Les Misérables : on a parlé de foot, de mode et de diversité avec l’acteur Djebril Zonga

Les Misérables : on a parlé de foot, de mode et de diversité avec l’acteur Djebril Zonga

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© Louis Lepron

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Par Lucille Bion

Publié le

Footballer, mannequin, acteur... Djebril Zonga, nouveau visage du cinéma français, nous a raconté sa riche ascension.

Il vient tout juste d’être présélectionné pour le César du Meilleur espoir masculin, son film représente la France aux Oscars et pourtant, Djebril Zonga est encore peu connu du public français. La sortie, ce mercredi, des Misérables devrait changer la donne. Il y endosse un costume de flic, gilet pare-balles et Flash-Ball en main, pour faire régner l’ordre dans la cité de Montfermeil, dans le 93, avec ses deux coéquipiers, joués par Alexis Manenti et Damien Bonnard.

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Dans ce film, pièce maîtresse des dégénérescences, Djebril Zonga amène, avec une rare maturité pour un nouvel acteur, beaucoup d’espoir pour l’avenir du cinéma français. Entre ses coups de pied dans un ballon de foot, ses défilés et ses premiers projets cinématographiques, l’acteur de 38 ans (oui, vous avez bien lu) nous raconte son parcours atypique, de Clichy-sous-Bois au tapis rouge.

© Louis Lepron

Avant de se destiner aux caméras et aux projecteurs, Djebril Zonga préférait le sport. Il y a d’abord eu le tennis, qu’il a commencé à 7 ans, puis le foot, qui a pris de plus en plus de place, auquel il joue aussi bien à l’école que dehors, entre les tours du Chêne-Pointu. À 15 ans, il s’inscrit dans le club de Bondy, d’où vient Kylian Mbappé, et, deux ans plus tard, il quitte l’école et son BEP comptabilité pour se consacrer au ballon rond :

“J’ai ensuite été dans un club à Bry-sur-Marne dans le Val-de-Marne en espoir puis en CFA 2 avant de partir au Portugal, à Pedras Rubras, un petit village pas loin de Porto. À l’époque, j’avais 21 ans et j’ai tout misé sur le football. En arrivant, j’ai fait des essais dans un club et je me suis blessé tout de suite. Je n’ai donc pas signé dans ce club-là, mais l’agent qui était sur place m’a conseillé de rester, pensant que je pourrais signer ailleurs grâce à mes qualités.

À cette époque au Portugal, il n’y avait pas beaucoup d’argent et beaucoup de problèmes de direction. Je suis quand même resté un an, parce que j’étais bien et je pouvais jouer des matches amicaux. Ensuite, je me suis aperçu que j’ai commencé à oublier pourquoi j’étais ici, donc décidé de rentrer en France. D’ailleurs, c’est marrant car je me souviens que pendant un an, j’ai gardé mes affaires dans ma valise, comme si je savais que j’allais partir.”

Sur les conseils d’une amie, il pose pour un photographe et se fabrique un book qu’il envoie aux agences. Finalement accueilli par Karin Models, le mannequin défile désormais pour Jean-Paul Gaultier, se met à nu pour Diesel et enchaîne pendant dix ans les projets, qui lui permettent de voyager et de bien gagner sa vie. Le hic, c’est que la mode ne le fait pas rêver :

“La mode, c’est facile. Tu sais ce que tu peux gagner parfois 2 000 balles juste pour un shooting. Je n’ai fait que ça pendant dix ans, ce n’était pas une passion mais ça m’a forgé, en tant qu’homme. Ça m’a permis d’avoir un regard différent. J’ai vite constaté qu’il n’y avait pas de Noirs, je me rappelle qu’on s’entraidait beaucoup pour les castings. Ça m’est déjà arrivé qu’on appelle mon agence et qu’on lui dise d’arrêter de me faire venir parce que j’étais Noir…

Aujourd’hui, avec l’arrivée de nouveau stylistes comme Virgil Abloh et Olivier Rousteing, les choses changent. Tout ce qui est urbain aujourd’hui, même la musique, le rap, A$AP Rocky, Rihanna, Beyoncé, Kanye West… Ça influence la mode. À l’époque, ça m’avait choqué. C’est quand j’ai quitté la mode que tout a commencé à changer, et c’est positif.”

