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“Tu fais chier, espèce de féministe” : rencontre avec la réal de LOL et Mon Bébé

“Tu fais chier, espèce de féministe” : rencontre avec la réal de LOL et Mon Bébé

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Par Lucille Bion

Publié le

"Le vrai problème, c’est d’être considérée comme cinéaste quand on est femme car c’est encore un monde géré par la mafia ciné."

À l’occasion de la sortie de Mon Bébé, film féministe et comédie progressiste, la réalisatrice Lisa Azuelos a accepté de nous rencontrer pour nous parler de sa place dans le cinéma. Elle a embarqué sa fille et surtout Sandrine Kiberlain dans cette aventure lumineuse et tendre. 

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Cette dernière, récemment aperçue dans Pupille, fait réfléchir sur la maternité en campant le rôle d’une mère divorcée avec une dernière enfant à charge qui s’apprête à passer le bac et s’envoler pour étudier au Canada. Pourtant bien dans ses baskets, la cinquantenaire vit mal cette séparation et se remémore un tas de souvenirs qui prennent des allures de flash-back nostalgiques. 

Quelques jours avant la sortie de cette comédie primée au Festival international du film de comédie de l’Alpe d’Huez et à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous avons discuté avec Lisa Azuelos de féminisme, de la déculpabilisation des femmes et de la place de la réalisatrice dans un milieu masculin et fermé. La réalisatrice, connue pour son iconique LOL, est aussi une militante qui dirige une association : Ensemble contre la gynophobie. 

Lisa Azuelos, Thaïs Alessandrin, Sandrine Kiberlain (© Pathé )

Quel a été le déclic de ce film résolument féminin ? Les mouvements #Metoo et Time’s Up ont-ils eu un impact sur votre travail ?

Moi je n’ai pas attendu Time’s Up et #MeToo pour représenter les femmes au cinéma. Je ne m’intéresse qu’aux femmes et je ne fais que des films de femmes. Je fais des films pour les femmes avec des femmes. Beaucoup de femmes font des films avec des hommes, qu’elles mettent en scène mais moi je vais jusqu’au bout du délire, et je veux des femmes pour parler des sujets de femmes.

Et en tant que femme cinéaste, vous sentez-vous investie d’une mission ou d’une responsabilité ?

En fait, le vrai film féministe que j’ai fait c’est Comme t’y es belle, ça me tenait à cœur car ça parlait de la communauté juive séfarade (une communauté qui étouffe énormément les femmes). C’était un cri. Mais j’étais beaucoup plus jeune, donc j’avais besoin de crier. Il n’y avait pas #MeToo, Time’s Up, #balancetonporc, etc. Je parlais des inégalités autour de moi et on me disait : “Tu fais chier, espèce de féministe”, comme si c’était une insulte.

Le cri, moi, en fait ça fait 10 ans que je le pousse. Là, j’ai l’impression que mon cri a été relayé donc je n’ai plus besoin de crier. Je peux le dire en chuchotant, je peux le dire en prenant les gens dans les bras. Je peux leur montrer que l’amour au féminin, c’est beau et ma plus grosse victoire avec Mon Bébé, c’est la manière dont les hommes ont réagi : ils se sentent ultra-concernés, ils m’ont remerciée, certains ont pleuré en me prenant dans leurs bras. Mon but dans la vie, ce n’est pas d’être féministe, c’est que les hommes et les femmes soient les meilleurs amis du monde. (Sourire)

Dans le contexte actuel, avez-vous rencontré moins d’obstacles pour sortir un film comme Mon Bébé, par rapport à Comme t’y es bellesorti il y a presque 15 ans ?

La grande chance dans les métiers du cinéma, et surtout en France, c’est qu’il existe une grosse part du marché qui est une part féminine. Autrement dit, ce sont les femmes qui décident de quel film va aller voir le couple, beaucoup de femmes vont au cinéma entre elles, c’est vraiment une petite niche économique. C’est un peu comme la mode : les femmes sont décideuses, donc il n’y a pas de problème à financer des films pour femmes, parce que c’est une niche économique.

Le vrai problème, c’est d’être considérée comme cinéaste quand on est une femme, car c’est encore un monde géré par la “mafia Cinémathèque” qui reste un truc très auteur, très homme.

Comment faites-vous pour exercer votre métier, vous ?

En fait, moi j’ai la chance d’être soutenue par Jerôme Seydoux (à la tête de Pathé). Il m’a toujours aussi bien traitée qu’un homme, voire mieux traitée que beaucoup d’hommes ne le sont dans ce métier. Il m’a toujours énormément considérée, je lui dois beaucoup, notamment pour mon estime de moi.

