Interview : Julien Leclercq, le défenseur d’un cinéma d’action à la française

Interview : Julien Leclercq, le défenseur d’un cinéma d’action à la française

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Par Lucille Bion

Publié le

"Il faut que les acteurs français se mettent au sport et à la conduite sportive."

Braqueurs, L’Assaut, Lukas, Gibraltar, maintenant La Terre et le Sang, prochainement Sentinelle et un biopic toujours dans les tuyaux sur Alain Prost. Cette fois, avec Netflix, le cinéaste Julien Leclerc poursuit sa carrière musclée et continue de réaliser des films d’action nerveux, dépoussiérant lentement mais sûrement un cinéma français traditionnel parfois vieillissant. 

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Héritier de Brian de Palma et de James Cameron, Julien Leclercq grandit dans un petit village de 350 habitants du nord de la France. Sa principale occupation ? Mater des films. Des films américains aux Hitchcock plus pointus, il ne cesse d’élargir sa culture avant de prendre son ticket de sortie pour Paris.

À 18 ans, grâce à une annonce, il repère une école de cinéma qu’il peut intégrer sans bac, par un petit concours. Depuis, il s’est fait une place dans le cinéma français en se spécialisant dans les films d’action. État des lieux d’un genre boudé de l’Hexagone, avec un expert. 

Konbini | La Terre et le Sang est ton premier film avec Netflix. Toi et cette plateforme, vous défendez une certaine idée du cinéma moderne : vous vous êtes bien trouvés. Mais comment vous êtes entrés en contact ? 

Julien Leclercq | Il y a un an et demi, Netflix avait acheté Braqueurs, mon quatrième film. Dès qu’ils l’ont mis sur la plateforme, ça a été un carton. Partout. De mon côté, je recevais des messages privés sur Instagram d’Asie, d’Amérique du Sud, du Canada, des États-Unis.

Grâce à ce succès, ils nous ont ensuite conviés à les rencontrer à Amsterdam, au siège, pour qu’on discute de mes projets. C’est génial ce genre de rencontre car on parle tous le même langage. Je passe des heures sur la plateforme et je retrouve en tant que spectateur l’excitation que j’avais quand j’étais môme, quand je rentrais dans un vidéo club. Je pense que la home page de Netflix, c’est devenu le vidéo club des jeunes, qui n’ont pas connu ça. 

Quand tu dis que tu parles le même langage que Netflix, ça veut dire quoi ?

Quand on a une idée de film, que ce soit avec un acteur, avec un coauteur, avec un directeur de la photographie, il faut que l’on parle le même langage et que l’on rêve du même film. Je pense que l’on rêve du même cinéma avec Netflix. Je sais que La Terre et le Sang est en sandwich entre deux films que je risque de fortement aimer ou que j’aime beaucoup.

C’est plutôt agréable car ça signifie que l’on a les mêmes références de films, le même langage sur la lumière, le montage, sur le rythme des choses, sur la gueule de l’affiche. Ça ne change rien dans la fabrication du film mais ça change radicalement dans la sortie car on n’offre pas le film de la même manière qu’un film de cinéma traditionnel. C’est tout nouveau pour moi de ne pas faire de tournée en province, au-delà du confinement. Mais c’est génial pour moi de me dire que vendredi matin à 9h01, il sort partout dans le monde. 

En France, tu es assez identifiable, surtout depuis Braqueurs, parce que tu choisis de faire des films d’action. J’imagine que c’est galère, en France de produire et sortir en salles ce genre de film ? 

