Test : Sekiro : Shadows Die Twice, ou le masochisme magnifié

Test : Sekiro : Shadows Die Twice, ou le masochisme magnifié

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Par Pierre Bazin

Publié le

Le dernier titre de FromSoftware nous prouve une fois encore que la souffrance a quelque chose de gratifiant.

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Le monde des jeux vidéo est rempli de titres extrêmement divers : certains sont destinés à un type de joueur·euse·s, et d’autres sont réservés pour des moments particuliers, qu’il s’agisse d’un party game Nintendo avec des amis, d’un jeu un peu poétique ou narratif lorsque vous êtes seul et fatigué, d’un jeu de stratégie lorsque vous avez réservé votre après-midi et/ou nuit, ou encore d’un bon gros Battle Royale quand les nerfs sont à vif.

Et puis il y a les jeux des studios FromSoftware, des titres érigeant la souffrance en art, créés par des développeurs ayant passé un pacte avec le Diable, et tout droit sortis de l’esprit tordu de Hidetaka Miyazaki, aka le “maître du ragequit“. La trilogie Dark Souls est probablement la franchise (récente) la plus connue de FromSoftware, mais on pourra également citer Bloodborne (2016), qui reprend beaucoup de mécaniques de la série des Souls. Le concept de ces quatre jeux se résume assez aisément en quelques mots : “Vous allez souffrir.” Si le game over n’est pas chose rare dans les jeux vidéo, il est ici omniprésent. La mort est même la colonne vertébrale de ces titres.

Poussant le concept du die & retry (“mourez et réessayez”, pourrait-on traduire) à son quasi-paroxysme, le gameplay de ces jeux est extrêmement exigeant et la moindre erreur est brutalement punie. Oubliez les “petits ennemis” pour vous échauffer, les dangers mortels sont partout dans un jeu FromSoftware – et on ne vous parle même pas de ces boss qui peuvent vous ratatiner en cas d’inattention de quelques secondes…

<em>Sekiro</em> m’a appris comment écrire “mort” en japonais. (© Activision)

Des manettes cassées aux écrans fissurés, les conséquences peuvent être fâcheuses pour vous et votre environnement si vous êtes un peu sanguin et que vous décidez de vous plonger dans ces jeux. Pourtant, il y a derrière cette difficulté (non modifiable, évidemment) une vraie philosophie, celle de la récompense et du soulagement. Il faut voir ce genre de jeux comme une longue séance de sport intensif après les fêtes de fin d’année : c’est difficile, on pense à abandonner, mais à l’arrivée la sensation de s’être surpassé pour réussir n’a que peu d’équivalents.

Pour son dernier titre, les studios FromSoftware, toujours sous l’égide de Hidetaka Miyazaki, ont décidé de sortir un peu du “médiéval-gothico-fantastique” en nous proposant un titre plus novateur : Sekiro : Shadows Die Twice. Le choix de se tourner vers Activision pour l’édition a suscité quelques interrogations au sein du grand public et chez les fans. Mais rassurez-vous, on ne saurait sentir la moindre influence de l’éditeur de Call of Duty dans cette affaire, si ce n’est un appréciable coup de pouce marketing.

Enfin une vraie immersion dans une ambiance somptueuse

Sekiro : Shadows Die Twice sort des sentiers battus de Dark Souls ou même Bloodborne. Cela se constate particulièrement dans l’univers choisi : un Japon féodal fantasmé qui traverse une période maudite par les dieux, pendant l’ère Sengoku (XVe siècle). Les seigneuries sont en guerre et le pays tout entier est en proie à la “peste du dragon”, tandis que les hommes doivent cohabiter avec divers monstres issus de la mythologie nipponne et de l’esprit fou de Miyazaki (celui qu’on vient de citer, hein, pas Hayao).

L’ambiance médiévale fantastique est l’une des principales réussites du jeu : les décors sont extrêmement divers, et même si on retrouve quelques poncifs vidéoludiques (une forêt ou une caverne, ici et là), l’ensemble est très plaisant car il n’y a guère de répétitions. De plus le level design est tout bonnement incroyable, avec de nombreuses zones cachées dans un simili d’open world auquel on ne s’attendait pas forcément.

Des paysages à couper le souffle aux petits détails, l’univers est une réussite. (© Activision)

Les personnages (qu’ils soient alliés, ennemis, neutres ou anecdotiques) jouent également un grand rôle dans cette immersion. On voit qu’un vrai effort a été fait pour le character design, jusque dans les menus détails et les dialogues. Les petits et (très) gros antagonistes varient énormément selon les lieux de l’action. Comme dans les autres titres de FromSoftware, on retrouve avec plaisir une très subtile touche d’humour (extrêmement cynique) qui permet aux joueurs et joueuses de relativiser les cuisantes défaites.

Techniquement, Sekiro n’est pas une claque visuelle : il est du niveau des autres triple A actuels. Mais ce genre de titre rappelle toute l’importance d’une bonne direction artistique quand on a des graphismes certes claquants mais un peu sans saveur. Mention spéciale à la bande originale composée par Yuka Kitamura, une habituée des créations FromSoftware qui propose ici une orchestration envoûtante faisant la part belle aux mélodies d’ambiance.

À la différence de Dark Souls ou Bloodborne, vous n’incarnez pas un personnage personnalisable. Ce qui pourrait sembler dommage au départ est en réalité l’une des forces de la narration. En effet, vous n’êtes plus un anonyme sans histoire, créé de toutes pièces pour les besoins de l’aventure, vous êtes “Le Loup”. Ce dernier, bien que silencieux et taciturne, se révèle un personnage assez profond, avec un sens de l’honneur tout particulier.

