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Les acteurs de Meltem nous ont raconté leur tournage parmi les migrants

Les acteurs de Meltem nous ont raconté leur tournage parmi les migrants

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( © Elzévir )

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Par Lucille Bion

Publié le

Daphné Patakia et Rabah Nait Oufella nous ont raconté leur tournage sur l'île de Lesbos, où Meltem, en salles aujourd'hui, est né.

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(© Elzévir)

Daphné Patakia et Rabah Nait Oufella forment à nouveau leur duo le temps de la promo de Meltem et débattent rapidement sur l’histoire complexe de la Grèce et la Turquie. De ce premier film social de Basile Doganis sur l’identité, la crise économique et migratoire grecque, les jeunes acteurs sont revenus nourris d’une expérience intense et de rencontres inoubliables.

Meltem, à la fois solaire et cauchemardesque, masque sous sa photographie paradisiaque des problèmes humains révoltants. Le cinéaste, issu du monde du documentaire, a imaginé les vacances de trois amis, Elena, Nassim et Sekou dans la maison de la mère défunte de l’héroïne, à Lesbos. Au cours de leur périple, ils croiseront un jeune syrien réfugié sur l’île. Cette rencontre transformera le regard des jeunes français issus de l’immigration, comme elle a transformé celui de Daphné Patakia et Rabah Nait Oufella qui nous racontent dans cette interview, cette expérience unique de tournage.

(© Elzévir)

Daphné est née en Belgique de parents grecs qui lui ont prodigué une éducation 100 % grecque :

“Je suis née en Belgique, mes deux parents sont grecs et j’ai fait toute mon éducation en grec. Mes potes sont grecs et à la maison on regardait la télé grecque, on mangeait de la bouffe grecque. D’ailleurs, je ne suis allée à l’école belge qu’un an et on m’appelait Mouscaca parce que je ramenais de la moussaka pour le goûter [rires]. J’étais dans une bulle très grecque en Belgique, du coup je ne connais pas grand-chose de ce pays. Après mon bac grec je suis allée en Grèce et j’ai fait mes études de théâtre au conservatoire.”

Il y a trois ans, elle décide de venir en France prenant conscience de la situation compliquée de la création cinématographique en Grèce mais aussi qu’une crise se prépare : les rues bouillonnent, le mouvement des Indignés s’installe et plusieurs générations manifestent leur mécontentement. L’actrice débarque en France et entame sa carrière. Elle se fait repérer par Basile Doganis qui l’aperçoit dans un film grec et lui fait passer un casting pour le rôle d’Elena. Aux yeux du réal’, elle possède le CV parfait et décroche le rôle.

De son côté, Rabah Nait Oufella qui s’est démarqué avec des films comme Nocturama, Grave ou Patients avait déjà tourné avec le cinéaste dans Journée d’Appel avec Lamine Cissokho. Les rôles de Nassim et Sekou auraient d’ailleurs été écrits pour eux.

“Je pensais que ce serait intense mais cool. En fait c’était intense et très difficile car ça n’a rien à voir avec ce qu’on a en France.”

Avec la confirmation de Daphné Patakia au casting, chacun a ensuite apporté sa pierre à l’édifice du scénario pour peaufiner les personnages et préciser certaines directives. Une fois que la version finale a correspondu aux attentes de l’équipe du film, ils se sont envolés pour Athènes où ils sont restés une semaine pour répéter avant de refaire leur valise pour Lesbos.

Si l’un découvrait l’île pour la première fois, l’autre, de par ses origines grecques redécouvrait ce territoire lourdement chargé d’histoire. Il y a deux ans, Daphné tournait sur cette même île pour Tony Gatlif qui signait Djam, un road-movie qui reprenait les mêmes thématiques tragiques liées à la migration.

“Il y a un Syrien qui m’a montré son torse, c’était un truc de malade.”