Exactement. Avec l’arrivée de Netflix, en tant que producteur et réalisateur, ce qui va être génial c’est de voir émerger de nouveaux metteurs en scène, des films frais. Dans notre histoire de cinéma français, si l’on regarde ce qui était produit dans les années 1970 et 1980, il y a tous ces acteurs et grands metteurs en scène que j’aime comme Clouzot et Belmondo…

C’est une culture qui a bercé nos parents et nos grands-parents mais il faut la mettre au goût du jour. On ne fabrique plus et on ne raconte plus les mêmes histoires qu’il y a 30 ou 40 ans. C’est vrai que les plateformes, et surtout Netflix, vont pouvoir mettre en avant les films de genre. On le voit dans le top 10 de Netflix : La Casa de Papel, La Plateforme… c’est du genre ! Le box-office ne triche pas : les gens regardent ce qu’ils veulent voir, peu importe la nationalité des films et des séries. 

Sur Netflix, on voit clairement que le public est réceptif aux films de genre. Est-ce que tu penses que dans les salles, il y a aussi un public ?

Évidemment. Le problème, c’est que comme l’avait dit George Lucas et Steven Spielberg il y a dix ans, les salles de cinéma, et Dieu sait que je les aime, seront des cabarets. C’est-à-dire que tu vas payer très cher ta place mais ça va être un vrai spectacle. Et c’est ce qui se passe aujourd’hui. Une place en 4DX ce n’est pas la même chose pour nous, cinéphiles parisiens avec des cartes et des abonnements, que pour une famille en province. Ces salles sont démentes mais elles ont un coût : elles sont faites pour diffuser du Roi Lion, du Marvel. C’est une vraie expérience.

Au-delà de ça, on a nos films français qui marchent toujours mais qui sont un autre voyage en salles. Plus de la moitié des sorties en salles qui ont fait plus de 200 millions d’entrées en France, ce sont essentiellement des films américains. 

Certains réalisateurs de films de genre, comme Alexandre Aja, disent que le public français considère moins légitime un film d’action français, et même s’il est très bon, qu’un film d’action américain : comment tu l’expliques ? Est-ce que tu penses qu’il sera un jour possible de changer les mentalités ?

Il a raison. Moi j’ai grandi avec les films de Bruce Willis, Stallone et Schwarzenegger, j’avais les posters dans ma chambre. Aujourd’hui, le môme de 10 piges, il n’a pas de poster d’acteurs français dans sa chambre. Il faut les créer les héros.

Il y a évidemment cette vague énorme contre laquelle on ne pourra jamais lutter qui sont les Avengers, les Marvel, car c’est tout un univers : le matin tu bois dans le mug, le soir tu te couches dans le drap… c’est légitime de se faire croquer. Moi j’essaye de créer des icônes, dans un film comme Braqueurs, je sais que j’ai créé un personnage avec Sami Bouajila. Il faut que les acteurs français se mettent au sport, à la conduite sportive et aux arts martiaux. [rires]

Dans Braqueurs, Kaaris te faisait entrer dans ses quartiers, te débloquait des accès : en fait, on dirait qu’en France, t’es obligé de te débrouiller par toi-même pour réaliser ce genre de films.

Je voulais être au cœur du truc donc je voulais un grand frère, un parrain qui nous file les clés d’une cité. Ce n’est donc pas qu’une histoire de moyens. Si l’on raconte une histoire d’amour à Saint-Germain-des-Prés, c’est beaucoup plus facile et plus tranquille en termes de tournage qu’un film de course-poursuite au fin fond du 93. [rires]

Si l’on parle de Braqueurs, l’un des meilleurs moments de ma jeune vie de réalisateur, c’était ce tournage à Sevran. Les assurances ne voulaient pas nous couvrir parce qu’ils avaient peur que l’on se fasse voler, que ce soit le bordel. On ne nous a pas volé un trombone sur le film ! Et six mois plus tard, les habitants attendaient ce film, parce que je l’ai fait chez eux, avec eux, avec respect. 

Comme tu dis, tu l’as fait avec eux et j’ai cru comprendre que certains gérants de cinémas avaient des a priori sur les spectateurs “en capuche” qui viendraient voir le film. Ils disaient avoir peur qu’il y ait des débordements et ont refusé de sortir ton film dans leurs salles. C’est choquant. 

