L’émouvante lettre d’adieu de Nicolas Bedos à son père

L’émouvante lettre d’adieu de Nicolas Bedos à son père

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Par Louis Lepron

Publié le

"Tu n’es pas mort : tu dors enfin."

Près de 500 mots. 500 mots pour évoquer le départ de son père. Ce matin, Augustin Trapenard a lu sur France Inter la lettre de Nicolas Bedos destinée à son père Guy Bedos, disparu ce jeudi 28 mai, et dont la cérémonie d’hommage est prévue ce jeudi 4 juin.

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La voici :

“Papa,

Une dernière nuit près de toi. Des bougies, un peu de whisky, ta main si fine et féminine qui sert la mienne jusqu’au p’tit jour du dernier jour. Ton regard enfantin qui désarme un peu plus le gamin que j’redeviens. Au-dessus de ton lit, un bordel de photos, de Jean-Loup Dabadie à Gisèle Halimi, de Desproges à Camus en passant par Guitry. Ça ne votait pas pareil, ça ne priait pas les mêmes fantômes, mais vous marchiez groupés dans le sens de l’humour et de l’amour.

Au bout de tes jambes qui ne marchent plus, tes chats – sereins, comme des gardiens. Sur la table de nuit, un fond de verre de Coca, ultime lien entre ce monde et toi, quelques gorgées de force qui te permettent, du fin fond de ta faiblesse, de nous lancer des gestes d’une élégance et d’une tendresse insolentes. Fâché de ne plus pouvoir parler, tu envoies des baisers muets à ta femme adorée, à ta fille bien aimée, à la fenêtre sur l’Île Saint-Louis, au soleil que tu fuis. Des gestes silencieux qui font un boucan merveilleux dans nos yeux malheureux. Tu auras mélangé les vacheries et l’amour jusqu’au baisser de rideau. Les ‘foutez l’camp’ et les ‘je t’aime’. Caresses et gifles, jusqu’au bout. Incorrigible Cabotin, tu avais bien prévu ton coup : dans ton dernier morceau d’mémoire, tu avais mis des ‘vous êtes beaux, je suis heureux, j’ai de la chance. C’est ta mère, là, devant moi ? C’est ma femme ? Oh Tant mieux !’

On va t’emmener, maintenant, dans ton costume de scène. Celui des sketches et des revues de presse, des télés et des radios, celui qui arpenta la France, en long en large et en travers de la gorge de certains maires. J’ai dénoué ta cravate noire. On va t’emmener où tu voulais, c’est toi qui dictes le programme, c’est toi qui conduis sans permis. D’abord à l’église Saint-Germain, tu n’étais pas très pote avec les religions, mais les églises, ça t’emballait. Tu disais ‘Faudrait qu’on puisse les louer pour des spectacles de music-hall, des projections de films, des concerts de poésies’. Il y aura des athées, plein d’arabes et plein de juifs. Ça aurait consterné ta mère, tu aurais bien aimé que ta mère soit fâchée. Puis on t’envole en Corse, dans ce village qui te rendait un peu ta Méditerranée d’Alger. On va chanter avec Izia et les Tao, du Higelin, du Trenet, du Dabadie et Nougaro. On va t’faire des violons, du mélodrame a capella : faut pas mégoter son chagrin, à la sortie d’un comédien. Faut se lâcher sur les bravos et occuper chaque strapontin. C’est leur magot, c’est ton butin. D’autant que je sens que tu n’es pas loin… Tu n’es pas mort : tu dors enfin.”