Du Nigeria à Londres, de l’afrobeat au jazz : rencontre avec l’insaisissable Obongjayar

Du Nigeria à Londres, de l’afrobeat au jazz : rencontre avec l’insaisissable Obongjayar

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Obongjayar © Duncan Loudon

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Par Naomi Clément

Publié le

Dans Warm Up, on réalise un focus sur des artistes dont vous allez (sûrement) entendre parler dans les mois à venir.

Il est l’un des artistes les plus intrigants de la scène anglaise actuelle. Repéré par le producteur Richard Russell, fondateur du label XL Recordings sur lequel il l’a signé, adoubé par Danny Brown, qui l’a convié sur son dernier album uknowhatimsayin¿, récemment mis en lumière par COLORS, Steven Umoh alias Obongjayar façonne une musique ensorcelante et spirituelle, à la confluence des genres entre soul, afrobeat, hip-hop et nu jazz. Un son moderne, porté par une voix profonde et mû par une double culture anglo-nigériane, que le chanteur et musicien confirme aujourd’hui avec son nouvel EP Which Way Is Forward? Rencontre.

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Konbini | Pour ceux qui ne te connaîtraient pas encore, peux-tu te présenter ?

Obongjayar | Bien sûr ! Je m’appelle Obongjayar, j’ai 27 ans, et que dire d’autre… je suis un musicien basé à Londres et originaire du Nigeria.

Tu es né à Calabar, au Nigeria, mais vis à Londres depuis maintenant dix ans. À quels genres musicaux as-tu été exposé, en grandissant ?

Quand j’étais plus jeune, le hip-hop (américain, surtout) était prédominant dans mon environnement, puisque hyper populaire au Nigeria. Donc j’ai grandi avec des artistes comme Kanye West, Lil Wayne, 50 Cent, Nelly, Snoop Dogg aussi, que j’ai beaucoup, beaucoup écouté… Tous les grands noms de la scène hip-hop US des années 2000, en somme. Il y avait un peu de R&B aussi, avec des gens comme Usher ou Ciara – ma mère m’avait offert son premier album : je l’écoutais en boucle [rires] !

Pourquoi avoir quitté ton pays natal pour t’installer à Londres ?

Ma mère y vivait et elle a pensé que ce serait mieux pour notre éducation, à moi et mes frères, de la rejoindre pour poursuivre nos études. Donc, on y a été envoyé quand j’avais 17 ans.

Est-ce à ce moment-là que tu as commencé à faire de la musique ?

J’en faisais déjà au Nigeria, mais… ce n’était pas bien fameux [rires] ! Je rappais sur des beats que je créais sur mon PC avec trois pauvres loops… donc disons que c’est devenu sérieux lorsque je suis arrivé en Angleterre, et surtout lorsque je suis entré à l’université. J’y ai rencontré des gens qui m’ont introduit aux œuvres d’artistes incroyables, comme Fela Kuti par exemple, que je connaissais évidemment en tant que Nigérian, mais auquel je ne m’étais pas réellement intéressé jusque-là. Ces découvertes m’ont beaucoup influencé. Elles m’ont aidé à trouver mon son, quelques années plus tard.

Ce qui t’a beaucoup aidé aussi il me semble, c’est SoundCloud…

Oui, grave ! Parce qu’à l’époque, c’était encore très compliqué de propager sa musique. Et SoundCloud était une plateforme hyper accessible, qui te permettait de faire écouter tes chansons à des gens issus du monde entier, de contacter des artistes du monde entier aussi, en leur envoyant des DM – j’avais même DM J. Cole [rires] ! Ça a clairement été un point de départ. Ceci dit, à ce moment-là, je n’avais pas encore tout à fait mis le doigt sur la musique que je voulais créer et sur l’artiste que j’étais vraiment au fond de moi. J’étais encore en train d’essayer de comprendre ce que serait “mon truc”.

Comment es-tu parvenu à le trouver, “ton truc” ?

Ça a été un processus assez long, qui a débuté le jour où j’ai enfin pris la décision d’arrêter d’essayer de copier des choses que j’avais entendues, et commencé à m’écouter réellement, et à parler de sujets qui me concernaient vraiment, depuis mon point de vue personnel. Ça n’aurait pas dû prendre si longtemps à mon sens, parce que tout le monde a sa propre façon de voir les choses, et donc, on devrait tous être capables d’exprimer cela d’emblée, sans être influencé. C’est seulement à partir du moment où j’ai compris cela que j’ai réussi à mettre le doigt sur cette musique que je crée aujourd’hui.

Obongjayar © Duncan Loudon

“Ma musique est la combinaison d’une multitude de sonorités qui m’ont inspiré”

On a souvent du mal à décrire ta musique, qui se nourrit de plein de choses : de la soul, de l’afrobeat, du hip-hop, du slam même parfois… Comment la décrirais-tu, avec ton propre point de vue justement ?

