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Manger bio la semaine et taper de la coke le week-end : génération dissonance cognitive

Manger bio la semaine et taper de la coke le week-end : génération dissonance cognitive

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Par Konbini

Publié le

Konbini vous propose une tribune repérée sur le blog Mon amie journaliste

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Le week-end dernier, j’ai acheté une côte de bœuf chez Intermarché. Ce qui constitue, déjà, une curiosité en soi, car voilà déjà quelques mois que je suis un chouia obsédée, non par le végétarisme per se (ouais, je tente), mais par les conditions d’élevage et d’abattage des animaux.

En attendant que le boucher me remette ma dose de vache morte, je me demandais quelle mouche était en train de me piquer, au juste. Heureusement, l’esprit humain est formidablement créatif lorsqu’il s’agit de justifier ses incohérences. Les psys appellent ça la dissonance cognitive, paraît-il.

Mais attends, on sera à la campagne, c’est pas pareil qu’en ville, c’est une terre de chasse en plus, donc c’est un peu comme si on avait chassé notre propre gibier, tu vois, ce serait une vache sauvage en quelque sorte, en plus il faut reconnaître que c’est quand même sympa de faire une grillade au feu de bois, ça fera plaisir à tout le monde de manger de la viande rouge après nos longues promenades fouettées par le vent, et puis ça va, je suis pas non plus le genre de casse-couilles qui va imposer des menus végétariens à tout le monde enfin quoi merde.

Résultat des courses, cette côte de bœuf relève de ma seule initiative, à moi qui retire les lardons des pâtes carbonara.

Et ce n’est pas (seulement) pour me justifier qu’à l’issue de ce week-end, je suis arrivée à l’hypothèse que voici, ami lecteur : ce douloureux décalage, négocié avec plus ou moins d’habileté, ne serait-il pas le symptôme le plus significatif de notre génération ?

Exemples :

Disserter sur la production intensive de viande en préparant le barbec’

Deuxième volet du feuilleton côte de bœuf : en apprenant le menu du soir, l’un de mes amis me dit qu’il fera une exception pour cette fois, puisqu’il ne mange pratiquement plus de viande. Je lui dis que moi non plus, mais je vois bien que j’ai l’air con.

En dînant, nous nous mettons à parler de la pollution que génère l’élevage et de tous les films épouvantables que nous avons vus et qui nous ont convaincus que l’industrie alimentaire était un effroyable merdier. Le tout sans que personne n’ose relever que nous étions en train de nous enquiller 1,3 kilo de viande de bœuf. C’était peut-être grotesque, comme scène, ami lecteur, mais nous étions tous sincères.

Chasser les pauvres pour mettre un toit au-dessus de sa tête

Au cours du week-end, il a aussi été question du désir d’acquérir un appartement… tout en ayant la conscience très nette que tout achat immobilier participerait obligatoirement à la gentrification galopante des banlieues parisiennes.

“Ils construisent des immeubles nickel à Pantin en comptant sur le fait que les habitants d’origine ne pourront pas se les payer. Et nous, on va débarquer là ; les foutre dehors, en fait.”

Autour de la table, personne, parmi les fiers représentants de la classe moyenne que nous étions, n’aurait les moyens d’acheter ailleurs. Alors quoi ? Par conviction politique, ceux-là ont renoncé. Beaucoup d’autres, dans ma classe d’âge, ont choisi d’acheter, en mettant sous le tapis les convictions qui auraient pu compliquer l’opération. Et je ne vois pas bien comment on pourrait le leur reprocher.

Être altermondialiste la semaine et taper de la coke le week-end

Enfin et surtout, ami lecteur : qui versera une larme pour tous les aspirants yogi/amateurs de paniers bio qui se mettent des murges et tapent de la coke le week-end ? Bien sûr qu’ils savent qu’il y a là, comme qui dirait, une contradiction. Et ils ne sont pas les seuls à en supporter le poids.

Les aspirants révolutionnaires non plus n’adoubent pas le trafic de drogue (grosso merdo 50 000 morts au Mexique depuis 2006, 500 décapitations par an pratiquées par les narcos), ni la corruption qui ronge les pays producteurs. Bien sûr que les gauchistes sont gênés quand débarque le jeune mec de banlieue qui flingue ses perspectives d’avenir en leur livrant leurs deux grammes coupés à la codéine. Mais ils l’appellent quand même. Parce qu’il faut avoir une sacrée force de caractère pour 1) s’abstenir et 2) pousser toute une clique, évidemment rétive aux discours moralisants, à vous imiter.

Les exemples sont logés partout, dans les clopes, dans les iPhone, dans les fringues Zara et H&M. On sait bien que ça ne va pas, mais les forces nous manquent pour aller chercher les alternatives.

Que disent les études scientifiques sur les effets de la dissonance cognitive à long terme ? Je me demande de quoi nous sommes les cobayes : d’un changement de consommation radical à venir, ou de la folie institutionnalisée ?

Cette tribune a originellement été publiée sur le blog Mon amie journalisteVous pouvez aussi la suivre sur Facebook.