Les 5 albums français les plus décevants de 2019

Les 5 albums français les plus décevants de 2019

Image :

NekfeuVEVO/YouTube

photo de profil

Par Guillaume Narduzzi

Publié le

De Nekfeu à Roméo Elvis, ils étaient si attendus au tournant qu'ils font partie des plus grosses déceptions francophones de 2019.

L’année 2019 a été particulièrement riche pour la musique française, et en particulier pour le rap. La prise de pouvoir quasi-définitive du hip-hop céfran s’accompagne forcément d’une myriade de nouvelles sorties chaque vendredi. Ce sont bien elles qui ont rythmé ces 365 jours presque écoulés, pour le meilleur et pour le pire. Car cette démocratisation sans précédent a plusieurs effets. Des sorties plus nombreuses chaque semaine donc, avec parfois des projets bâclés ou parfaitement calibrés pour la consommation sur les plateformes de streaming, au grand détriment de l’âme de l’album et d’ambitions artistiques souvent revues à la baisse.

À voir aussi sur Konbini

Là où certains ont brillé, d’autres ont sombré. Ainsi, en cette période d’or hyper-concurrentielle, les espoirs ont redoublé d’efforts pour poursuivre sur leur lancée, les poids lourds ont assuré sans forcément prendre de gros risques, et quelques anciens portés disparus depuis des années ont signé des retours plus ou moins inspirés. Petit top, personnellement subjectif, des projets d’artistes francophones tellement attendus au tournant qu’ils ont finalement été décevants lors de cette faste année 2019.

5/ Kaaris – Or Noir Part 3

Après un clash médiatique sans précédent avec Booba, deux ans d’absence et des derniers albums en demi-teinte, tous les voyants étaient verts pour un retour en grande forme de Kaaris. Et malheureusement pour lui, le rappeur sevranais a complètement gâché son come-back avec un disque anecdotique. La formule est épuisée et l’inspiration semble disparue depuis un bout de temps. D’autant plus que l’artiste a choisi d’offrir à son public la troisième partie d’Or Noir. Un héritage trop lourd à porter pour son propre auteur. Or Noir (et sa deuxième partie) a été un énorme succès en 2013. Un album pionnier qui a fini d’imposer la trap en France et qui est considéré aujourd’hui encore par bon nombre d’auditeurs et de spécialistes comme un classique indéniable des années 2010 du rap français.

Si les punchlines crues et imagées de l’époque faisaient mouche, celles d’Or Noir 3 ratent quasi-systématiquement la cible à chaque tentative. Il ne reste alors plus que la vulgarité, et sans le sens de la formule, cela offre des écoutes particulièrement gênantes. Avec sûrement l’un des refrains les plus faibles de l’année : “Pute ne trouve pas le sommeil, pourtant l’anus porte conseil”, sur “Monsieur météo”. Bon, en même temps, il faut bien reconnaître que les rimes avec “anus”, c’est rarement une bonne idée. Et si sur certains morceaux, on retrouve le rappeur nerveux et incisif qui a fait sa réputation, la plupart des titres se révèlent relativement désespérants, “Aieaieouille” en tête. Ce projet a également été abandonné par les auditeurs, puisque Or Noir Part 3 a mis plus de quatre mois à être certifié disque d’or, alors que les deux précédents albums de Kaaris, Okou Gnakouri et Dozo, ont chacun été double disques de platine. Et si le public avait enfin eu raison ?

4/ Roméo Elvis – Chocolat

Dieu sait qu’on kiffe Roméo Elvis à Konbini, et toute cette affection ne saurait qu’amplifier la déception ressentie à la première écoute de Chocolat. Après deux projets très réussis en commun avec le formidable producteur Le Motel, Morale et Morale 2, le chanteur belge a tenté une nouvelle aventure avec ce nouveau disque. Mal lui en a pris. Même si, sur le papier, ce Chocolat avait tout pour couronner le nouveau roi Elvis. D’autant plus qu’avec “Malade”, son premier single convaincant, beaucoup étaient impatients de juger l’évolution du frère d’Angèle. Mais l’addition des nouveaux producteurs, pourtant très bons (Vladimir Cauchemar, Seezy, VM The Don, Todiefor, Eazy Dew, Junior Alaprod pour ne citer qu’eux), se ressent et offre un projet sans réel fil rouge. Il faut dire que la pochette, à la limite du troll, ne laissait présager rien de bon.

