau qui n’est pas dessus, personne ne te connaît. Tu peux être contre cette plateforme et malgré tout en avoir besoin. J’aimerais pouvoir m’en passer. J’ai eu une période pendant laquelle je ne publiais plus rien dessus, et sur les réseaux sociaux on pouvait lire : “Dommage, Axel Abysse a arrêté sa carrière”, alors que pas du tout. Je fais des nouveaux films toutes les semaines, il faut juste aller sur mon site.

Miguel | On a trois films en postproduction depuis quelques années maintenant. Un seul est sorti et on ne l’a pas mis sur Pornhub, volontairement. On n’a pas une création assez fréquente pour créer une fanbase. On n’a pas de flux de production pour faire une vidéo par semaine. Ce genre de site, c’est comme Instagram ou Twitter, tu as besoin de poster régulièrement pour exister. Vu qu’on n’est pas dans cette démarche, ce n’est pas vraiment cohérent.

Carmina | Moi, je ne suis pas anti-tubes. Je sais qu’il y a des gens qui aiment proposer leur contenu gratuitement. Je suis consciente que c’est aussi un luxe, tout le monde ne peut pas se permettre de payer pour du porno. L’avantage d’être sur ces sites, pour les petites boîtes de prod, c’est le trafic qu’ils génèrent. Mettre un extrait de son film, même gratuit, c’est potentiellement faire un ou deux millions de vues, c’est colossal. Alors que dans sa niche on a peut-être 100-200 abonné·e·s. Sinon, ça reste légitime d’être anti-tubes. Pas forcément pour ce que c’est aujourd’hui – parce que les sites comme XVideos ou Pornhub se sont, en quelque sorte, racheté une conduite –, mais plus pour la façon dont ces sites sont devenus des empires. C’est une fortune basée sur du vol de contenu, sur le vol de travail. Il y a des gens qui n’ont pas oublié ça.

Pornhub – La (sale) domination des tubes

Pourrait-on se servir de Pornhub pour rendre les tubes plus éthiques ?

Axel | C’est un réel dilemme. Avant, je mettais uniquement le nom des performeurs et le titre des scènes. Comme ça, on pouvait toujours les retrouver ailleurs. Sauf que ça ne générait pas de vues. Quand j’ai opté pour des mots-clés comme “fist-fucking”, “creampie” ou encore “hardcore”, là ça marchait. Ces tags ont un impact sur la portée de tes vidéos. Donc j’essaye de les appliquer le plus responsablement possible. J’habite au Japon et une bonne partie de mon public est là-bas. J’essaye d’éviter de tomber dans le piège de certains sites, peut-être plus hétéros, qui jouent sur la fétichisation. Je ne mettrai jamais de tags “Asian” mais plutôt l’alias et des mots-clés qui sont respectueux de la personne. En général, il faut éviter de décrire par l’origine, la taille, la corpulence mais plutôt par des compétences. Et ça passe aussi par les consommateur·rice·s qui doivent privilégier ça pour que ces descriptions ne soient plus en tendance.

Miguel | C’est comme dans la vie, tu peux commencer par aimer les attributs physiques d’une personne mais après tu seras attiré·e par autre chose, son travail, sa personnalité, sa façon de jouer. Par exemple, tu peux chercher des acteur·rice·s qui font des vidéos hairy et ensuite t’orienter davantage sur les noms, les collaborations, les studios qui se spécialisent dans ça, plutôt que d’être coincé·e sur une simple description physique.

Pour vous, comment voyez-vous cette page d’accueil ?

Miguel | Quand tu ouvres Pornhub, tu tombes dans le “Hot Porn Videos francophones”, soit les tendances de visionnage de personnes qui sont dans ta zone linguistique. Quand tu ouvres ça, on a déjà un problème, un manque de représentation criant. On cherche à te montrer ce que la société veut voir, sauf que cette société est bien sûr imparfaite, pour ne pas dire complètement défaillante. Déjà, se cantonner à cette sélection, c’est faire le jeu du manque d’inclusion. C’est un miroir de notre société. On peut noter qu’il y a quand même des chaînes vérifiées qui sont mises en avant sur cette page. C’est toujours mieux de cliquer sur celles-là parce que tu peux être sûr·e que ce sont des contenus d’acteur·rice·s ou réalisateur·rice·s non volés, qu’il y a une rémunération et une équipe autour.

Les profils amateurs aussi peuvent être certifiés ou c’est uniquement les acteur·rice·s professionnel·le·s et les studios ?

