AccueilArchive

Avec leur nouvel album, Duñe x Crayon dessinent la soul de 2020

Avec leur nouvel album, Duñe x Crayon dessinent la soul de 2020

Image :

©Paul Perrault

avatar

Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Quatre ans après un EP commun, le binôme français revient avec un premier album sophistiqué explorant la masculinité.

Plus que jamais dans l’air du temps, le formidable duo Duñe x Crayon est de retour en ce vendredi 22 mai avec son premier album, Hundred Fifty Roses. Un disque complexe, teinté de néo-soul captivante et enivrante, qui décline les différentes facettes de la masculinité. Le fruit de longs mois de travail en studio pour le binôme francilien, car les deux hommes ont entre-temps poursuivi les collaborations.

À voir aussi sur Konbini

On peut notamment penser au superbe titre “S’en aller” (dont on vous parlait ici), où les deux hommes ont su faire briller la voix de Swing – accompagnée d’Angèle. Mais aussi le nouveau single détonnant d’Ichon sur lequel Crayon a collaboré en compagnie de PH Trigano. Des artistes proches des deux comparses, que l’on retrouve sur l’alléchante tracklist de Hundred Fifty Roses.

Ainsi, Ichon, Swing, PH Trigano, mais aussi Aurélie Saada (moitié de Brigitte), FKJ ou encore Gracy Hopkins, pour ne citer qu’eux, viennent parfaitement se greffer à ce projet frontal mais subtil, en accord avec leur époque. On a discuté avec Duñe x Crayon de leur influence outre-Manche, de leur parcours depuis une petite décennie sur la scène française mais aussi de cet album qui s’inscrit à coup sûr comme l’un des plus aboutis du cru 2020.

Konbini | Qui êtes-vous ?

Crayon | Je m’appelle Lauren et je sors de la musique sous le nom de Crayon.

Duñe | Moi c’est Duñe, et je suis chanteur et producteur.

D’où venez-vous ?

| De France.

| Je viens de Champigny-sur-Marne dans le 94.

Où et quand êtes-vous nés ?

C | À l’hôpital au début des années 1990.

D | Je suis né à Nogent-sur-Marne le 12 janvier 1993.

Quand et comment est-ce que vous avez commencé la musique ?

C | Quand j’avais 4 ans, mon beau-père s’est installé avec ma mère et moi. Il a abandonné ses synthés dans ma chambre et j’ai commencé à jouer dessus. Pour me souvenir des sons que je trouvais, j’ai eu la bonne idée de prendre un marqueur noir indélébile et de repeindre les touches dont j’avais besoin pour ma nouvelle “compo”. C’est à ce moment-là que j’ai décidé de mettre ma carrière sur pause pour me concentrer sur ma classe de CP… Je suis vraiment revenu à la musique à 18 ans.

D | J’ai reçu une formation classique au conservatoire Olivier Messiaen. Dix ans plus tard, ça m’avait un peu dégoûté. J’ai finalement décidé de me plonger dans la production vers mes 16 ans.

© Alexandre Faraci

Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire de la musique ?

C | Je faisais surtout de la peinture, et j’ai assez vite déchanté en école d’art quand j’ai dû dessiner la Géode, assis par terre pendant des heures. J’adorais la musique, elle faisait partie de ma vie. Je n’avais aucune inspiration sans elle, que ce soit pour peindre, m’habiller, exister tout simplement… Mais je respectais tellement cette forme d’art que je ne voulais pas m’y frotter. Quand j’ai commencé mes courtes études donc, je mixais déjà parallèlement, un peu partout où on voulait bien de moi. Progressivement, j’ai découvert Ableton, les sandwichs, l’anxiété sociale…

D | J’étais un vrai geek à l’adolescence, j’étais fasciné par la production. Comme beaucoup, j’ai commencé en crackant un logiciel bien trop cher. Et je me suis inspiré des sons de l’époque pour progresser.

Qu’est-ce que vous faisiez avant ?

C | J’ai dû bosser quelques mois dans un label indépendant, j’étais stagiaire marketing. Ce qui équivalait à faire des photocopies et parfois acheter des clopes à ma boss. Mais bon, même avec ça, j’arrivais à me louper. Dire que le monde du travail m’a déplu serait un euphémisme, j’étais déprimé non-stop. Mais je ne connaissais pas vraiment le sens du mot “déprime” jusqu’à ce qu’on me propose d’être “roadie”. J’avais 19 ans et c’était pour une tournée européenne d’un artiste qui faisait les premières parties de… James Blunt. Heureusement, Gildas Loaëc est tombé sur mon SoundCloud à peu près au même moment, vers 2011, et sans lui je ne serais sans doute pas en train de rédiger ces lignes.

