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Ce témoignage édifiant dénonce le harcèlement dans la presse jeux vidéo

Ce témoignage édifiant dénonce le harcèlement dans la presse jeux vidéo

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Par Pierre Bazin

Publié le

Pia Jacqmart a travaillé pour plusieurs médias spécialisés. Elle a résumé son expérience dans un texte fort.

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La communauté des gamers n’est pas réputée pour être un exemple de bienveillance avec les femmes, on pense notamment à l’ambiance hostile qu’on peut retrouver dans les chats de jeux en ligne, les bad buzz à répétition impliquant certains streamers et youtubeurs, ou encore la toxicité d’une certaine partie des utilisateurs du forum 18-25 ans de jeuxvideo.com.

L’affaire de la Ligue du LOL a fait remonter de nombreux témoignages sur les fléaux du sexisme et du harcèlement dans le milieu du journalisme. L’un d’eux, publié sur Medium dénonce l’ambiance dans le journalisme gaming, que ce soit au sein des rédactions spécialisées ou dans les médias généralistes. Pia Jacqmart a travaillé pendant 13 ans en tant que rédactrice pour différents sites spécialisés, dont un “bien connu”, et d’autres rédactions. Dans son texte publié le 13 février, elle raconte le calvaire qu’elle a vécu.

“J’ai peur des retombées. Mais ça fait trop longtemps que ça me bouffe.”

Pia Jacqmart explique les énormes difficultés qu’une femme peut rencontrer en travaillant sur un hobby vu comme essentiellement pratiqué par les hommes, d’autant plus que les rédactions spécialisées sont en majorité composées d’hommes. Mais ce n’est pas le fait d’être une femme, bien souvent seule et entourée d’hommes, qui l’a dérangée, mais plutôt des gestes et des paroles dont les descriptions font froid dans le dos.

“Un jour, le patron a trouvé une photo de moi, cosplayée. Une tenue sexy. Il me regardait, sur l’écran de son ordinateur, inconscient qu’il passait et repassait la flèche de la souris sur les cuisses et le ventre de mon moi photographié. Je n’y suis pas restée.”

Dès les débuts de sa carrière, elle se prend remarque sur remarque. Sous le couvert de l’humour, ses collègues se permettent de plus en plus de choses, des marques de “familiarité” considérées par la loi comme des actes de harcèlement voire d’attouchement sexuel.

Pia Jacqmart décrit avec beaucoup de lucidité la forte hostilité du milieu à l’égard des femmes : elles y sont plus considérées pour leur physique que pour leurs compétences de journalistes.

“C’est un graphiste qui me prend en pitié et me glisse un jour qu’il n’y aura rien pour moi, qu’ils trouvent que je n’apporte pas ‘la fraîcheur et la féminité qu’on pouvait attendre d’une fille’.”

Selon les rédactions, les remarques et gestes varient, mais Pia Jacqmart est claire à ce sujet : à chaque expérience, elle a dû subir des actes absolument atroces. Lors d’un voyage d’affaires, elle a ainsi reçu des SMS de son patron lui demandant de venir dans sa chambre d’hôtel. Lorsqu’elle travaillait pour un autre site, dont elle était la rédactrice en chef de la partie gaming, on l’a menacée : “Si tu perdais 10 kg, je te prendrais à sec sur mon bureau.” Elle quittera consécutivement de nombreuses rédactions pour des raisons souvent très similaires.

“J’ai peur de poster ce message”

Comme il n’y a que trop peu de femmes dans le milieu, il est très difficile pour une journaliste gaming de trouver du soutien. Ainsi, il a fallu beaucoup de courage à Pia Jacqmart pour sortir du silence – et elle en fait malheureusement déjà les frais, sur les réseaux sociaux.

“Pas de ligue du LOL clairement identifiée, pas de groupe de survivantes auxquelles me raccrocher. On est quelques-unes, avec des parcours similaires. Depuis plusieurs jours, on s’envoie des messages. On se soutient.”

Beaucoup de journalistes gaming hommes ne s’en rendent même pas compte. Ce qui est peu étonnant, quand on voit comment ces actes illégaux (harcèlement, attouchement) sont souvent dédramatisés à outrance.

Sur ce point, Pia Jaccqmart a aussi beaucoup de choses à dire. Elle explique ainsi comment ses collègues masculins prennent facilement la défense de ses agresseurs, une sorte de réflexe pavlovien qui tiendrait à rassurer l’ensemble de la rédaction sur sa bonne éthique.

“Un jour il m’attrape par les hanches et me donne un coup de reins. Personne ne dit ni ne fait rien. Je prends peur et je pars. J’appelle mon rédacteur en chef : ‘J’ai un souci avec XX.’ Lui : ‘Je ne veux pas m’en mêler, débrouillez-vous tout seuls.’ J’en parle au délégué syndical. Il est embêté : ‘C’est un bon copain. Il va se calmer. Il est sensible, tu sais.'”

Sans collègue femme vers qui se tourner, Pia Jacqmart ne peut que prendre sur elle. Le problème ne fera qu’empirer lorsqu’elle commencera à regarder les réactions sur son travail postées sur les forums des sites pour lesquels elle bosse.

Après presque 14 ans de carrière dans la presse jeu vidéo, Pia Jacqmart quitte le milieu. Cependant, son témoignage commence déjà à faire réagir, et l’ancienne journaliste reçoit beaucoup de soutiens.

Elle ne souhaite pas donner les noms de personnes ou de rédactions, et ne vise pas non plus expressément la communauté des gamers : elle décrit juste comment des milieux quasi exclusivement masculins peuvent devenir un enfer pour les femmes.