Axel | Moi je suis professionnel, j’ai ma propre équipe, et pourtant je ne suis pas vérifié. Je passe par une chaîne pour publier mes vidéos. Le fonctionnement de ces sites est si opaque qu’on n’a pas de réelles informations sur la manière dont ça marche réellement.

Miguel | On voit ton nom, ton numéro d’identification, les liens vers tes sites et des vidéos qui suivent une esthétique, une ligne, une catégorie. On comprend que c’est officiel, mais ça reste pas vérifié. Dans un profil volé, tu tombes sur des pages sans information, tu as des vidéos de performeur·se·s différent·e·s et surtout il n’y a marqué nulle part le nom des personnes qui sont dedans. Tu n’as que des attributs physiques et des descriptions aguicheuses comme : “Je me tape le père de mon meilleur pote sur le divan”. Il faut faire attention à ça quand on consomme du porno.

Les vidéos officielles, on voit que c’est à des fins professionnelles de promo alors que les autres pas du tout.

Miguel | En général, tu as toujours des liens vers ton site, vers du contenu payant parce que c’est ta façon de générer du revenu. Les vidéos volées ne t’amèneront jamais vers du contenu payant.

Axel | Une autre façon de distinguer si ce sont des vidéos piratées ou non, c’est le logo. Dans les vidéos piratées, tout élément promotionnel est effacé. C’est horrible, même du point de vue du consommateur, tu tombes sur une vidéo que tu aimes mais tu n’as aucune information ni sur le nom de l’acteur·rice ni sur le studio qui l’a fait. C’est que pour du one shot, se branler et délaisser le reste du travail.

Miguel | Heureusement qu’il y a des utilisateur·rice·s qui souvent demandent les noms si jamais la vidéo leur a plu, la communauté suit et partage l’alias des acteur·rice·s en commentaire. Je pense que c’est une façon d’être actif·ve dans le milieu, réorienter vers du vrai contenu ou encore voir dans les vidéos suggérées s’il y a des vidéos de la même personne mais par un compte certifié ou plus officiel.

Donc le premier pas, c’est de vérifier si la vidéo est officielle ?

Axel | Moi, je fais du fist-fucking. Dans la communauté, il y a un gros problème de drogue. Je n’en prends pas personnellement, j’essaie d’en faire un leitmotiv, de montrer aux gens que c’est possible sans y toucher. Il y avait un mec qui volait toutes mes vidéos, qui les coupait pour qu’on ne voie pas le logo et qui les publiait en mettant des titres du style : “Slam défoncé, MDMA, GHB fucking” en prétendant que j’étais complètement défoncé pendant l’acte. Dans les commentaires, il y avait des gens qui disaient que c’était trop bien, que ça les incitait à essayer. L’inverse de mon propos, c’est hyper toxique.

C’est possible de dénoncer ce genre d’agissements ?

Axel | Il y a des plateformes comme DMCA Force qui s’en occupent, si tu es créateur·rice de contenu tu peux leur envoyer un lien et le service s’occupe du reste, d’enclencher la procédure de suppression. C’est une perte de temps incroyable. Si je me cherche sur Google, je vais trouver tous les jours des vidéos volées de moi. Il faut avoir un compte sur chaque site pour pouvoir les signaler et décrire avec précision pourquoi cette vidéo est volée.

Miguel | Ce sont des vidéos qui font le tour du monde, ça déclenche des passions à la fois cool avec de vrai·e·s fans et à la fois des haters qui représentent un danger pour ton travail et ta communauté.

Qu’est-ce qu’on doit éviter d’autre sur Pornhub ?

Miguel | Beaucoup de gens fonctionnent avec un système d’onglets. Ils en ouvrent une dizaine pour passer en revue très rapidement les différentes vidéos jusqu’à trouver la vidéo parfaite. C’est un choix, mais c’est très déshumanisant. En général, dans ce type de recherche tu ouvres des onglets en fonction des attributs de la personne et pas de la production qu’il y a derrière. Regarder 10 secondes de chaque vidéo, ce n’est pas le problème pour moi, c’est le fait de classer des vidéos à la va-vite sans se soucier du travail de chacun·e.

Carmina | Le problème du “tout gratuit”, c’est qu’on perd la notion du travail derrière. On ne se rend plus compte que ça a un coût. Le porno, c’est du cinéma et, comme le cinéma, ça coûte cher à réaliser. Les petites boîtes indépendantes, il faut les soutenir en achetant, pas juste prendre ce qui est gratuit. C’est comme dans tout ce qui relève de la consommation : est-ce que je vais au McDo ou est-ce que je vais chez des artisans qui font des burgers avec des produits de bonne qualité, éthiques et respectueux de la production ? Est-ce que je vais vers la masse ou est-ce que je m’oriente vers du responsable ? Est-ce que je gobe ce qu’on me donne ou est-ce que je vais prendre le temps de bien choisir ce qui, pour moi, est bon, un peu mieux produit ?