Lassé de poser et prêter son corps aux marques, le modèle se dirige alors vers le cinéma. Au début, sans grande conviction. Tout commence aux États-Unis, lorsqu’il tombe par hasard sur un réalisateur français qui tente de percer de l’autre côté de l’océan Atlantique. Pour satisfaire la curiosité de Djebril Zonga, le cinéaste l’emmène à l’école Susan Batson Studio à New York, où il découvre le métier avec la méthode de l’Actors Studio dont la coach suit Nicole Kidman, Juliette Binoche et une poignée d’autres acteurs américains :

“Je passe seulement une journée là-bas, alors que je ne parlais pas encore très bien anglais, mais ça se passe hyper bien et je sens qu’il y a eu un déclic. Je comprends que j’ai envie de faire ça, je m’y intéresse, je ne parle plus que de ça. Je rentre en France et je passe un casting français, où je suis pris pour un rôle dans Sous X qui nécessite dix jours de tournage. Mais un jour, ils arrêtent le tournage brutalement, et je n’ai plus de nouvelles. Karim Leklou, avec qui je jouais, m’appelle et m’annonce qu’ils m’ont supprimé du film. Je suis choqué de cette première expérience.”

“Tu es trop beau gosse, je veux un mec avec une gueule”

“Trop beau”, “trop lisse”, “pas de rôles pour les Noirs”… Djebril Zonga connaît alors une longue période de galères, entre castings inexistants et difficultés à être pris au sérieux. En 2017, sa compagne, l’humoriste Nawell Madani, lui donne un petit coup de pouce et lui fait alors passer un casting pour un rôle secondaire dans C’est tout pour moi, qu’elle coréalise avec Ludovic Colbeau-Justin. Sur le tournage, Djebril Zonga rencontre Olivier Barthélémy, membre de Kourtrajmé qui lui donne des nouvelles de Ladj Ly, son pote d’enfance. Le réalisateur est en train de faire son court-métrage Les Misérables et cherche un Noir, après qu’Omar Sy a décliné l’invitation à cause de son engagement sur tournage :

“Quand il me dit ça, ça m’énerve un peu, car on se connaît bien et il ne m’en parle pas. J’ai ravalé ma fierté et je l’ai appelé pour l’engueuler. Il rigole et commence à m’expliquer que je ne ferai pas l’affaire car il cherche une gueule, pas un beau gosse. “

Lorsque Djebril Zonga raccroche, il relève le défi et se prépare pour les essais du court-métrage Les Misérables, inspiré d’une interpellation virulente dont le réalisateur a été le témoin le 14 octobre 2008. Conquis, Ladj Ly mise sur lui. L’équipe est au complet. Alexis Manenti, Damien Bonnard, Djebril Zonga et Ladj Ly vont jusqu’aux César, en 2018, mais se font doubler par Les Bigorneaux d’Alice Vial.

Des Bosquets au bling-bling des César, l’industrie remarque leur admirable ascension et leur propose de développer cette histoire choc en long-métrage. Ladj Ly, malgré les remarques de certains dont on taira le nom, tiendra à poursuivre l’aventure avec son crew. Un an plus tard, ils présenteront Les Misérables à Cannes, en première mondiale, où ils décrochent le Prix du jury.

Depuis, si les gens peuvent maintenant identifier Djebril Zonga en tant qu’acteur, il ne semble pas obsédé par l’idée de se bâtir une carrière. Confiant pour la suite, il préfère admirer le parcours de ce film coup-de-poing, qui interpelle autant le président de la République que l’Académie des Oscars. Le tapis rouge est déroulé, mais pas sûr que ce soit le chemin qu’il décide d’emprunter, plus préoccupé par la situation dans les quartiers que par les petits fours et le champagne du théâtre du Châtelet où se tiendra, le 28 février prochain, la soirée des César.