25 ans après, Paris sous les bombes de Suprême NTM reste un classique incontesté

25 ans après, Paris sous les bombes de Suprême NTM reste un classique incontesté

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

Classique absolu du rap français, le troisième album du duo de Saint-Denis est et restera toujours d'actualité.

“Je crois pouvoir dire qu’on a œuvré pour le hip-hop, désolé si de nos jours il y en a encore que cela choque.” JoeyStarr ne s’y trompe pas. Sur le titre éponyme de l’album Paris sous les bombes, le duo du 93 revendique son héritage. Une influence colossale sur une culture encore émergente à l’échelle de tout un pays, qui doit beaucoup à cet album, le troisième de Suprême NTM, moins radical et plus subtil que leurs précédents projets. Le binôme est alors au sommet de son art et livre un classique absolu du rap français. Il y aura désormais un avant et un après Paris sous les bombes, qui fête en ce 28 mars les vingt-cinq ans de sa sortie.

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Pourtant, la tournure de ce troisième effort aurait pu être totalement différente. Après la parution de 1993… J’appuie sur la gâchette et les premières polémiques nationales avec le titre “Police” notamment, DJ S – le producteur présent depuis la création du collectif – vogue vers de nouvelles aventures et quitte le groupe. Il faut donc impérativement trouver un nouveau DJ. Les deux compères s’associent alors à DJ Clyde, ancien soldat du groupe Assassin. Pour l’assister, l’Américain LG Experience, Lucien Papalu ou encore DJ Max pour ne citer qu’eux.

En résultent des beats plus lents que les précédents sons, sur lesquels le duo va parfaitement s’adapter. Les textes, eux aussi davantage polis, brillent encore plus qu’avant. Les samples, funk et soul à souhait et que l’on croirait presque directement sortis de l’underground new-yorkais, sont mieux mis en avant. D’autant plus que Didier et Bruno ont la très bonne idée de poser leurs voix respectives différemment sur les instrumentales. JoeyStarr sort désormais son timbre de voix le plus grave, le plus destructeur, tandis que la voix de Kool Shen gagne elle aussi en agressivité. C’est l’un des virages principaux amorcés par le groupe avec cet album, à mi-chemin entre “Old Skool” et “Nouvelle école”.

Pour la culture hip-hop

L’album est bien plus abouti dans sa construction. On y retrouve une multitude de thématiques plus ou moins sérieuses, avec parfois des touches d’humour bienvenues. Le binôme y narre l’histoire du hip-hop en entassant les hommages aux icônes du mouvement, se remémore sa jeunesse et observe l’avancée du rap en France. Mais il aiguise aussi sa capacité d’analyse de l’actualité. On peut notamment penser à des titres comme le revendicatif “Plus jamais ça”, l’hymne à la révolution qu’est “Qu’est-ce qu’on attend” ou encore le réfléchi remix de “Qui paiera les dégâts ?” – déjà présent deux ans plus tôt sur 1993… J’appuie sur la gâchette –, composé par les New-Yorkais de The Beatnuts. 

Le racisme, le Front national (devenu depuis un “rassemblement”) et les abus policiers en prennent toujours pour leur grade. Mais le sens de la formule a été revu, pour délivrer des propos moins brutaux et frontaux. Les messages, qui sont pourtant les mêmes que depuis le début, passent évidemment mieux d’un coup. Ce sont d’ailleurs ces mêmes messages forts, toujours actuels, qui donnent une dimension intemporelle à ce disque.

L’intitulé de l’album, excellemment choisi, insiste lui aussi sur le poids de la culture. Ce jeu de mots traduit parfaitement le sentiment de guerre entre le duo de Saint-Denis et les institutions établies – tout en faisant référence aux bombes de peinture des graffeurs et à leur passé dans le graffiti au sein du crew de taggers 93NTM. Alors que la capitale se fait littéralement assaillir par cette culture encore underground, l’album vient ancrer non seulement le rap, mais aussi l’ensemble du hip-hop, dans la culture française. Tout en étant un poil moins sectaire, même si on était encore loin du décloisonnement total d’aujourd’hui.

Jeux de tons

Si l’album est un succès total, quelques titres émergent plus que les autres, comme “Tout n’est pas si facile”, “Qu’est-ce qu’on attend” ou encore “Paris sous les bombes”. Pourtant, ce sont bien les morceaux aux thèmes plus légers (“Pass pass le oinj” et “La Fièvre”) qui explosent tout et deviennent de véritables tubes – et, à une échelle moindre, “Popopop !!” (non, on ne parle pas de Gambi)Une preuve supplémentaire que le fait d’affirmer que le rap doit être conscient est un non-sens total. On retrouve aussi des morceaux plus “conscients” et introspectifs (“Est-ce la vie ou moi”) sur Paris sous les bombes, sans pour autant que l’homogénéité et la cohérence de l’album en soient affectées. 

“La Fièvre”, titre devenu cultissime, est peut-être la piste qui résume le mieux le projet puisqu’on y retrouve cette juste alternance entre les différents tons de l’album. Kool Shen y apparaît sérieux, limite grognon. Il tacle à la gorge le rock dès le début avec les fameux “lives de Memphis”, avant que les galères ne se pointent et qu’il aille gentiment faire un tour au commissariat comme si tout cela n’était qu’une triste habitude à laquelle il serait devenu quasi-imperméable. Pendant ce temps-là, JoeyStarr imprègne le morceau de son parcours bien plus insouciant et va passer sa journée à forniquer (ou à niquer fort, comme on veut).

Un classique absolu

Ajoutez à cela “Nouvelle école”, où Joey Starr et Kool Shen se posent en observateurs du renouvellement de la scène française de l’époque, et Paris sous les bombes s’inscrit définitivement comme un repère immuable pour les générations de rappeurs à venir. Le duo, dont l’osmose n’a jamais été aussi parfaite (avant de se prendre le chou pendant des années et d’annoncer la fin du duo à de nombreuses reprises), rappelle aux nouveaux arrivants à quel point ils font partie des tauliers de ce courant musical et le long chemin de croix parcouru pour se faire entendre.

On peut s’y délecter du liant qu’il manquera à leur album suivant, Suprême NTM, qui sera malgré tout leur plus gros succès commercial (plus d’un million d’exemplaires vendus) porté par de nombreux tubes générationnels – “Seine Saint-Denis Style”, “Ma Benz”, “That’s My People”, “Laisse pas traîner ton fils”. Pourtant, Paris sous les bombes est la première réussite des deux rappeurs en termes de chiffres, avec plus d’un demi-million d’unités physique écoulées.

Peu de temps après, une réédition de Paris sous les bombes arrive dans les rayons. On peut y écouter les deux derniers sons enregistrés du groupe : “Come Again 2” avec Big Red et l’excellent “Affirmative Action” avec Nas (excusez du peu) et Foxy Brown, qui était initialement un morceau de Nas et de son groupe de l’époque The Firm, Suprême NTM l’ayant décliné en “version française”. Nouvelle preuve de l’influence encore prépondérante de ce qui se fait de l’autre côté de l’Atlantique.

Mais qu’importe, avec Paris sous les bombes, Suprême NTM tient son classique absolu. Cet album, authentique au possible, ne répond qu’aux envies de ses auteurs. Une proposition à mi-chemin entre grand public et underground, pour soixante-huit minutes de leçon de rap français.

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