Vous avez déjà été rémunérés par vos vidéos sur Pornhub ?

Axel | Ça ne m’a rien rapporté, même en étant régulier, même en ayant une fanbase. C’est super chronophage pour peu de retombées. Du coup, j’ai laissé tomber pour me consacrer à mon site et à mes propres productions. J’ai une équipe qui gère tout ça. Du coup, je ne mets que des extraits sur Pornhub. Leurs règles sont extrêmes, ils veulent des passages d’au moins cinq minutes, c’est énorme dans un film complet qui dure en moyenne 20 à 30 minutes. Un quart du film gratuitement, c’est beaucoup. Quand tu cherches juste à te branler, cinq minutes c’est suffisant. Il faut être méticuleux dans l’extrait que tu vas poster, il faut que ça tease sans trop dévoiler pour ne pas gâcher le travail mais que ce soit assez alléchant pour que les gens aient envie de cliquer sur la bannière et de se retrouver sur ton site.

Miguel | Comme pour les chanteur·se·s qui sont obligé·e·s de faire des stories et des tiktoks pour faire la promo de leurs albums payants, certain·e·s d’entre nous doivent se plier à ça via les sites de tube, majoritairement parce qu’on ne peut pas faire de promo ailleurs, sur Instagram ou sur Twitter c’est la censure assurée.

C’est impossible d’être sur un site de tube et d’avoir une démarche positive pour les créateur·rice·s ?

Axel | Je pense que c’est possible. Je suis dans une niche, le porno que moi, je vais consommer c’est du fétichisme. Du coup, je m’oriente vers des trucs spécifiques, des envies ou des créateur·rice·s. Sur Pornhub, j’y vais pour découvrir des acteur·rice·s, pour chercher s’ils ont des sites. Je vais aller dans une catégorie particulière et creuser. Je suis toujours dans la recherche, plus que dans le visionnage de vidéos aléatoires. Mais bon, pas tout le monde n’a le temps ni l’envie de faire ça. Le concept de Pornhub pourrait être bien si c’était mieux géré.

Carmina | L’idée, c’est d’être conscient·e·s de ce qu’on regarde, d’avoir le réflexe de se demander si c’est piraté, si c’est une vidéo de créateur·rice·s de contenu ou si c’est un extrait qui provient d’un studio. C’est aux consommateur·rice·s de faire l’effort, en tout cas sur les tubes.

Miguel | La meilleure manière de consommer du porno, c’est de payer pour. Comme au cinéma, c’est une industrie qui en a besoin, pour créer des représentations différentes. Si l’on devait trouver une utilité à Pornhub, pour les créateur·rice·s de contenu, c’est de donner la possibilité de se faire connaître plus qu’autre chose. Si on ne peut pas donner de l’argent, on donne de la visibilité au final. C’est une manière de lutter contre l’invisibilisation totale de nos vies, de nos carrières, de notre travail. Si on tombe sur quelque chose qu’on aime, on va chercher l’Instagram, le compte Twitter, peut-être s’abonner à un OnlyFans. C’est possible d’aider sans forcément s’engager sur des grosses sommes ou des gros moyens. C’est aussi redonner à ces personnes plus d’humanité, se rendre compte que ce sont des personnes tridimensionnelles et pas que des tags dans des vidéos volées. Il faut recréer une culture pornographique plus saine.

Il n’y a personne qui peut imposer quoi que ce soit à ces grands sites de tube ?

Miguel | Il n’y a ni agenda politique, ni intérêt pour cette question. La Belgique est le deuxième pays au monde à décriminaliser le travail du sexe et c’est tout nouveau. D’ici à ce que le gouvernement s’intéresse à la piraterie des sites pornos, on en est loin. Quand Pornhub est arrivé et a décimé l’industrie, il n’y a aucun État qui s’est dit qu’il fallait protéger tout ça. Un film intéressant pour comprendre ça, c’est Pornocratie, d’Ovidie qui parle avec des acteur·rice·s en Europe, de leur business model et de comment MindGeek a sa mainmise sur le marché, sur la santé des performeur·se·s, sur tout ce qui se passe dans le porno. Mais bon, je dirais qu’il ne faudrait pas tomber dans le piège de stigmatiser les acteur·rice·s qui utilisent ces plateformes parce que c’est tout ce qu’il leur reste pour faire connaître leur travail.

