D’Athènes à Hollywood : lumière sur Yorgos Lanthimos, le réal de La Favorite

D’Athènes à Hollywood : lumière sur Yorgos Lanthimos, le réal de La Favorite

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Par Lucille Bion

Publié le

Yorgos Lanthimos, l’ovni auréolé du cinéma indépendant, présente aujourd’hui en salles son dernier bijou, La Favorite. Après une rencontre inspirante, on a tenté de lever le mystère sur le réalisateur grec.

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Yorgos Lanthimos. (© Konbini)

En 2009, le tapis rouge de Cannes accueille une vague de nouveaux talents prometteurs, et couronne alors un réalisateur grec dans la sélection Un certain regard. Yorgos Lanthimos, acclamé pour son film Canine, vient de signer une fable familiale immorale, somptueusement filmée et provocatrice.

Dans la foulée, son film traverse l’océan Atlantique puisqu’il est nommé aux Oscars, dans la catégorie “Meilleur film étranger”. La production chiffrée à 200 000 dollars de Yorgos Lanthimos ne gagne pas face à Revenge de Susanne Bier, mais le cinéaste émergent concourait avec de grosses pointures – Denis Villeneuve (Incendies), Alejandro González Iñárritu (Biutiful) et Rachid Bouchareb (Hors-la-loi).

Six ans et deux films plus tard, l’artiste grec retourne sur la Croisette pour présenter The Lobster, pour lequel il reçoit le Prix du Jury. Cette sombre satire dépeint une société futuriste où les célibataires se transforment en l’animal de leur choix s’ils ne trouvent pas leur âme sœur après avoir épuisé leur quota de dîners dans un hôtel romantique.

Avec ce scénario original, The Lobster marque un tournant majeur dans la carrière du cinéaste grec, puisque c’est son premier film en langue anglaise. Pour la première fois, il s’entoure de grandes vedettes comme Léa Seydoux, Colin Farrell ou John C. Reilly, mais aussi Olivia Colman et Rachel Weisz (qui sont toutes les deux dans son nouveau film événement, La Favorite).

Son casting prestigieux et son regard tranchant séduisent un public plus large, et fidélisent les cinéphiles de Cannes. En effet, lorsque Yorgos Lanthimos revient pour présenter Mise à mort du cerf sacré en 2017, le jury, une fois de plus séduit par les atmosphères mystérieuses et comico-mortifères du réalisateur, le récompense du Prix du scénario.

Une seule règle : s’exprimer

Oui, c’est Colin Farrell dans <em>The Lobster</em>. (© Haut et court)

Marginal, indépendant et mystérieux, Yorgos Lanthimos a clairement tiré son épingle du jeu grâce à son esprit affûté et libre. Né à Athènes au début des années 1970, il a fait une école de cinéma, même s’il est alors convaincu qu’il ne serait bon qu’à tourner des films publicitaires :

“Quand tu grandis en Grèce, devenir réalisateur n’est pas vraiment une option. À mon époque, il n’y avait pas beaucoup de films. Il n’y a pas non plus une industrie ni de système d’aide ou d’école pour apprendre…

J’ai aimé le cinéma très tôt, mais je ne pensais pas que je pourrais en faire pour de vrai. Je suis allé à l’école de cinéma en ne pensant faire que du commercial, ce que j’ai fait pendant des années, en fait.

Mais bien sûr, à un moment j’ai compris que peut-être avec mon expérience technique, je n’avais pas forcément besoin de beaucoup plus pour faire des films. J’ai compris petit à petit que je pouvais devenir réalisateur, c’était tout un processus.”

Après sa sortie de la Hellenic Cinema and Television School de Stavrakos, le jeune diplômé collabore avec une compagnie de danse grecque mais fait surtout ses armes dans la réalisation de publicités, de courts-métrages et de clips :

Avec ce parcours de touche-à-tout, il se découvre une curiosité insatiable pour toutes les formes artistiques : la littérature, la photographie, la peinture… Mais cet esprit libre reste très sélectif, et c’est sûrement cette exigence qui le propulsera vers la réussite :

“En général, j’aime bien les gens qui regardent le monde différemment, qui tentent des choses, qui regardent dans des directions différentes. Je ne sais pas : je regarde des films, j’écoute de la musique, je regarde des photos. Je veux juste être inspiré par des gens qui sont inspirants et fiers de leur travail.

Au lieu d’imiter ce que font les gens et faire ce que l’on attend, je pense qu’il faut juste essayer de faire ce que l’on sent. Il ne faut pas rentrer dans la logique de la normalité ou de la recherche du succès.”

Grâce à son premier long-métrage, Kinetta, Yorgos Lanthimos commence sa carrière de réalisateur en 2005 avec les compliments du public des festivals de Toronto et Berlin.

Canine, Alps, The Lobster, Mise à mort du cerf sacré, La Favorite… En quinze ans, l’ovni du cinéma indépendant aura quitté l’acropole d’Athènes pour les paillettes d’Hollywood, et est maintenant confortablement installé dans son fauteuil de membre de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, l’institution qui décerne les oscars.

Favori des Oscars

La Favorite met en scène un trio féminin, avec pour arrière-plan le conflit qui opposait la France et l’Angleterre au tout début du XVIIIe siècle. Trahisons, secrets, jalousie, domination et soumission… On est loin, et même très loin, des reines et princesses de Disney.

Sous le règne de la reine Anne (Olivia Colman), l’économie va mal mais l’ordre est maintenu. Dans les couloirs, les soldats sont au garde-à-vous et prêts à dégainer dès que son altesse leur en donnera l’ordre. Mais cette dernière a la santé très fragile et n’a aucun héritier. Seule et dépendante, la reine confie en réalité les rênes du pouvoir à sa protégée, Lady Sarah Churchill (Rachel Weisz). Un jour, Abigail (Emma Stone), une aristocrate déchue, débarque au château et décide de gravir les échelons, en se faisant remarquer par la reine, et ce par tous les moyens.

“La première fois que j’ai entendu parler de ces femmes, j’étais très impressionné. J’étais intrigué à l’idée de faire naître ces trois personnages très complexes. J’y ai consacré beaucoup d’énergie. J’ai notamment essayé de créer trois dimensions, d’obtenir trois femmes très différentes les unes des autres, pour que se succèdent tout au long du film différents aspects.

Après, il y a eu cette période où j’essayais d’aller contre ce que les gens pouvaient attendre : dans la manière d’entendre, de ressentir, de voir… Nous voulions créer quelque chose de plus moderne, de plus pertinent. Tout cela était un challenge, mais ça m’intéressait beaucoup aussi, c’est la raison pour laquelle j’ai fait ce film”, explique le cinéaste.

Douze nominations aux Baftas, un record de dix prix aux British Independent Film Awards, trois nominations aux Golden Globes, un prix à la Mostra de Venise et maintenant dix nominations aux Oscars… Le nouveau film de Yorgos Lanthimos a tous les atouts pour écraser la concurrence : le jeu d’Olivia Colman récompensé aux Golden Globes, la prestation d’Emma Stone, un Nicholas Hoult tyrannique, le regard acéré de Yorgos Lanthimos, et des costumes divins qui se meuvent dans un décor sublime.

Si le cinéaste indépendant est habitué des récompenses cannoises, il sera cette année le principal rival de Roma, le film Netflix d’Alfonso Cuarón qui a lui aussi reçu dix nominations aux Oscars.