“Soleil” s’est toutefois imposé comme l’un des tubes de l’année, malgré la douleur que ce titre a directement infligée à nos oreilles. Si l’on excepte l’énorme succès de ce morceau, aucun autre ou presque ne s’est d’ailleurs imposé naturellement auprès du grand public. Il faut dire que les contradictions s’enchaînent, et ce dès l’intro (“Est-ce que c’est important d’être en radio ? Non”). Surtout que l’artiste de 27 ans s’empare de plus en plus de sujets sérieux avec une maladresse chronique et un propos pas vraiment élaboré qui sonne creux (“La Belgique Afrique”), laissant derrière lui une sensation parfois très malaisante et une fébrilité que l’on ignorait jusqu’à présent. Une impression renforcée sur scène, où l’on constate clairement (à l’image de Caballero et JeanJass avec Double Hélice 3) que les meilleurs titres font partie des précédents projets. Sans parler des prestigieux featurings (Damon Albarn, Témé Tan, M), plus quelconques les uns que les autres. Ajoutez à cela à Roméo quelques pépins sur les réseaux sociaux, et 2019 s’inscrit comme une année qui n’est pas à la hauteur du pourtant talentueux artiste belge. 

3/ DTF – On ira où ?

Si PNL est remonté sur le toit du rap français avec le splendide Deux Frères, leurs protégés de DTF ont raté leur coup avec leur album On ira où ? Il faut dire que le style de leurs aînés de Corbeil-Essonnes est tellement unique, qu’il est par définition difficilement transposable. Et c’est bien là que réside tout le problème auquel doivent faire face RTI et RKM, les deux membres de la formation. Seul groupe produit par les frères Andrieu, DTF se révèle être un mauvais copié-collé de ces derniers. Que ce soit les ambiances planantes (la subtilité et la minutie en moins), l’esthétique et le concept des clips, les expressions des textes partagées entre touches d’espagnol et argot de la street-zer, les propos des chansons, en passant par l’acronyme en trois lettres : absolument tout est inspiré du succès de PNL, mais en beaucoup moins bien.

Une impression encore renforcée par le seul featuring de l’album : “Dans la ville” avec… N.O.S. Mais qui ne ferait pas pareil à leur place ? Il faut reconnaître que les chiffres ont l’air plutôt bons, et que PNL a été un tel phénomène sur un créneau jusque-là indéfrichable qu’il semble bon que d’autres s’engouffrent dans cette brèche. Pas fondamentalement mauvais non plus, l’album ne se révèle pas très ambitieux et repose principalement sur une formule maison aujourd’hui mûrement rodée, offrant une impression de “déjà vu” et, encore pire, de “déjà écouté”. En tout cas, en cette fabuleuse année 2019, les deux rappeurs ont redoublé d’effort pour montrer qu’ils ont bien mérité leur appellation de “sous-PNL”.

2/ Gesaffelstein – Hyperion

Cela faisait six ans que l’on attendait un nouvel album de Gesaffelstein, après l’excellent Aleph paru en 2013. Un projet qui faisait de notre petit producteur local la fierté de tout un pays à travers le monde, tant il s’était imposé comme “le prince noir de la techno” aux quatre coins du globe. Mais Gesa n’est malheureusement pas comme un bon vin, il ne se bonifie pas avec l’âge. En 2018, il avait brillé sur les morceaux “I Was Never There” et “Hurt You” de l’EP My Dear Melancholy, du canadien The Weeknd, et tout le monde imaginait déjà un retour grandiose. D’autant plus que la com’ a été à la hauteur de l’événement, mystérieuse et parfaite pour créer l’attente autour de ce nouveau projet. Seulement voilà, à la sortie d’Hyperion en mars dernier, tout le monde ou presque s’accorde sur la faiblesse de l’œuvre. Le scepticisme de la première écoute est le même pour tous les auditeurs.