Carmina | Récemment, Pornhub a essayé de lisser au mieux sa communication, ils ont eu beaucoup de problèmes ces derniers temps. Ils ont été attaqués par des associations extrémistes catholiques aux États-Unis qui les dénoncent parce qu’il y aurait tout un tas de vidéos de gens qui ont été filmés sans leur consentement. Depuis, ils ont dû nettoyer leur site de fond en comble. Des sites comme Pornhub, qui sont des grosses boîtes, font plus attention à ce qu’il y a sur leur site. Ce qu’il y a sur Pornhub, c’est a priori OK depuis l’apparition du petit insigne “vérifié”, on est un peu plus sûrs de voir des vidéos qui n’ont pas été volées. Dans les autres sites de tube, un peu plus obscurs, il y a beaucoup moins de contrôle.

Axel | La volonté de changement ne vient ni du pouvoir exécutif ni du normatif, mais bien de Visa et de Mastercard… Ce sont ces entreprises qui ont le pouvoir, au final. Quand je fais mon site indépendant, les gens doivent payer pour accéder à ce contenu et les options de paiement sont souvent imposées. S’ils ne sont pas d’accord avec ce que mon site présente, ils coupent la possibilité d’y accéder et de payer pour mon contenu. Du coup, dans mes vidéos, je mets ce que je veux dedans mais dans le contenu promotionnel [photos, bande-annonce, les descriptions et mots-clés des vidéos, ndlr] je me censure. Bizarrement, “fist-fucking” ça va, il n’y a pas de mal avec ça, mais dès qu’on parle BDSM, c’est mort. C’est de la censure idiote, à cause de gros systèmes capitalistes et financiers, supérieurs aux lois et aux gouvernements.

Miguel | La pornographie est considérée comme du contenu à haut risque. Globalement, ils se sont rendu compte que beaucoup d’utilisateurs contestaient les transactions sur ces sites, car ils voulaient garder ça secret et ça a amené les plateformes à les considérer comme des transactions risquées. La dernière fois que j’ai essayé d’appliquer leurs systèmes de paiement, on me demandait de payer 500 € par système, soit 500 € pour accepter la Mastercard, 500 € pour la Visa et ainsi de suite…

Axel | Moi, j’ai Epoque et RocketGate comme plateformes de paiement. Mon site est hébergé par un groupe qui réunit différent·e·s acteur·rice·s, du coup c’est un seul paiement par mois pour les différents accès. C’est une sorte de coopérative, c’est la seule façon qu’on a pour espérer survivre.

PinkLabel.TV – Le streaming éthique

Et les autres sites, vous appelez ça comment ?

Carmina | Des sites éthiques et responsables. Mais il y en a très peu. Je conseille toujours PinkLabel.TV parce que Shine Louise Houston, qui a fondé cette plateforme, est une personne queer consciente des enjeux et des responsabilités et qui fait les choses pour la communauté, pas pour s’en mettre plein les poches.

Miguel | Ces plateformes de streaming ont une curation assez cool. Les films sont tournés avec une démarche alternative, il y a une volonté de produire des films qui ne reproduisent pas les schémas de pouvoir de la société. La plateforme est présente sur tous les festivals pornos. Nous, au BPFF on y diffusait les films sélectionnés pour le monde entier. C’est fait par et pour les producteur·rice·s. Il y a aussi Arthouse Vienna.

La page d’accueil de PinkLabel est déjà complètement différente de celle de Pornhub.

Miguel | Ce n’est pas un site de tube, c’est du streaming. Le modèle est plus proche de celui de Netflix ou de Mubi que celui de YouTube. Ici, par exemple, il y a une page qui est consacrée à un festival porno de Londres, avec toute une curation par thèmes. C’est un site qui est totalement impliqué dans la scène au-delà de la logique purement capitaliste. Il y a une liste de tous les festivals pornos dans le monde avec un calendrier. Tu peux payer par vidéo, les louer pour 24 heures, avoir un abonnement mensuel de 10 euros par mois. Le prix du film est défini par sa longueur, ce qui est déjà plus démocratique et égalitaire. La grille tarifaire est plus juste. On gagne un pourcentage par chaque achat de film et, si les personnes sont abonnées et visionnent notre film, on touche des sous à chaque visionnage.

Axel | On voit mon film d’ailleurs, Tatami. Celui-ci est dans la sélection parce que l’affiche a été faite pour un festival porno, par Trouble Films aux USA.

Ce système permet d’engendrer plus de stabilité ?