Sur place, les comédiens ont vite été confrontés aux conditions déplorables dans lesquelles vivent les migrants puisque ces derniers ont été figurants pendant deux jours. Ainsi, Daphné a pu retrouver des migrants qu’elle avait rencontrés sur le tournage de Djam. Elle a pu constater l’évolution et l’adaptation de plusieurs réfugiés, notamment de certains enfants qui vont maintenant à l’école. Mais si les constats sont parfois positifs, la réalité globalement tragique assombrit le tableau, comme elle l’explique :

“Aller là-bas et filmer la crise économique et migratoire, c’est une photogénie qui peut parfois être très déplacée. Moi j’avais très peur de demander aux gens de revivre certaines choses. Par exemple, dans le film, il y a une scène d’enterrement d’un petit enfant sauf que ça leur est vraiment arrivé et on leur a demandé de le revivre, comme un jeu. Mais le réalisateur a eu une approche très légère et les scènes ne sont pas voyeuristes.”

De son côté, Rabah qui participe activement à des associations de quartier comme Feu Vert et Archipelia a été anéanti les premiers jours, lors des premiers contacts :

“Ça fait longtemps que je suis dans des asso et que mes potes lancent des trucs donc je pensais que le fait de tourner avec des vrais réfugiés, ce serait intense mais cool. En fait c’était intense et très difficile car ça n’a rien à voir avec ce qu’on a en France.

Le premier jour, j’ai rencontré 6 ou 7 migrants. Il y avait une famille avec une femme qui avait 18 ans et qui était enceinte de son 4e enfant, avec son mari. Ils étaient hyper timides. Par exemple, ils n’osaient pas trop se servir à la salle régie où il y avait à boire et à manger. Ils restaient dans leur coin. Moi j’ai essayé de rentrer dans la boucle, créer des connexions et ils ont commencé à s’ouvrir. À un moment, ils ont commencé à me raconter des trucs. J’ai chialé toute la soirée.

Il y a un Syrien qui m’a montré son torse, c’était un truc de malade. Le lendemain, on a justement fait cette scène d’enterrement et honnêtement je n’ai pas cherché à composer. J’ai préféré prendre des distances, peut-être par lâcheté, je ne sais pas. Je savais que ça allait être trop dur pour moi cette deuxième prise.

Le plus dur ? C’est que quand tu as un cœur, quand tu es un être humain, tu réalises que le soir tu rentres dans ta chambre d’hôtel et eux dans leur camp. Pourquoi ? Parce que mes parents ils ont niqué en France et pas dans un pays en guerre ? Moi je trouve que la vraie violence, elle est là.”

(© Elzevir)

Contrairement à ce que l’on raconte, la vie nocturne ne diffère pas vraiment de la vie diurne, en termes de danger, assurent-ils en chœur. Bloqués malgré eux dans des camps qui leur font office d’habitat, les réfugiés tenteraient plutôt d’alerter le gouvernement sur leurs conditions de vie en brûlant eux-mêmes leur camp, afin d’obliger l’État à en faire de nouveaux, plus propres et dignes.

“En Grèce, de ce que j’ai pu voir, les gens sont hyper accueillants, très généreux. Ça change de ce qu’on peut avoir ici, en France. Après, chez nous il ne se passe même pas un centième de ce qu’il se passe là-bas.”

Aujourd’hui, ils continuent encore à discuter sur Facebook et WhatsApp. L’un des migrants compte bien venir à Paris pour retrouver les comédiens. Daphné et Rabah se remémorent comme de vieux amis qui ne s’étaient pas vus depuis cinq ans les personnes qu’ils ont croisées sur le tournage. Leur visage s’illumine quand ils s’apprennent l’un l’autre que telle ou telle famille a pu rejoindre Athènes ou l’Allemagne et qu’ils cherchent du travail.

Mais c’est difficile, avoue Rabah, quand tu gardes contact avec ces personnes, comment tu comptes les aider ? Tu vas leur envoyer de l’argent ? C’est pas une aide, ça. Tout l’enjeu, c’est qu’ils aient l’asile.