Je ne la décrirais pas, pour la simple et bonne raison qu’elle est continuellement en train d’évoluer. Même si j’ai trouvé le socle de mon univers, je suis encore en train de le peaufiner, et donc je ne pense pas qu’il y ait une façon spécifique de décrire ce que je fais actuellement. Mais oui, en tout cas, c’est vrai : ma musique est un mélange de choses très éclectiques. La combinaison d’une multitude de sonorités qui m’ont inspiré et nourri.

Avec tes deux premiers EP Home (2016) et Bassey (2017), tu évoquais notamment tes expériences en tant que jeune homme noir. Est-ce important pour toi, de mettre en lumière ton héritage culturel ?

Oui, parce qu’il fait partie de moi, et donc ça ressort forcément dans ma musique à un moment ou à un autre, sans même que j’aie besoin d’y penser. C’est inconscient. J’ai utilisé l’expression “point de vue” tout à l’heure, on y revient. Je parle depuis mon point de vue – celui d’un jeune homme noir, qui vit certaines expériences, bonnes ou mauvaises, en fonction de sa couleur de peau.

L’année dernière, tu as collaboré sur deux titres tirés de l’album uknowhatimsayin¿ de Danny Brown. Toi qui as grandi avec des rappeurs américains, comment c’était, de bosser avec l’un d’entre eux ?

Écoute, c’était assez… rapide, à vrai dire [rires] ! En fait, on ne s’est jamais rencontrés en personne, on a principalement échangé par mail. Tout s’est passé de façon très rapide, très simplement, ça a été du tac au tac. Mais ça a été un truc énorme pour moi ! D’autant qu’Atrocity Exhibition [le quatrième album de Danny Brown, paru en 2016, ndlr] est l’un de mes disques préférés au monde… donc quand j’ai reçu son mail expliquant qu’il voulait travailler avec moi pour l’album qui suivait, ça a été complètement fou.

Tu as aussi travaillé avec d’autres artistes, dont Kamasi Washington, Sampha et Ibeyi…

Oui tout à fait, grâce à Richard Russell (à qui je dois beaucoup), qui travaille avec eux sur Young Turks et XL Recordings. Ce sont des musiciens incroyables, très talentueux… j’ai énormément de respect pour tous les artistes avec lesquels j’ai eu la chance de travailler jusqu’ici. Je suis très fier de ces collaborations.

© Duncan Loudon

“Un EP qui parle de mes racines, qui parle de mes expériences en tant que Nigérian”

Tu reviens aujourd’hui avec ton troisième EP, Which Way is Forward? Y a-t-il un message que tu souhaites transmettre avec ce nouveau projet ?

Je crois qu’il y a un message derrière chacun de mes projets. Which Way Is Forward? parle d’amour, de la famille, d’émancipation et de croyances personnelles. Il propose de regarder à l’intérieur de nous-mêmes, de prendre du recul sur nos actes. Nous vivons à une époque assez confuse, dans laquelle personne n’est très sûr de ce qu’il fait, ne sait trop où il va… c’est une période très étrange.

Cet EP est une réponse à ça. Il a pour but de répondre aux questions que nous nous posons tous en ce moment : où allons-nous ? Comment savons-nous que ce que nous faisons est juste ? Comment être sûrs que le chemin que nous empruntons est le bon ? C’est un projet qui nous encourage à réfléchir sur nous-mêmes, à nous remettre en question au lieu de constamment aller dans le sens du courant. Si le monde en est là aujourd’hui, c’est parce qu’on va toujours dans le sens du courant… Nous avons besoin de questionner tout ça. Et puis, c’est aussi un EP qui parle de mes racines, qui parle de mes expériences en tant que Nigérian, en tant qu’Africain.

Tu retournes souvent au Nigeria ?

Oui, plutôt. J’y étais il y a quelques semaines, mais pour le boulot. J’y retournerai plus longuement, peut-être à la fin de l’année. J’aimerais bien y rester quelques mois pour avancer sur mon album.

Tu travailles donc sur ton premier long format ?

Oui… mais je te vois venir ! Je ne peux rien dire encore, comme tu t’en doutes [rires] ! Je n’en suis qu’au début, je ne sais pas tout à fait quelle forme cela prendra, ni quand ça sortira. On verra bien.

Quel est ton plus vœu le plus cher pour 2020 ?

Le même que chaque année : pouvoir continuer à faire ce que je fais, c’est-à-dire de la musique qui me ressemble, et de rester qui je suis. Je n’en demande pas plus.

Obongjayar sera en concert le 13 février prochain au Pop-Up du Label, à Paris. Son nouvel EP Which Way is Forward? est disponible depuis le 7 février.