D | J’étais dans la communication puis j’ai fait un master dans le Web. Mais je me suis arrêté au master 2 pour me focaliser sur la musique.

Quelles sont vos influences musicales ?

C | L’Angleterre dans tous ses clichés reste ma plus grande influence. De Joy Division à Harry Potter en passant par Francis Bacon et James Blake, son plafond bas, cette pudeur émotionnelle qui vient contraster la grandeur de leur patrimoine culturel et artistique. Plus j’avance, plus j’aime puiser mon inspiration ailleurs que dans la musique.

D | Beaucoup de choses. Frank Ocean, James Blake, D’Angelo, Dilla, Bon Iver, Stevie Wonder…

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

C | J’étais un peu fan du groupe de Vince à l’époque, Saje. On partageait l’affiche du même festival et je suis allé leur parler dans les loges.

D | On s’est rencontrés en mars 2015 au festival TheSoundYouNeed à Paris, qui avait lieu à l’Electric (Terminal 7 aujourd’hui). On s’est parlé dans les backstages, on a bien accroché, mais on s’est vraiment revus que plusieurs mois plus tard, pendant l’été 2015.

Pourquoi avoir décidé de collaborer ?

C | J’aimais sa musique et j’avais cette envie de faire des chansons, pas juste d’accumuler des pistes sur mon disque dur sans pouvoir y donner de sens. Je commençais le piano, je n’avais jamais écrit la moindre parole, mais l’envie était là. Vince a accepté de venir s’enfermer quelque temps dans un studio avec moi.

D | On n’a pas vraiment décidé, tout part d’une jam. On n’avait rien à faire cet été-là, on a donc produit de la musique ensemble. On a fait écouter les démos à nos potes et ça nous a motivés.

Comment avez-vous été découverts ?

C | Par Gildas Loaëc donc, le cofondateur du label Kitsuné, qui m’a fait remixer un titre de Yuksek et The Magician qu’il sortait sur son label. J’ai bossé sur ce remix comme si ma vie en dépendait. En fait, c’était le cas. Yuksek m’a ensuite contacté, on a bossé de longs mois ensemble, pour lui, pour moi, pour son label fraîchement créé, Partyfine. Puis, un jour, nos visions artistiques ont fini par diverger et c’est tout naturellement que j’ai rejoint mes copains de l’époque, Darius, Kartell, Dabeull, etc. chez Roche Musique, un ou deux ans avant de rencontrer Duñe.

D | J’ai été découvert grâce à mon duo Saje, sur SoundCloud et YouTube, fin 2014. C’était vraiment une autre époque. Il y avait des grosses chaînes YouTube qui te permettaient de te faire entendre par des millions de gens dans le monde entier.

Comment décrivez-vous votre univers artistique ?

C | Je ne suis pas sûr d’avoir le recul suffisant pour y mettre les bons mots… Mais derrière cette esthétique volontairement sobre, intimiste, on a aussi ce désir de parler de choses plus personnelles, moins évidentes aussi. Il y a cette peur d’être des hommes dans le sens toxique du terme, comme évoqué dans les paroles de Hundred Fifty Roses. Cette peur d’assumer ce côté “kitschouille”, sans pour autant parvenir à s’en détacher.

D | C’est un mélange de tellement d’influences… Je dirais que c’est notre vision de la soul, une sorte de vision moderne et personnelle. Elle est unique, puisqu’on ne fera jamais la même chose l’année suivante, et nous avons travaillé avec nos potes sur ce gros projet. Donc je dirais : notre vision de la soul en 2020.

Comment est-ce que vous composez ensemble ?

C | C’est assez sobre, on part souvent d’une base harmonique, puis d’idées de mélodies. Si tout ça prend forme, on va ensuite réfléchir à un sujet qui nous inspire, et à comment l’aborder. En général, j’écris le texte à partir du yaourt de Duñe. Un procédé assez classique.

D | On fait tout à deux. La seule chose sur laquelle on sépare vraiment les tâches, c’est pour la voix. Généralement, je vais chanter un truc en yaourt, des mélodies de voix en disant n’importe quoi. On valide ensemble ces idées. C’est un moyen de se focaliser sur la mélodie et l’émotion. Puis Crayon va écrire un texte qui va respecter le flow et la métrique de ce yaourt. Mais pour cet album, nos amis ont beaucoup participé au projet, notamment Thomas, notre bassiste, ou encore Ingo, le guitariste. C’est un bonheur de pouvoir être en studio avec tout ce monde.