Le scénario de Sekiro est donc beaucoup plus travaillé que ceux des autres productions de FromSoftware. Et même si l’intrigue suit un axe un peu plus “classique”, elle évite de s’éparpiller dans son propre univers – un défaut qu’on pouvait reprocher aux Souls.

L’équilibre de la frustration

Trêve de bavardages sur l’histoire, les jeux FromSoftware sont faits avant tout pour souffrir. Ne vous en faites pas, à l’instar de votre serviteur, vous allez cracher du sang devant votre écran. Sekiro : Shadows Die Twice est un titre hautement mensonger, car vous n’allez pas mourir que deux fois. Cependant, cette fois la mort n’est pas synonyme de game over direct. En effet, les décès de votre shinobi sont parfaitement intégrés au gameplay (et au scénario, par ailleurs). Vous avez notamment le droit de ressusciter une fois avant le game over, ou si vous avez vaincu l’ennemi qui avait provoqué l’une de vos premières morts.

Certains sceptiques, avant la sortie du jeu, pensaient que cette mécanique de résurrection allait “gâcher” toute la difficulté propre aux jeux FromSoftware. Rassurez-vous, il n’en est rien. Les ennemis font toujours mal (même les plus insignifiants), les boss sont terriblement dangereux et n’importe quelle erreur d’inattention ou faux mouvement peut vous coûter cher (deuxième chance ou pas). Pour autant, les mécaniques de Sekiro varient drastiquement de celles d’un Souls ou de Bloodborne : votre shinobi est bien plus agile que les lourdauds fans de roulades auxquels le studio nous avait habitués jadis.

L’agilité ayant été complètement repensée, il n’y a plus de barre d’endurance. Mais cet avantage est en fait largement contrebalancé par des ennemis beaucoup plus imprévisibles, et parfois tout aussi agiles. Enfin, les boss sont très variés et chacun vous demandera d’utiliser différentes techniques pour arriver jusqu’au dernier coup mortel. On apprécie d’ailleurs qu’ils aient perdu leur côté “sacs de PV”, une approche beaucoup plus “organique” ayant été choisie pour les combats.

Les prothèses “shinobi” sont très utiles contre certains boss. (© Activision)

Thèse, antithèse, prothèses

L’équipement a également été simplifié : vous ne vous contenterez que de katanas comme arme principale. Si la personnalisation de votre style de combat est moins d’actualité, les fights sont néanmoins plus exigeants. La maniabilité du sabre est une vraie réussite : les coups de taille, d’estoc et de parade sont très naturels. Au fil de votre avancée dans le jeu, vous débloquerez aussi différents “arts” de combat, qui vous apprendront de nouvelles techniques.

Grande nouveauté de Sekiro : l’arsenal de gadgets, notamment le grappin (qui permet enfin un déplacement fluide et rapide), et les “prothèses de shinobi” qui remplacent votre bras perdu pour vous donner toutes sortes d’avantages plus ou moins décisifs (selon le contexte). Ces accessoires sont parfaitement intégrés aux combats et permettent des variations très appréciables dans les nombreux mouvements disponibles.

Cependant, Sekiro n’est pas un simple jeu d’escrime nipponne : votre shinobi est non seulement rapide et agile, mais il peut aussi être extrêmement discret. En étant furtif comme une ombre, vous pourrez éviter beaucoup de problèmes. On déplorera juste un petit problème avec l’IA des ennemis vis-à-vis de la furtivité : ils peuvent être aussi bien débiles qu’omniscients. Le grand changement vient en fait de cette nouvelle agilité – que ce soit dans la vitesse de course, l’usage du grappin ou la furtivité –, qui vous permet enfin de fuir correctement.

Silencieux comme une ombre. (© Activision)

Enfin, rien à redire sur la longévité du titre : les nombreuses morts vous font clairement perdre du temps et chaque game over est aussi punitif que dans un Souls. Comme vous perdrez à chaque fois votre argent et votre expérience, la fuite sera parfois une très bonne solution pour revenir plus fort.

L’histoire principale est bien longue et les cartes regorgent de dizaines d’objectifs secondaires (qui ne sont pas forcément mis en avant, ce qui vous pousse à les chercher). D’ailleurs, vous aurez souvent besoin de sortir des sentiers battus pour progresser dans l’histoire principale. En bref, une aventure complète qui vous offre de nombreux choix.

Résultat : A

Sekiro : Shadows Die Twice est aussi bien un excellent hommage aux jeux de FromSoftware (notamment dans sa difficulté) qu’un vrai renouvellement du studio. En choisissant de repenser en profondeur le hardcore gaming et de s’aventurer sur une narration plus “classique”, le titre pourrait séduire un public beaucoup plus large – et c’est tant mieux. Bien entendu, il y aura toujours de problèmes de difficulté, mais la diversité du gameplay sublime cette ode au masochisme.

Ce qui est cool :

  • L’ambiance de fantasy nipponne est sublime.
  • Un gameplay exigeant et difficile, pour un plus grand sentiment de fierté à la fin.
  • Une durée de vie de folle, même si vous êtes un pro gamer.

Ce qui est moins cool :

  • Si vous n’aimez pas la difficulté, passez votre chemin.
  • Quelques rigidités et vieilleries dans l’interface.
  • Une IA plus que perfectible en ce qui concerne la furtivité.