On doit toujours des choses aux uns et aux autres. L’idée, ce n’est pas de faire la route seule en tant que femme, ou contre les hommes… C’est de pouvoir justement parler de ces sujets. De dire que l’intimité familiale, la famille monoparentale, le fait d’être une femme qui élève seule ses enfants, sont de vrais sujets de société. On l’a vu avec les gilets jaunes récemment : les mères de famille se réveillent. Normal, quand on sait que toutes les tâches ménagères ne sont pas prises en compte dans le PIB alors que le jardinage et le bricolage le sont…

(© Pathé )

Justement, vous déculpabilisez les femmes avec humour dans Mon Bébé, est-ce que selon vous l’humour est le meilleur moyen de parler des sujets graves ?

Oui. Le meilleur moyen pour parler de quoi que ce soit, c’est l’humour. Dès qu’un politique, une religion, un projet manque d’humour, c’est que quelque part, il n’est pas bon. Parce que quand on n’est pas capable de parler des choses avec humour, c’est qu’il y a une blessure et qu’on ne peut pas réellement parler. Mon but en tant que cinéaste, ce n’est pas d’être reconnue comme cinéaste par des gens dont je me fous, mais de faire en sorte que les gens qui vont voir mes films se sentent beaucoup mieux après.

Le but, dans ma mission de cinéaste, c’est de déculpabiliser les femmes car elles ont une espèce de vieux juge à l’intérieur d’elles-mêmes qui leur pourrit la vie. Moi je suis un peu l’ennemie de ce juge intérieur. Je vais faire en sorte d’annuler tout ce travail de culpabilisation qu’il fait, toute l’année, pour dire aux femmes qu’elles valent zéro, qu’elles sont nulles, qu’elles sont de mauvaises mères, de mauvaises amantes, de mauvaises femmes, etc… Moi je veux leur dire que ce n’est pas vrai, qu’elles sont fortes. Avec mes films – LOL, Comme t’y es belle, Mon Bébé –, je veux leur dire qu’elles sont incroyables.

Quand avez-vous réalisé que les femmes étaient culpabilisées ?

Depuis que suis toute petite, j’entends les hommes critiquer la guerre, le premier ministre, blablabla. Et je me demandais quand est-ce qu’ils allaient parler du vrai problème mondial, qui est que les hommes et les femmes ne sont pas des amis ? Quand va-t-on parler de cette violence incroyablement fondatrice de toutes les autres violences ?

Quand je parlais de ça il y a 20 ans, on se foutait de ma gueule. Quand j’en ai parlé il y a 10 ans, on se foutait encore un peu de ma gueule. Là, je n’ai même plus besoin d’en parler en fait.

Il y a beaucoup de travail mais le travail, il est intérieur. C’est aux femmes d’arrêter de se sentir coupables. Il n’y a aucune loi pour faire en sorte que les femmes soient libres, c’est à elles-mêmes de se libérer. 

Vous avez, à la différence de certaines comédies françaises à succès, écrit pour Mon Bébé un rôle de personnage féminin soigné. Qu’est-ce que vous pensez de l’état de la comédie en France ? Que vous inspire-t-elle ?

Mon seul rêve, c’est que cette comédie marche autant au box-office que les comédies “clichées” car j’utilise tout mon argent pour des causes féministes mondiales, ça me tient vraiment à cœur. 

J’aimerais beaucoup que la France montre qu’un film avec une femme, fait par une femme, ça peut rapporter des sous. Malheureusement, l’une des choses qui compte le plus dans le cinéma, c’est le box-office. Donc, quand on veut avoir un peu de poids et de pouvoir pour continuer à dire des choses, il faut figurer dans le box-office.

Que voulez-vous communiquer maintenant ? 

Depuis Time’s Up et #MeToo, j’ai arrêté de ne m’occuper QUE des femmes pour me tourner vers les ados et vers les relations garçons-filles et leur rapport à la pornographie. Maintenant, ma grande cause c’est de faire en sorte qu’on apprenne la sexualité, l’amitié et surtout la bienveillance entre les garçons et les filles dans les collèges et les lycées.

C’est un énorme problème que les les contenus pornographiques prennent le rôle de tutos sexuels, car on ne peut pas changer l’image de la femme qu’ils charrient, et on lutte contre un très gros lobby. 

Et puis, vous savez, mon féminisme n’est plus votre féminisme à vous, les nouvelles générations. Le problème, c’est malheureusement que vous avez à lutter contre des choses beaucoup plus pernicieuses. Il faut réapprendre aux jeunes filles ce qu’est le vrai pouvoir du féminin. Et ça va être long, car vous avez en face de vous des gros méchants loups qui sont les réseaux sociaux, les algorithmes et qui font que l’estime de soi ne va pas aller mieux.