Mais où est passé Gesa ? Entre la techno sombre qui est portée disparue, des featurings écrasants et un ensemble pour le moins fainéant, les motifs de satisfaction ne sont guère nombreux pour le producteur français. Si l’ultime piste de onze minutes, “Humanity Gone”, demeure probablement le morceau le plus intéressant du projet, l’ensemble offre une sensation de facilité, si ce n’est de paresse. Entre la techno brute et le mainstream, il n’y a qu’un pas. Mais Gesaffelstein l’a fait de travers – n’est pas Daft Punk qui veut. Les invités imposent leur style sur quasiment tous les titres, à tel point que l’on a parfois l’impression d’écouter une compilation ou une playlist Spotify. L’album n’est sombre que par sa pochette. Et même s’il a corrigé le tir avec un nouveau projet réussi en fin d’année, Novo Sonic System, où il retrouve les ingrédients qui ont contribué à son succès d’estime critique et populaire, Gesaffelstein a bel et bien raté son retour. Avec la manière, toutefois.

1/ Nekfeu – Les Étoiles vagabondes : expansion

C’est clairement notre déception, au sens propre du terme, numéro un du rap français cette année. Car si cet album est très loin d’être la pire parution du cru 2019, tout en réalisant des ventes phénoménales, il est largement celui qui laisse le plus dubitatif. Alors que des qualificatifs comme “génie” ou “révolutionnaire” circulaient, cherchons-les toujours. Après deux albums ultra-plébiscités par le public, dont l’excellent Cyborg paru à la surprise générale en 2016, le fennec faisait son tant attendu retour cette année. Et pour assurer une communication digne de ce nom, le rappeur parisien a multiplié les artifices. Une première sortie, avant une expansion dispensable deux semaines plus tard, ainsi qu’un film insipide projeté au cinéma avant d’être finalement disponible sur Netflix. Revenons à l’album, sur lequel le “génie” relève du positionnement d’un morceau entre chaque piste de l’album initial. Une sorte de puzzle à deux pièces qui prouve uniquement que les chansons sont toutes interchangeables. Des morceaux sur lesquels Nekfeu se lamente, se remémore ses souvenirs de galère parisienne et se demande pourquoi les étoiles ça brille.

En plus de cette faible philosophie, Nekfeu nous gratifie d’un spleen qui sonne résolument faux et de son perpétuel malaise de rapper quand on est babtou. Tout ça pour dire qu’il a fait un album qu’il ne voulait pas faire (pourquoi l’avoir donc fait ?) et avouer qu’il n’a rien à raconter entre deux jeux de mots quelque peu foireux et de grands avis impersonnels dignes de Twitter. Si l’intention de certains engagements est bien évidemment louable, elle renforce cette sensation de prévisibilité, de légèreté et d’opportunisme dans des propos plus convenus les uns que les autres et dont l’évidence ne fait même pas débat (les Européens polluent, les flics sont plus méchants avec les Noirs qu’avec les Blancs et la lean c’est pas bien ; merci Captain). Si sa voix n’est clairement pas idéale pour le chant, elle a par contre le mérite de ne pas être modifiée. L’écriture, grande force de Nekfeu, demeure également son principal atout. En résultent plus de deux heures d’écoute, où absolument tout le monde saura trouver trois ou quatre morceaux qu’il aime bien. Mais sur une telle quantité, cela semble presque être la moindre des choses. Notamment grâce à des invités bien choisis : Damso, Vanessa Paradis, Alpha Wann ou encore Némir (qui est définitivement le meilleur chanteur du rap français). Et ce même si la plupart de ces associations tombent à l’eau.

L’ensemble s’avère bien sous tout rapport, sans aucune prise de risque – tant sonore qu’intellectuelle – et parfait pour plaire au plus grand nombre. S’il est bel et bien en passe de remporter la fabuleuse bataille des ventes de cette année, et vu le talent immense du bonhomme, j’espérais quelque chose de peut-être moins ambitieux sur la forme, mais beaucoup plus “deep” sur le fond. Comme le disait très bien Pone dans un post Facebook, on est en droit d’en attendre plus de la part d’un des leaders les plus importants du rap français de cette décennie historique.