Miguel | Totalement. Notre deuxième film, Embrasse-moi du regard, on l’a financé à 30 % grâce aux revenus de PinkLabel.TV. Rien que ça. La scène commence à s’en rendre compte et le public s’agrandit de plus en plus sur ce site. Toutes les vidéos que tu vas trouver dessus, tu peux être sûr que c’est éthique et responsable, que ce soit dans les sujets abordés ou dans la valorisation du travail.

Comment on fait pour pousser les gens à s’orienter vers ces plateformes ?

Axel | C’est difficile à dire, les gens voient encore ça comme quelque chose qui est accessible gratuitement, donc il n’y a pas de raisons de faire l’effort de payer le travail réalisé.

Carmina | On vient de se taper 15 ans de tubes, de porno gratuit, les gens oublient que c’est du cinéma. Il faudrait faire un parallèle avec le streaming : quand on a Netflix, on paye un abonnement, pour le porno ça devrait être le même réflexe.

Miguel | Ce n’est pas impossible, mais c’est difficile. Tout ça vient d’une habitude de consommation et de l’apparition des nouvelles technologies. Avant ces sites de tubes, c’était toujours payant. Leur modèle, c’est le piratage, sinon ils ne seraient plus en vie aujourd’hui. Ils nous ont fait intérioriser le fait que le porno devait être gratuit, ce qui les arrange.

Le site d’Axel – Vers une relation plus directe

Axel, tu postes surtout sur ton site, alors ?

Axel | J’ai commencé en amateur sans intention de faire de l’argent. C’était sur Xtube, qui n’existe plus aujourd’hui. C’était plus un hobby. J’ai rencontré des gens qui géraient des sites d’acteur·rice·s et notamment Buck Angel qui a vu mes vidéos et qui m’a engueulé en me disant que c’était con que je donne ça gratos, que je pourrais en vivre. De fil en aiguille, il y a quatre ans j’ai monté mon site avec eux et ça marche très bien comme ça.

Carmina | Avoir son propre site, c’est un passage obligatoire pour s’émanciper des tubes ou des plateformes de streaming. Si on veut faire tourner une boîte, il faut faire en sorte que l’argent rentre directement dans nos caisses.

Quid des plateformes comme OnlyFans ?

Carmina | OnlyFans, Mym et les autres, c’est un bon début. Ça n’engage pas à grand-chose et ça permet d’avoir une relation plus directe avec les créateur·rice·s de contenu. On a du vrai contenu, pas censuré. On a un accès direct à la personne, à sa journée, à ce qu’elle poste. Ça se rapproche un peu de ce qu’a pu être la webcam à l’époque. On sait qu’outre la commission du site, l’argent va directement dans sa poche. Et ce cheminement, ça peut permettre de conscientiser sur le fait de payer pour du porno.

Axel | Comme ce n’est pas cher et qu’on te propose une relation plus directe avec les créateur·rice·s de contenu, ça prend de l’ampleur. Il y a des gens qui veulent voir plus d’une personne, qui veulent s’adresser à une personne plus qu’à un tag. Ça va aussi dans le sens du phénomène des influenceur·se·s, ça relance l’habitude pour les gens de suivre un·e acteur·rice plus qu’une vidéo. Et ça démocratise le fait de payer pour du contenu.

Miguel | Les barrières entre consommateur·rice·s et acteur·rice·s sont de plus en plus floues. Les gens suivent des comptes OnlyFans et se disent qu’ils pourraient se lancer et c’est tout de suite plus facile. Il y a eu un boom pendant le confinement. Ça devient de moins en moins tabou. C’est une volonté politique de faire attention à ce que l’on consomme, l’envie est là, ça se voit rien qu’en analysant le nombre de festivals pornos qui se sont créés depuis 2006 et on voit qu’on s’oriente de plus en plus vers une consommation éthique.

Est-ce qu’il y a des plateformes gratuites qui sont déjà plus conscientes, plus éthiques, entre le tube et le streaming payant ?

Axel | Les blogs, surtout, qui font une sélection de pornos plus éthiques qui proposent des vidéos courtes et qui redirigent vers les sites payants. Il y a Le Bon Fap ou encore Le Tag Parfait en français qui font du super boulot par rapport à ça.

Miguel | Je ne connais pas de plateformes hybrides comme ça, mais sinon une astuce aussi pour les gens qui n’ont pas trop d’argent, c’est de regarder la bande-annonce des films payants, au moins ils se font une idée du travail des créateur·rice·s de contenu et peuvent de temps en temps acheter ou louer un film long pour une expérience plus complète.