Comment Eminem a traumatisé les States avec The Marshall Mathers LP

Comment Eminem a traumatisé les States avec The Marshall Mathers LP

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Par Guillaume Narduzzi

Publié le

20 ans après sa sortie, retour sur un classique ô combien controversé.

Au début des années 2000, Eminem est déjà l’une des stars incontournables du pays de l’Oncle Sam. Si son premier album, Infinite, a été un flop, le rappeur a su rebondir avec son alter ego Slim Shady et ainsi exploser aux yeux du monde entier. Eminem revient alors sur le devant de la scène avec The Marshall Mathers LP, disque qui restera à jamais la pièce maîtresse de son œuvre (ex aequo avec The Eminem Show, on n’arrive toujours pas à trancher, sorry).

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Les drogués, l’industrie musicale, les stars du moment, les médias, ses proches, et même sa ville de toujours, Détroit… Pour le deuxième album en major de celui qui deviendra des années plus tard le “Rap God”, tout le monde ou presque en prend pour son grade avec des textes interdits aux mineurs. Eminem, qui avait alors (déjà) 27 ans au moment de la sortie de l’album, va à fond dans le trash, quitte à régulièrement flirter avec le mauvais goût, mais toujours avec un sens de la formule exceptionnel.

The Marshall Mathers LP est ouvertement homophobe et sexiste – chose certes regrettable mais quasi inhérente au rap au début des années 2000 (et toujours beaucoup trop aujourd’hui). Plus borderline que jamais, il lave au vitriol toute la société américaine le temps de dix-huit titres d’anthologie.

Slim Shady vs Marshall Mathers

Le rap hardcore n’a jamais aussi bien porté son nom et est poussé à son paroxysme. S’il défonce la société américaine à grands coups de rimes affûtées, il expose toutefois une maturité que l’on ne lui connaissait pas forcément encore à l’époque. Moins loufoque que The Slim Shady LP, le disque se révèle plus sombre, introspectif, torturé voire “creepy” par moments. On peut notamment penser au grandiose morceau “Stan”, déclinaison macabre du titre “Thank You” de Dido au storytelling fou.

Dans “Marshall Mathers”, il évoque directement sa relation maternelle compliquée, tandis que le titre “Kim” imagine le meurtre de son ex-femme, Kim Mathers, qui portera plainte contre lui par la suite pour cette chanson. Les attaques sont toujours aussi efficaces que sur ses précédents projets, mais encore plus ciblées.

Surtout, la frontière entre Marshall Mathers (l’homme) et Slim Shady (le personnage) n’a jamais semblé aussi fine, ce qui peut procurer un sentiment parfois assez déstabilisant à l’écoute. Aucune surprise donc dans le fait que l’album soit sorti en deux versions, une explicite et une clean – quand même censurée tellement elle était trash – et dispose ainsi de plusieurs covers.

Si Eminem règle des comptes encore plus personnels, il garde toutefois l’ADN qui a fait son succès avec notamment le tube “The Real Slim Shady”, titre dans lequel il détruit la scène pop de l’époque, mais aussi des interludes qui prennent parfois la forme de sketches. On en compte quatre, principalement dans la première partie de l’album, dont “Steve Berman” avec en fond la chanson “What’s the Difference” du mythique album de Dre 2001 sur lequel Eminem était en featuring.

Logique quand on connaît la relation entre les deux hommes. The Marshall Mathers LP est paru sur Aftermath Entertainment, label de Dr. Dre, et Interscope Records. Une connexion qui permet même à Eminem de se payer une excursion en Californie avec la crème du rap West Coast sur “Bitch Please II” (Dr. Dre, Snoop Dogg, Xzibit et Nate Dogg).

Un intemporel du rap US

On retrouve aussi l’ancien membre de N.W.A. à la production, en compagnie de Mel-Man, The 45 King et les Bass Brothers, tout comme Eminem en personne qui a assuré une bonne partie du boulot. Tous se mettent au service de la créativité sans limite du rappeur, qui joue avec les sonorités comme jamais, notamment grâce à des placements de voix dont il a le secret.

Niveau sample, on retrouve Dido donc (“Stan”), mais aussi Michael Jackson (“Under the Influence”) et Led Zeppelin (“Kim”). Des choix qui témoignent d’inspirations larges mais pour le moins mainstream. Avoir des références, c’est bien. Que tout le monde puisse les comprendre, c’est mieux.

Cet album qui, vous l’aurez compris, ne fait pas vraiment dans la dentelle, est un véritable tour de force. Car malgré les débats et controverses suscités par ses partis pris radicaux, The Marshall Mathers LP s’est imposé immédiatement comme un disque intemporel, porté par l’écriture plus acerbe que jamais de l’artiste américain et une influence tellement importante qu’elle est difficilement mesurable. Pour vous donner une idée, Kendrick Lamar affirme que cet album a changé sa vie.

Un album culte de l’année 2000, mais aussi un classique tout court du rap US, qui n’aurait jamais mérité le deuxième volet bien décevant paru en 2013. Au-delà du succès critique, c’est également un raz-de-marée commercial avec 41 millions d’exemplaires écoulés dans le monde. Surtout, Eminem bat le record détenu alors par Britney Spears de l’artiste qui a vendu le plus d’exemplaires durant la première semaine d’exploitation. Au vu de la teneur des propos d’Eminem dans The Marshall Mathers, le symbole est fort.