© Paul Perrault

Vous sortez ce vendredi votre premier album, Hundred Fifty Roses. Comment l’avez-vous conçu ?

D et C | On a commencé il y a plus de deux ans sans vraiment le savoir. On se sentait isolés en permanence, même lorsqu’on n’était pas en studio. Il y avait cette anxiété grandissante en chacun de nous deux. Nous n’étions pas au top. On s’est dit qu’il fallait en parler, essayer de mettre le doigt sur cette pression que nous ressentions sans raison apparente. Certains textes sont clairement à charge, notamment “Hundred Fifty Roses” ou “Ten Years”, qui parle de masculinité toxique. Nous en sommes arrivés au constat que cette société patriarcale n’avait été créée que par une poignée d’hommes mais que beaucoup d’autres rejetaient aussi cette carapace d’homme fort, viril voire insensible.

Il y a des invités prestigieux sur votre projet. Comment les avez-vous sélectionnés ?

C | Avec amour. Jadu Heart par exemple, c’est un groupe dont je suis fan depuis des années. On a composé le morceau “Invisible” ensemble à Londres. C’était assez magique comme moment, et finalement il n’apparaissait dans les crédits qu’en tant que producteur. Nous voulions travailler avec des artistes que nous admirons, sans faire un album “name dropping”.

Il y a eu d’autres morceaux en featuring que nous avons fini par enlever de l’album car ils ne participaient pas à l’histoire que nous voulions raconter. J’avais commencé à travailler sur l’album d’Ichon et je voulais l’emmener sur mon terrain de jeu, un exercice auquel il s’est prêté très sereinement. FKJ et moi avions un groupe ensemble avec Darius et Wayne Snow, donc là aussi c’est tout naturellement qu’il s’est retrouvé à jammer avec Duñe et moi, pour donner naissance au morceau “Vicious” avec Gracy Hopkins.

Comment abordez-vous la scène ?

C | Cet album a été arrangé avec l’envie de créer une expérience live qu’on peut emporter partout. Ce côté imparfait, brut, sans pour autant dénigrer ce que la technologie nous apporte. Nous avons hâte d’emmener avec nous les musiciens qui font cet album et de donner une nouvelle dimension à ces titres, globalement intimistes et calmes. Comme cela ne sera pas possible dès la sortie de l’album, nous avons décidé de filmer nos débuts de répétition et vous pouvez avoir un aperçu avec cette version live de “Ten Years” sur YouTube.

D | On a vraiment hâte de présenter notre album en live, on va préparer quelque chose d’unique. On y pense déjà depuis un moment. C’est l’avantage de notre duo, on n’est plus “tout seul” sur scène, donc on peut vraiment créer quelque chose.

Vous êtes signés sur quel label ?

C | Roche Musique.

D | C’est avant tout une famille, où tu es libre de faire ce que tu veux, et ils te font confiance.

Quelles seraient les meilleures conditions pour écouter votre musique ?

C | À mon sens, il n’y en a pas. Certains ont un rapport plus cathartique à la musique et vont vouloir se plonger dans cet album dans un moment de remise en question ou de détresse. D’autres y verront une musique apaisante à écouter en début de soirée avec quelques amis… J’aime penser que ce disque est fait pour différents types d’écoutes.

D | On espère vraiment que les gens vont écouter l’album entièrement. On a vraiment fait attention à ce qu’il y ait une histoire. Du coup, peut-être dans sa voiture pendant un long voyage, ou sur un canapé posé.

© Paul Perrault

Si vous deviez convaincre les gens d’écouter votre musique, vous leur diriez quoi ?

C | Là aussi, tout dépend à qui je m’adresse. Logiquement je le recommanderais aux hommes qui ont trop écouté de mumble rap, même si on aime autant ce genre que la néo-soul ou le rock psyché. On a voulu faire un album assez riche musicalement. Je le conseillerais aussi à ceux qui disent que “c’était mieux avant”.

D | Je leur raconterais notre histoire, celle de cet album, puis j’appuierais sur “play”.

Vos futurs projets ?

C | Outre jouer cet album en live donc, j’ai produit plusieurs albums pour d’autres artistes qui paraîtront cette année ou l’année prochaine, Duñe a participé à certains. C’est un autre aspect que nous avons déjà commencé à révéler, notamment avec le morceau “S’en aller” de Swing et Angèle.

D | Beaucoup de belles choses sont à venir. On bosse aussi pour d’autres artistes. On espère juste pouvoir monter sur scène le plus tôt possible dès que la situation le permettra. On a hâte de jouer cet album en live.

Le mot de la fin ?

C | “Les chemises Yves Saint Laurent, c’est comme les parkings”, Panteros 666.

D | Rose.