Il y a effectivement des patrons de salles qui m’ont dit que mon film était super mais qu’ils ne voulaient pas mélanger leur clientèle avec des mecs en baskets et en capuches. Moi aussi ça m’a choqué. Quelques mois après, le film est devenu culte en VOD, DVD, Blu-Ray puis sur Netflix donc je me dis que la boucle est bien bouclée.

Ce qui m’a peiné, au-delà du fait que ce soit mon propre film, c’est que nous faisons un art populaire donc par définition pour tout le monde. Donc si tout d’un coup on commence à dire que le film ne sera pas positionné, alors qu’il devait cartonner là-bas : j’ai trouvé ça hyper injuste. C’est réparé ailleurs et tant mieux. 

Selon toi, pourquoi la France est encore frileuse à l’idée de produire des films d’action ?

Je pense que c’est par rapport à qui fait les films. Le cinéma français, il ne faut pas l’oublier, c’est un milieu d’héritier. Il y a beaucoup de “fils de”, et tant mieux pour eux. La grande majorité des producteurs sont des fils de producteurs ou des fils de réalisateurs, je le sais, je les côtoie, j’ai bossé avec eux. Personnellement, je trouve ça bon, dans un milieu, qu’il soit sportif ou culturel, d’amener du sang neuf. De l’extérieur. J’ai mis du temps à rentrer dans le château fort, ça m’a coûté beaucoup d’énergie.

Depuis ton premier film Chrysalis (2007) et ta rencontre avec le producteur Franck Chorot et Gaumont, comment tu analyses les changements de production en France pour un film d’action ? Est-ce que selon toi il y a eu des changements importants ?

J’ai eu la chance de faire mon premier film jeune, à 26 ans, chez Gaumont et après j’ai réussi à produire mon deuxième film en m’associant avec Julien Madon avec qui je fais tous mes films depuis. C’est une vraie chance d’être son propre patron. Ce qui a vraiment changé la donne pour moi, c’est L’Assaut, mon deuxième film, parce qu’on a pris des risques financiers assez fous : on a acheté un avion puis on l’a découpé et ramené de Toulouse dans une usine. Au final, le film a été un succès, on a gagné de l’argent. Économiquement, c’est important.

Ensuite, ça a amené un mood de production. Nous, dans notre société par exemple, on ne met pas tout l’argent dans le canapé en cuir qui sera dans les bureaux, on préfère le mettre dans une scène d’action ou un effet spécial. On veut mettre l’argent à l’image comme l’ont fait Simpson, Jerry Bruckheimer, Joel Silver, qui ont fait les plus grands films d’action américains. Ils ont créé de nouvelles techniques. J’entends parfois des producteurs dire : “Si je ne gagne pas tant sur ce film, je ne le lance pas”. C’est terrible mais c’est la réalité et ça revient à ce que je disais sur le cinéma un peu bourgeois. 

Tu aurais un conseil pour un jeune cinéaste qui veut faire des films d’action ? 

Aujourd’hui il n’y a pas d’excuse pour faire des films. Tu peux faire des courts-métrages avec un 5D, un iPhone, une GoPro, ça ne coûte rien. Si tu n’as pas l’argent pour t’acheter un logiciel de montage, tu peux le craquer, et après tu peux le balancer au monde entier sur YouTube, ça ne coûte rien. À mon époque, il fallait emprunter du matériel, engager des gens.

Pour terminer, est-ce que t’as d’autres projets ?

Évidemment. [rires] Avant le confinement, on était en préparation, qu’on reprendra dès que ce sera terminé, et je repartirai en tournage pour un gros truc avec Netflix, à nouveau.

Et ce fameux biopic sur Alain Prost dont on parle depuis plusieurs années, ça va se faire ?

Oui, ça se fera l’année d’après, à l’été 2021. Avant, à la rentrée, il y aura ce projet avec Netflix. Et ensuite Alain Prost.